Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 16 septembre 2024
Dieux que le son du London Symphony Orchestra est fabuleux de brillant, de
sensualité, de malléabilité, de plénitude. Aucun orchestre au monde ne peut le
rivaliser. Il en a toujours été ainsi, Pierre Boulez et Claudio Abbado entre
autres le savaient et s’en régalaient. Lundi soir, à la Philharmonie de Paris, il
l’a amplement confirmé dans un programme « Mittle Europa » associant
la Pologne de Karol Szymanowski et Frédéric Chopin à la Bohême de Gustav Mahler,
éblouissant de lumière sous la direction de son boss actuel Sir Antonio Pappano
avec la phénoménale Yuja Wang au piano.
C’est avec une page rare qu’Antonio
Pappano a ouvert la soirée, l’Ouverture
de concert en mi majeur op. 12 que Karol Szymanowski (1882-1937). Composée
en 1904-1905, créée le 19 avril 1907 à Varsovie, révisée en 1910-1913, cette première
œuvre pour orchestre du compositeur polonais qui se cherche encore à l’époque requiert
la participation d’une phalange fournie (bois par trois, une clarinette basse,
six cors, trois trompettes et trombones, tuba, timbales, cymbales, grosse
caisse, triangle, harpe et cordes en proportion), l’orchestration de cette
partition d’une douzaine de minutes renvoyant à Une Vie de Héros de Richard Strauss, en plus « épais » et
moins charnel, ainsi qu’à Richard Wagner côté cuivres. Occasion pour le LSO de
briller dès le début du concert de tous ses éclats, imposant ses rutilantes sonorités
dès l’abord, restant constamment limpide et chatoyant jusques et y compris dans
les passages les plus telluriques.
Du Concerto n° 2 pour piano et orchestre en fa mineur op. 21 (1829) de Frédéric Chopin (1810-1849), Yuja
Wang, toujours dans vêtue d’une robe improbable et perchée sur des talons façon
échasses, a exalté les chatoiements, la magie sonore et le lustre des timbres
du piano, les doigts courant sur le clavier avec une grâce, une légèreté
singulière, la souplesse féline de ses mains en regard de la plénitude des
sonorités et l’amplitude des contrastes que l’artiste chinoise tire du clavier.
Ceux qui reprochent à Chopin son manque d’intérêt pour l’orchestre n’ont pu que
regretter leur a priori tant le London Symphony a serti ses intonations chaleureuses
et sensuelles à celles de l’instrument solo sous l’impulsion à la fois
attentive, dynamique et tranchée d’Antonio Pappano. Toujours aussi généreuse en
bis, Yuja Wang en a offert trois au
grand bonheur d’un public peu avare en ovations debout, la Gnossienne n° 1 d’Erik Satie, la Valse op. 64/2 de Frédéric Chopin et le Precipitato de la Sonate n° 7
de Serge Prokofiev, ce dernier avec l’assistance d’Antonio Pappano en
tourneur de pages iPad…
Mais c’est dans la Symphonie n° 1 en ré majeur « Titan »
(1888/1903) de Gustav Mahler (1860-1911) que le London Symphony Orchestra s'est exprimé pleinement ses immenses qualités. Dans cette œuvre d’une extrême virtuosité, la phalange
britannique et son chef italien se sont éclatés avec une aisance époustouflante,
se délectant de toute évidence de cette musique complexe à mettre en place tant
les structures sont alambiquées, faisant à la fois ressortir les lignes de
force, l’architecture, l’unité à travers la multiplicité, les plans apparaissant
dans leur évidence, tout en en magnifiant l’expression et en soulignant la
diversité de l’inspiration, à la fois populaire, foraine, militaire, noble et
grave, les brutalités, les saillies, la nostalgie. Unité et altérité dans
la conduite de l’œuvre, la rythmique, le phrasé, les respirations étant
extraordinairement en place, Antonio Pappano ayant en outré évité le pathos et
les effets trop appuyés. Son orchestre a répondu avec empressement, le
servant sans broncher jusqu’aux limites de la virtuosité sans aucune faute et
avec une homogénéité admirable. Les cordes sont fruitées, notamment la
contrebasse solo aux sonorités douces et feutrées, les bois sont colorés et
nuancés (magnifique hautbois, mais aussi flûtes, bassons et clarinettes), les
cors aux sonorités colorées et profondes sont d’une assurance extraordinaire, les
trompettes vaillantes, trombones et tuba au diapason. Au total, une fabuleuse
leçon d’orchestre a été offerte par la première des phalanges du Royaume Uni sous
la direction lyrique en enflammée de son chef attitré, Antonio Pappano,
également directeur musical de Royal Opera House Covent Garden de Londres
depuis vingt-deux ans.
Bruno Serrou
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