mardi 18 novembre 2025

La voluptueuse et luxuriante plénitude du Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé avec onirisme par son directeur musical, Sir Simon Rattle

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Vendredi 14 novembre 2025

Sir Simon Rattle, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese

Vendredi soir, la Philharmonie de Paris recevait le merveilleux Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks dirigé par son directeur musical depuis 2023 Sir Simon Rattle, et sous la férule de son fantastique hautbois solo Stefan Schilli, héros de la soirée, a magnifié les deux grandes partitions programmées, la Symphonie n° 2 de Robert Schumann, un peu grise dans les deux premiers mouvements, mais onirique dans l’Adagio et conquérante dans le finale, et, surtout, un impressionnant Oiseau de feu d’Igor Stravinsky dans sa version originale que le chef britannique a dirigé avec retenue, le geste rare mais précis et comme pétrissant la pâte sonore, tandis que les musiciens bavarois brillaient de leurs sonorités amples, charnelles, colorées, jouant avec un nuancier extraordinairement large et onctueux, restituant une véritable volière aux oiseaux enchanteurs, annonçant Messiaen tout en étant fortement imprégné de Debussy et de Rimski-Korsakov. Souplesse du geste, souplesse du discours, souplesse des textures, poésie enchanteresse, tout dans cette interprétation aura été pur enchantement.

Sir Simon Ratte, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese 

Voilà deux ans, Sir Simon Rattle prenait la direction musicale du Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunk, succédant à son aîné letton Mariss Jansons, qui l’avait dirigé pendant seize ans, jusqu’à sa mort soudaine le 1er décembre 2019. Fabuleuse phalange que cet Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, qui reste un modèle, soixante-seize ans après sa fondation par l’immense chef souabe Eugen Jochum, dans un pays où les formations symphoniques sont légions, beaucoup appartenant en outre à l’élite mondiale. Venu de Munich sans soliste, contrairement à la plupart des orchestres en tournée, l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise a proposé deux grandes partitions symphoniques, l’une plus sombre que l’autre. La première partie du concert était entièrement occupée par la deuxième des quatre symphonies du Rhénan Robert Schumann, celle en ut majeur op. 61 composée en 1845-1846 et dédicacée au roi de Suède et Norvège Oscar Ier et créée à Leipzig le 5 novembre 1846 sous la direction de Felix Mendelssohn-Bartholdy. Cette œuvre, qui chemine de l’ombre vers la lumière au long de ses quatre parties et dans laquelle Schumann semble rendre hommage au Mozart de la Symphonie « Jupiter », a saisi par la noirceur peut-être excessive des deux premiers mouvements, particulièrement le Scherzo, aux contours menaçants, conduisant à un poignant Adagio espressivo au tour douloureux et tendre, avant un vertigineux retour à la vie que Simon Rattle et les brillants musiciens bavarois conduisent avec énergie et opulence.


Sir Simon Rattle, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Photo : (c) Ondine Bertrand / Cheeese

Trop souvent réduite à l’une de ses trois suites, le ballet L’Oiseau de feu mérite beaucoup mieux que d’être réduite à un faire-valoir d’orchestre et surtout de chef cherchant les effets de manche et les éclats sonores. L’intégrale du ballet est un pur joyaux, qui ouvre la fameuse trilogie des ballets composés par Igor Stravinski avant la Première Guerre mondiale pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev, tous créés à Paris, le conte dansé en deux tableaux à l’Opéra de Paris le 25 juin 1910, les scènes burlesques en quatre tableaux Petrouchka au Théâtre du Châtelet le 13 juin 1911 et les tableaux de la Russie païenne en deux parties Le Sacre du printemps au Théâtre des Champs-Elysées le 29 mai 1913. L’Oiseau de feu a suscité un véritable électrochoc à sa création à l’Opéra de Paris sous la direction de Gabriel Pierné avec Tamara Karsavina dans le rôle-titre. La partition d’une violence fauve où s’associent les orientalismes de Nikolaï Rimski-Korsakov et la sensuelle transparence de Claude Debussy, le tout illustrant un livret en deux tableaux adapté d’un conte populaire russe par le chorégraphe Michel Fokine, rencontra un succès immédiat et imposa sur le champ son auteur sur le devant de la scène. Il avait 27 ans. Fort de ce succès, Stravinski en réalisera une suite pour grand orchestre dès 1911, une deuxième en 1919 pour orchestre réduit, ajoutant un finale. Version qu’il reprendra en 1945 aux Etats-Unis. De cette partition retravaillée deux fois dans sa version intégrale, en 1922 et 1947, le chef britannique a eu l’heureuse initiative de choisir l’originale, où l’on mesure pleinement ce que L’Oiseau de feu doit à Rimski-Korsakov, maître de Stravinski, et plus encore à Debussy, que l’on identifie d’entrée dès la mesure initiale de l’introduction Molto moderato, d’essence surnaturelle, qui doit naître de l’éther, comme une nappe immatérielle, ce qu’a parfaitement réussi à obtenir Simon Rattle de l’orchestre bavarois aux textures évanescentes. Tout au long de l’exécution, l’on a goûté les beautés inouïes de chacun des pupitres de la phalange, un véritable foisonnement de volatiles souples et légers, comme en apesanteur, aux mille couleurs. Evocatrice, poétique, fine, chatoyante, merveilleusement structurée, jouée par un orchestre aux sonorités moelleuses et fruitées, dirigée avec un sens ahurissant du détail au service de la globalité du discours. Un Oiseau de feu à la dynamique, au nuancier, à l’humanité toute en intériorité bouillonnante, avec des tempos respirant large, une palette infinie de couleurs et de timbres, le tout conduit par un sens du drame captivant. 

Stefan Schilli (hautbois solo), Sir Simon Rattle; 
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Photo : BR / Astrid Ackermann

Pour remercier le public (qui hélas n’a pu s’empêcher de tousser dans les moments les plus ppp), l’orchestre allemand et le chef britannique ont donné un extrait de la suite Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré, renvoyant ainsi Stravinski face à une autre de ses références dans L’Oiseau de feu.

Bruno Serrou

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