Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 18 septembre 2024
Sublime soirée d’une ardente spiritualité qu’a offerte au nombreux public de
la Philharmonie de Paris particulièrement à l’écoute, comme envoûté, Raphaël
Pichon et son ensemble Pygmalion dans les Vespro della beata Vergine de Claudio Monteverdi (1). Un moment de
grâce de deux heures de musique des sphères d’une beauté céleste proprement
extatique, à tomber à genoux…
Œuvre charnière publiée à Venise en
1610, trois ans après la création de L’Orfeo
et deux ans après celle de L’Arianna,
les Vespro della beata Vergine de
Claudio Monteverdi (1567-1643) qui auraient été créées en la basilique Santa
Barbara de Mantoue le 25 mars 1610, sont l’un des premiers monuments de l’histoire
de la musique sacrée occidentale. Méditative et théâtrale à la fois, cette somme
de prières mariales dans laquelle le compositeur assimile les styles ancien de
la Renaissance et nouveau porteur du baroque est d’essence jubilatoire et n’hésite
pas à l’expression d’une réelle sensualité sertie d’une grande virtuosité
vocale alternant avec des moments aux reliefs impressionnants confiés aux
instruments. Dans ses Vêpres de la Vierge,
Monteverdi reprend les principales prières du rite catholique, cinq psaumes,
l’hymne Ave Maris stella et le Magnificat, l’ensemble de ces pages de
dévotion mariale étant dédié au souverain pontife Paul V dans la continuité du
Concile de Trente qui institua la Contre-Réforme particulièrement efficiente à
la cour de Mantoue où officiait alors Monteverdi comme maître de chapelle du
duc Vincenzo Gonzaga. Le maître lombard fusionne prière et virtuosité, intimité
et monumental, l’Eglise et le théâtre, le dépouillement de la dévotion et la complexité
luxuriante.
« Pour moi, écrit Raphaël
Pichon dans le texte de présentation de son enregistrement paru en 2023 chez
Harmonia Mundi, les Vêpres sont la
première œuvre cinématographique de l’histoire de la musique. Le génie
dramatique de Monteverdi fait que chaque psaume (et spécialement les trois
premiers) se présente comme une véritable scène d’action théâtrale. Monteverdi
plante un décor, et nous permet de sentir et de ressentir, de visualiser, de
toucher même la musique. Il s’engouffre dans toutes les brèches de la
Contre-Réforme. Il a compris que tous les mediums doivent être embrassés pour
que le texte pénètre l’auditeur et le travaille. C’est aussi ce qui justifie un
tel dispositif musical car la musique des Vêpres
est proprement immersive, elle se déploie dans des nappes sonores
exceptionnelles. »
En effet, dans cette œuvre
foisonnante en quinze parties associant prière et virtuosité, Monteverdi
explore un espace allant de l’intime au monumental comme l’homme d’église et de
théâtre qui lui permet d’exprimer son génie. La partition requiert la
participation d’un chœur assez fourni pour l’époque, plus d’une vingtaine de
membres (trente-trois choristes dans la version proposée ce mercredi par
Raphaël Pichon) capable d’assurer jusqu’à dix parties vocales qui alterne
ensembles, chœurs divisi et sept
chanteurs solistes, tandis que la partie dévolue à l’orchestre désigne
expressément un ou deux violons et autant de cornets à bouquin, tandis que le ripieno ou ensemble instrumental n’est
pas précisé, à l’instar des antiennes en plain-chant à insérer avant les
psaumes et le Magnificat qui conclut
l’œuvre.
Les contrastes entre les moments
d’intense recueillement et les plus exubérants et monumentaux, les décalages
rythmiques extrêmement serrés entre les voix du chœur atteignent avec Raphaël Pichon
une puissance expressive renversante, d’une extraordinaire vitalité, joyeuse et
débridée, tandis que les passages au caractère intériorisé et extatique tel le
chœur à huit voix qui conclut l’hymne Ave
maris stella (Salut étoile de la mer),
les fréquents changements de mesure magnifiés par la battue mobile et limpide
de Pichon atteignent une plasticité telle qu’ils coulent avec un naturel qui
conduit l’auditeur à se laisser volontiers porter à la jubilation, tandis que
les musiciens de l’orchestre s’imposent et se délectent dans les passages
concertants comme la Sonata a 8 sopra « Santa
Maria ». Raphaël Pichon donne le juste poids et la juste pulsion
requise par ce monument de la musique, alternant et fondant introspection,
recueillement, ferveur, ardeur, exultation, lyrisme, jouissance sonore,
sensualité de l’expression, perfection du chant, élasticité des intonations,
précision instrumentale, brio de l’interprétation au sein d’une Salle Pierre
Boulez dont le moindre recoin aura été utilisé pour l’exécution, la
spatialisation jouant une part capitale dans la théâtralité de l’œuvre, tandis
que défilait au-dessus du plateau les traductions vernaculaires des textes sacrés
latins, ce qui se sera avéré particulièrement pédagogique en ces temps où le sacré
chrétien est guère en faveur, chantés depuis divers endroits par des voix
solaires de solistes particulièrement engagés, solides et sûrs, les sopranos
Céline Scheen et Perrine Devilliers, les ténors Zachary Wilder, Robin
Tritschler et Antonin Rondepierre, et les basses Nicolas Brooymans, Etienne
Bazola et Renaud Brès, certains se joignant au chœur dans les ensembles, tous
dialoguant de concert et soutenus par un ensemble instrumental constitué de
vingt-deux musiciens répartis en deux groupes disposés en miroir autour des
deux harpes, des six « basses d’archet » et de l’orgue positif central,
avec à jardin les deux violons (Sophie Gent et Louis Creac’h) s’exprimant continuellement
debout et sonnant comme une douzaine, aux côtés des deux flûtes et du basson,
tandis que côté cour étaient disposés deux théorbes, deux cornets à bouquin,
trois saqueboutes et le second orgue positif tenant aussi clavecin.
Bruno Serrou
1) Raphaël Pichon, à la tête des
mêmes effectifs, reprend les Vespro della
beata Vergine dimanche 22 septembre 2024 à 15h00 Opéra Royal du château de
Versailles
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