Paris, Centre Pompidou, Grande salle,
vendredi 29 novembre 2013
L'Ensemble Intercontemporain dans la conformation d'Orchestrion-Straat de Mauricio Kagel. Photo : (c) Bruno Serrou
En
cette année du centenaire de la naissance de Benjamin Britten (1913-1976), qui
en a été le premier lauréat en 1974, la Fondation pour la musique Ernst von
Siemens, équivalent du Prix Nobel en matière musicale, a été célébré vendredi
par l’Ensemble Intercontemporain à travers quatre des successeurs du
compositeur pianiste chef d’orchestre britannique, l’un du Prix de la Musique
les trois autres du Prix d’encouragement. Si Britten n’appartient pas au
parnasse de l’Ensemble Intercontemporain, il n’en est pas de même pour nombre
de ses trente-neuf successeurs, dont Pierre Boulez, fondateur de l’Ensemble en
1976, qui en a été le récipiendaire en 1979 au titre de compositeur et de chef
d’orchestre.
Michael Jarrell (né en 1958)
Le
concert de vendredi s’est ouvert sur une œuvre de Michael Jarrell (né en 1958),
présent à la console et toujours indifférent à l’égard de ceux qui le
soutiennent simplement pour la qualité de sa création… Une œuvre, Congruences pour flûte midi, hautbois, ensemble
(flûte, hautbois, clarinette contrebasse, basson/contrebasson, cor, trompette,
trombone, deux percussionnistes, synthétiseur, clavier électroniques, piano, alto,
violoncelle, contrebasse) et électronique conçue en 1988, l’une des partitions qui
auront valu au compositeur suisse le Prix d’encouragement Ernst von Siemens
dont il a été le premier bénéficiaire en 1990, une œuvre dont Péter Eötvös
dirigea la création à la tête de l’Ensemble Intercontemporain le 22 novembre
1989 dans cette même salle du Centre Pompidou. Selon les propos de Jarrell, Congruences, du latin congruere, convenir, est un terme de géométrie : « lorsque tous les
points de deux figures superposées coïncident, elles sont dites congruentes. »
Il s’agit de la première grande partition avec électronique en temps réel du
compositeur. Construite à partir de la notion de tuilage, la pièce s’inspire d’idées
géométriques de plan, de perspective, d’anamorphose et de figure projetées dans
une forme temporelle. Cette œuvre d’un quart d’heure est tirée de quelques
mesures d’une œuvre antérieure Trace-Ecart
pour soprano, contralto et ensemble (1984) et de Modifications pour piano et six instruments (1987), et servira par
la suite de réservoir à Der Schatten, das Band das uns an die Erde bindet ballet pour orchestre à vent et percussion
(1989), …D'ombres lointaines... pour
soprano et orchestre (1990), From the leaves of Shadow pour alto et orchestre
(1991)… Impeccablement interprétée par l’Ensemble Intercontemporain, Congruences
s’avère désormais un classique à l’aune duquel les jeunes générations ont à se
mesurer.
Ulrich Kreppein (né en 1979). Photo : (c) Ensemble Intercontemporain, DR
Ainsi, la pièce qu’Ulrich Kreppein (né en 1979) a
donnée vendredi en création mondiale trois ans après sa conception en 2010, Départ pour grand ensemble (flûte,
hautbois, clarinette, basson/contrebasson, cor, trompette, trombone, tuba, deux
violons, alto, violoncelle, contrebasse, effectif auquel est associée une voix
électronique), qui s’avère d’une vivacité et d’une riche palette de couleurs. A
l’instar de Jarrell, le compositeur allemand, Prix d’encouragement Ernst von
Siemens 2012, puise dans des œuvres antérieures, ici Verwandlungen im Spiegel composé pour ensemble en 2003 dont il se
sert d’assise (départ) pour en développer le propos toujours plus promptement
sous la forme d’un « labyrinthe circulaire ».
Arnulf Herrmann (né en 1968). Photo : (c) Ensemble Intercontemporain, DR
Seconde page donnée en
création mondiale, rondeau sauvage
pour sept musiciens (flûte/piccolo, clarinette, violon, alto, violoncelle,
piano et percussionniste) d’Arnulf Herrmann (né en 1968), Prix d’encouragement
Ernst von Siemens 2010. Commande de l’Ensemble Intercontemporain avec le
soutien de la Fondation Siemens pour la musique, ce rondo est d’un foisonnement
et d’une inventivité constante, ce qui dit combien ce compositeur bavarois, qui
a été l’élève de Gösta Neuwith, Hanspeter Kyburz, Gérard Grisey et Emmanuel
Nunes, a d’imagination et de talent.
Mauricio Kagel (1931-2008) devant sa maison natale à Buenos Aires. Photo : DR
Mais c’est l’œuvre de Mauricio Kagel (1931-2008),
Prix de la Musique Ernst von Siemens 2000, sur laquelle se concluait la soirée
qui s’est avérée la plus enthousiasmante et ingénieuse, malgré son ancrage évident
dans la musique du passé. Emplie de l’esprit léger et affable mais toujours
rigoureusement structuré du compositeur argentin, composée en 1995-1996 pour le
Holland Festival, Orchestrion-Straat
requiert un effectif de dix-neuf musiciens (violons, violoncelles, flûtes,
clarinettes, trompettes, tubas, contrebasses et percussion par deux, saxophone,
accordéon et piano) disposés en diagonale et en rang d’oignon, le chef côté
cour dos au public, percussion dans le fond à jardin, saxophone, accordéon et
piano à l’avant du plateau. Enjouée et colorée, cette partition de vingt-quatre
minutes évoque les orchestres de rue dont l’humour corrosif est mêlé de mélancolie
en habit de clown triste lorsque Kagel évoque les styles dénigrés que sont les
rengaines et la musique de salon rehaussés d’allusions au premier tableau de Petrouchka de Stravinski. Un véritable
plaisir sensuel et intellectuel que les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain
ont restitué avec le sérieux qui leur est coutumier mais allégé par la
direction énergique et contrastée de Jurjen Hempel, tandis que deux musiciens circulaient à la fin parmi les spectateurs pour faire la quête, faisant bruyamment sonner les contenants avec les contenus...
Bruno Serrou
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