Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Samedi 15 novembre 2025
Dédiant leur concert du 15 novembre à la Philharmonie de Paris à leur hautbois solo pendant quinze ans Victor Aviat, mort à 43 ans le 1er mai dernier, le BFO - Budapest Festival Orchestra et son directeur fondateur Iván Fischer ont offert un somptueux concert commencé avec un délicat arrangement de Victor Aviat pour orchestre de l’opus 117/1 de Johannes Brahms suivi d’un chœur a capella de Fanny Mendelssohn Morgengruss chanté avec ferveur et une vocalité remarquable par les musiciens de l’orchestre, avant qu’ils dialoguent dans le Concerto pour violon op. 64 de Felix Mendelssohn avec un Renaud Capuçon restant à l’extérieur du propos, comme assurant le service minimum pour répondre à l’attente de son public, tout en offrant une mélodie en hommage à Victor Aviat. Mais l’essentiel du programme était concentré en seconde partie, entièrement occupée par une exécution éblouissante de chaleur, d’engagement, de sensualité, de précision et magnifiée des sonorités chatoyantes et brûlantes comme la braise du ballet Die Josephslegende (La Légende de Joseph) que Richard Strauss composa sur un livret d’Hugo von Hofmannsthal et Harry Kessler pour l’Opéra national de Paris qui en donna la création le 14 mai 1914 sous la direction du compositeur deux mois et demi avant le déclenchement du premier conflit mondial. Un fabuleux pensum disent certains, mais une fabuleuse leçon d’orchestre, avec ses 107 musiciens jouant comme des chambristes, depuis les cordes magnifiques du BFO où les Tziganes sont rois, jusqu’à l’orgue et à la riche percussion, en passant par les quatre harpes, dix-huit bois et autant de cuivres, menés rondement par un Iván Fischer en état de grâce
La première partie du concert a été ouverte par une touchante interprétation d’un arrangement au ton mélancolique réalisé par le hautboïste Victor Aviat (1982-2025), qui était également compositeur, du premier Intermezzo pour piano op. 117, l’un des testaments pianistiques de Johannes Brahms (1833-1897), qui mit en exergue de sa partition deux vers où il est dit « Dors paisible, mon enfant, dors paisible et sage, j’ai tant de peine à te voir pleurer ». Comme il le fait de temps à autres durant les concerts à la tête du BFO, Iván Fischer a dirigé ses musiciens réunis au milieu du plateau tels des choristes, dans une pièce chorale a capella de Fanny Mendelssohn-Hensel (1805-1847), Morgengruss (Salut à la levée du jour) publié en 1846, dans laquelle les instrumentistes ont imposé leur chant d’une qualité telle que l’on n’a pu que comprendre ce qui pousse le chef hongrois à les faire chanter ensemble dès que cela est possible.
Après la sœur, le frère cadet, Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) et son célébrissime Concerto pour violon et orchestre en mi mineur op. 64 composé pour Ferdinand David entre 1838 et 1844, révisé en 1845 dont la partie soliste était confiée à Paris au très médiatique Renaud Capuçon (1). Cette œuvre, sans doute le concerto pour violon le plus populaire du répertoire après les Quatre Saisons de Vivaldi, est un véritable juge de paix. Il peut appeler tous les excès, soit en pathos, soit en artifices, soit en virtuosité. Rares sont les interprétations rayonnantes de musicalité, que seule la maturité artistique et une sensibilité rayonnante peuvent restituer - ce qui n’est pas une affaire d’âge, car je connais une jeune violoniste qui, à douze ans, en donnait des interprétations d’une impressionnante et sensible maturité. Doté d’une technique sans faille, Renaud Capuçon en a donné une lecture distante et sans relief, défaite de toute sensibilité et d’engagement réel, comme s’il s’agissait pour lui d’assurer le service minimum susceptible de satisfaire l’attente de ses admirateurs. Iván Fischer et le Budapest Festival Orchestra se sont investis au maximum dans le mouvement initial, avant de se mettre en retrait, évitant tout excès de zèle à partir de l’Andante central. A l’issue du concerto, Renaud Capuçon a rendu à son tour un hommage à Victor Aviat en interprétant un lied paisible arrangé pour violon seul.
Après le concerto et le second hommage à leur hautbois solo disparu en mai dernier, les Hongrois ont interprété ne œuvre rarissime, du moins en France, du compositeur bavarois Richard Strauss (1864-1949). Aussi inattendu que cela puisse paraître a priori de la part de musiciens hongrois, il convient de rappeler l’admiration que le jeune Béla Bartók (1881-1945) portait à son aîné allemand et à ses poèmes symphoniques. Et l’on se souvient aussi des extraordinaires Don Juan op. 2O, Till eulenspiegel op. 28 et Danse des sept voiles de Salomé que le BFO et Iván Fischer avaient donnés en mars 2023 dans cette même Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Aussi, rien de surprenant pour ce qui concerne ces musiciens que l’œuvre apparemment amphigourique, voire « indigeste » pour certains, ait sonné admirablement sous la direction d’Iván Fischer à la tête de son propre orchestre, qu’il créa voilà quarante-deux ans avec son compatriote pianiste compositeur Zoltan Kocsis (1952-2016). Cette grande page d’orchestre de plus de soixante-dix minutes pour cent dix sept musiciens, a été rendue plus dramatique et tendue samedi malgré l’absence de chorégraphie, en partie grâce à la présence de surtitres bien synchronisés avec l’exécution de l’œuvre exposant au public les didascalies porteuses des événements décrits par le livret. La Josephslegende (La Légende de Joseph) a été composée en 1912-1914, c’est-à-dire parallèlement à l’opéra Ariadne auf Naxos op. 60 et le Motet allemand op. 61 et peu avant Une Symphonie alpestre op. 64 pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev qui en ont donné la création avec succès dans une chorégraphie de Vaslav Nijinski et Mikhaïl Fokine à l’Opéra de Paris le 14 mai 1914, soit deux mois et demi avant le déclenchement du premier conflit mondial, ce qui priva les auteurs des honoraires et des droits d’auteur qui leur étaient pourtant dus. L’œuvre est le fruit de la première collaboration du compositeur bavarois avec le comte Harry Kessler (1868-1937) pour le sujet et de la quatrième pour le livret avec le poète autrichien Hugo von Hofmannsthal (1874-1929), auteur des livrets d’Elektra, de Der Rosenkavalier et d’Ariadne auf Naxos et avant Die Frau ohne Schatten, la genèse de ce dernier opéra s’échelonnant sur la durée de la Première Guerre mondiale qui mit un terme brutal à la carrière du ballet. Il s’agit ici d’une adaptation d’un épisode de l’Ancien Testament tiré du Livre de la Genèse qui conte les mésaventures du berger Joseph, fils de Jacob, vendu comme esclave à Putiphar dont la femme s’éprend du jeune homme, qui se refuse à elle. Face aux échecs de tentatives de séduction, elle condamne à mort le récalcitrant, qui est sauvé par un ange, ce qui conduit l’enjôleuse au suicide… Certes, le chaste Joseph n’avait guère de quoi séduire à son tour Richard Strauss, qui rencontra moult difficultés pour mener à son terme la rédaction de la partition.
Pourtant, en 1947, à la demande
de son éditeur qui entendait réveiller l’intérêt des organisateurs de concerts
et de spectacles, il en composa une réduction d’une vingtaine de minutes tout
en étoffant l’orchestration pourtant déjà abondante et luxuriante (1). Cette
suite sera créée en mars 1949 à Cincinnati sous la direction de Fritz Reiner. Cette
version a été donnée par l’Orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi en
septembre 2023. Cette fois, avec bonheur Iván Fischer et l’Orchestre du Festival de Budapest
ont offert avec un enthousiasme et un sens de la nuance et du drame impressionnants
une interprétation de l’intégralité du ballet sans donner à aucun moment une
quelconque impression de longueur, pas même de tunnel, suscitant au contraire
un intérêt soutenu, suscitant l’admiration devant la virtuosité naturelle avec laquelle
les musiciens ont joué cette partition d’une extrême complexité, animés par un
sens de la narration et de la vie des personnages particulièrement prenant, la
discours s’exposant comme un livre d’images aux enluminures singulièrement
colorées et aux arêtes vives, suscitant constamment la surprises et l’admiration,
tant l’interprétation aura été tendue et chamarrée, la polyphonie foisonnante n’apparaissant
jamais confuse, malgré l’orchestration foisonnante incluant un orgue symphonique - mais extrêmement serrée
et contrastée, tout en mettant en valeur l’ensemble des pupitres solistes qui
ont ici largement de quoi exprimer leur art.
Bruno Serrou
1) Ce même programme faisait l’objet de la tournée de l’automne 2025 du
Budapest Festival Orchestra. Le concert de Vienne avait pour soliste la
violoniste Veronika Ebrele dans le concerto de Mendelssohn, tandis qu’Alina
Ibragimova donnait à Hambourg et à Budapest le Concerto pour violon de Beethoven. Renaud Capuçon jouant le
Mendelssohn, outre Paris, à Cologne et à Chemnitz
2) La nomenclature de l’orchestre de
La Légende de Joseph est la suIvante :
Piccolo, quatre flûtes (la quatrième aussi piccolo), trois hautbois (le
troisième aussi cor anglais), heckelphone, trois clarinettes (en ré et en la),
clarinette basse, clarinette contrebasse, quatre bassons (le quatrième aussi
contrebasson), six cors, quatre trompettes et trombones, tuba ténor, tuba
basse, timbales, triangle, tambourin, caisse claire, xylophone, castagnettes,
petites cymbales, glockenspiel, célesta, quatre harpes, piano, orgue, cordes (seize,
quatorze, douze, dix, huit)





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