mardi 17 décembre 2024

Le piano-poète de Nelson Goerner a envoûté Debussy, Schumann et Chopin pour le plus grand bonheur du public de Piano**** réuni à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 16 décembre 2024 

Nelson Goerner. Photo : (c) Bruno Serrou

Quel musicien ! Quel poète ! Nelson Goerner a littéralement enchanté lundi soir le public de Piano**** à la Philharmonie de Paris tel un magicien du son et du sous-texte. Des doigts d’une mobilité prodigieuse courant sur le clavier de façon aérienne pour en tirer un nuancier d’une amplitude fabuleuse, mue par une sensibilité à fleur de peau, une pensée en constant renouveau, d’une intensité subjuguant. Livre I des Images de Debussy où l’on entend l’orchestre entier s’épanouir sur les touches du clavier, le Carnaval de Schumann empli de mystères et de magie, une Barcarolle de Chopin d’une délicatesse prodigieuse, suivie de la monumentale Sonate n° 3 op. 58 n° 3 d’un onirisme solaire, soulignant les audaces du mouvement initial et la sublime cantilène du largo… Tout sous les doigts de Nelson Goerner a été comme une célébration du bel canto 

Nelson Goerner. Photo : (c) Bruno Serrou

Et quel programme ! Un programme comme seuls les musiciens-poètes savent en élaborer. A commencer par la filiation entre les compositeurs pourtant si évidente mais peu réalisée en récitals. Mais aussi les œuvres, qui ont toutes un programme plus ou moins sous-jacent, qu’il soit clairement défini comme chez Schumann et Debussy ou caché sous des formes classiques comme chez Chopin. Enfin, les atmosphères merveilleusement oniriques qui portent au rêve et à l’introspection… Le climat du récital a été immédiatement instauré avec les trois Images du Livre I (1905) de Claude Debussy (1862-1918) dont les Reflets dans l’eau aux textures aquatiques suprêmement évocatrices ont plongé l’auditoire dans un flux liquide aux miroitements infinis, des chatoiements solaires jusqu’aux nocturnes scintillements stellaires, suivis de la tendre sarabande qu’est l’Hommage à Rameau, première pièce dans laquelle Debussy exprime son admiration pour son aîné du XVIIIe siècle où Goerner s’affirme à la fois libre et méticuleux dont il résulte naturel et spontanéité, enfin Mouvement à l’atmosphère envoûtante qui retourne à l’esprit de la première Image. Dans Carnaval op. 9 de Robert Schumann, Nelson Goerner déroule un sublime livre d’images en vingt-et-une miniatures merveilleusement évocatrices, l’art raffiné et d’une évidente humanité de Nelson Goerner a magnifié les affinités intimes du compositeur rhénan entre poésie et musique, les deux modes d’expression artistique entre lesquels il hésita dans sa jeunesse, avant de finir par opter pour la seconde sans pour autant négliger la première, faisant continuellement dialoguer et alterner sa double nature, conflictuelle et antinomique de sa propre personnalité répartie entre le délicat et rêveur Eusebius et le passionné Florestan, mais aussi prétexte à portrait de l’amour de sa vie (Ernestine/Chiarina) et de ses ennemis jurés, les Philistins. Ces portraits sont somptueusement tracés par le pianiste argentin, jouant de sa phénoménale palette de peintre des sons, brosse un récit d’une richesse, d’une densité, d’une clairvoyance si évidente que ce recueil semble se renouveler et ouvrir plus largement encore les intentions du compositeur, ainsi que les épisodes festifs où interviennent des personnages de commedia dell’arte brossé avec un sens de la couleur et de l’évocation d’une grâce suprême.

Nelson Goerner. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie était entièrement vouée à Frédéric Chopin. L’on sait les affinités du pianiste argentin pour le compositeur polono-français, depuis le classement contestable que me rappelait mon amie polonaise qui y a assisté à Varsovie en 1995, année où il ne fut classé que sixième du Concours International de piano Frédéric Chopin tandis que le Premier Prix n’était pas attribué… La première des deux œuvres de la maturité de Chopin qu’il a données lundi a été la Barcarolle en fa dièse majeur op. 60, chef-d’œuvre composé en 1845-1846 qui renvoie à Venise chère au compositeur. A l’écoute de l’interprétation merveilleusement évocatrice qu’en a faite Nelson Goerner, l’on ne pouvait que faire sienne la description que Maurice Ravel fait de la partition citée par l’auteur de la notice publiée dans le programme de salle, Michel Le Naour, « Ce thème en tierces, souple et délicat, est constamment vêtu d’harmonies éblouissantes. La ligne mélodique est continue. Un moment, une mélopée s’échappe, reste suspendue et retombe mollement, attirée par des accords magnifiques. L’intensité augmente. Un nouveau thème éclate d’un lyrisme magnifique, tout italien. Tout s’apaise. Du grave s’élève un trait rapide, frémissant, qui plane sur des harmonies précieuses et tendres. On songe à une mystérieuse apothéose ». Souple, délicat, éblouissant, suspendu, intensité, lyrisme tout italien, frémissant, tendre, mystérieuse apothéose, tels sont de fait les extraordinaires qualités de ce que le magicien Nelson Goerner a donné à écouter. Conçue un an avant la Barcarolle, la Sonate n° 3 en si mineur op. 58 est un pur joyau. Ultime partition du genre laissée par son auteur, elle constitue un véritable sommet de la littérature pianistique. Construite en quatre mouvements, son premier, Allegro maestoso, est le plus développé et le plus complexe avec une grande diversité de climats, de structures, de tempi, tandis que les deux mouvements centraux adoptent pour le Scherzo la forme d’une danse avec trio et, pour le Largo, d’une mélodie sans paroles, tandis qu’à l’instar du mouvement initial, le finale, Presto non tanto, a le caractère d’une ballade saturée d’énergie que Goerner joue avec une facilité apparente mais bouillonnante de l’intérieur, tant le pianiste y introduit à la fois une force résolue et une urgence contenue hallucinantes.

Nelson Goerner. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour clore cette soirée que l’on eût aimée sans fin, Nelson Goerner a offert deux bis, le Prélude op. 23/4 en majeur de Serge Rachmaninov et la Toccata en ut majeur op. 7 de Robert Schumann… Tout, sous les doigts de Nelson Goerner, aura été comme une célébration du bel canto…

Bruno Serrou

 

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