Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 22 novembre 2022
Il n’y avait pourtant pas foule à la Philharmonie, ce mardi. Une demi-salle néanmoins. Pourtant, ceux qui étaient présents s’en souviendront longtemps tant l’émotion était à son comble. Il faut dire que Paris résonnait de musique de partout, avec des concerts tous plus attractifs les uns que les autres. Mais la concurrence était surtout rude avec le premier rendez-vous footballistique de l’équipe de France dans le cadre de la Coupe du Monde qui se déroule dans l’une des dictatures les plus opaques et sinistres au monde… Tandis qu’à la Philharmonie se tenait un récital du plus parisien des grands pianistes polonais contemporains, Piotr Anderszewski, qui proposait un programme d’une humanité bouleversante, à l’extrême opposé de l’état d’esprit des gouvernants et des ressortissants mâles de la principauté pétrolifère et gazière du Moyen-Orient.
Extraordinaire récital que celui que Piotr Anderszewski a donné mardi soir à la Philharmonie de Paris. Comme ses Bach sont splendides ! De purs joyaux ! Irrésistibles ! Huit Préludes et fugues extraits du second Livre du Clavier bien tempéré (Das wohltemperierte Klavier), les numéros 17 en la bémol majeur BWV 886, 8 en mi bémol mineur BWV 877, 11 en la majeur BWV 880, 22 en si bémol mineur BWV 891, 7 en mi bémol majeur BWV 876, 16 en sol mineur BWV 885, 9 en mi majeur BWV 878 et 18 en sol dièse mineur BWV 887. Cinquante minutes d’enchantement surnaturel pénétrant jusqu’au plus secret de l’âme, d’un onirisme ardent quasi mystique d’une brûlante spiritualité. Une telle intériorité, une telle délicatesse du son, une telle richesse de timbres, une telle variété de nuances, une telle densité d’intentions ont suscité une irrépressible émotion, tant il s’y trouvait de magie, de générosité, au point que l’auditeur était saisi jusqu’aux abysses de son âme par l’extraordinaire voyage proposé par le pianiste polonais d’une élévation renversante.
Et ses Variations op. 27 d’Anton Webern admirablement chantantes, d’une
poésie, d’une expressivité confinant au romantisme classique… Pourtant, une
partie du public, concentré et silencieux durant la première partie du concert,
a commencé à bouger, chahuter sur ses sièges, toussant et se raclant
outrancièrement la gorge, éternuant bruyamment six minutes durant perturbant l’écoute
du jeu perlé et dans la résonnance d’Anderszewski, au point que je me suis mis
à rêver qu’il s’arrête et reprenne l’œuvre entière après avoir rappelé les auditeurs
à l’ordre, comme l’avait fait Carlo Maria Giulini lorsqu’il dirigea les 6 Pièces
op. 6 d’Alban Berg en ouverture d’un concert de l’Orchestre de Paris,
reprenant l’œuvre entière après avoir rappelé le public à l’ordre et lui avoir
demandé le silence complet…
Mais Anderszewski a choisi d’enchaîner
ces trois pages merveilleuses à la Sonate
n° 31 en la bémol majeur op. 110 de Beethoven d’une densité, d’une poésie,
d’une intériorité à se mettre à genoux. Un Allegro
initial, volontaire, fébrilement enlevé tout en ménageant d’amples respirations
à ne plus toucher terre, un Adagio
rêveur, tendre préludant au chant délicatement plaintif du finale sous les doigts
magnétiques d’Anderszewski qui font gronder les basses solides à la main gauche
dans la fugue du mouvement central, avant la seconde fugue qui ouvre le finale,
qui conclut l’œuvre de façon éclatante magnifiée par la virtuosité sereine de
son interprète.
Semblant ne pas vouloir
interrompre le charme irréel et enchanteur de la soirée, Piotr Anderszewski a
proposé trois bis, commençant par un retour à Jean-Sébastien Bach, avec une
Sarabande et le Prélude en fa mineur extrait du même second livre du Clavier bien tempéré de la première
partie de son récital, auxquels il a ajouté la Mazurka op. 50/3 de Karol Szymanowski, son compatriote polonais
dans lequel il excelle, trois pages qui ont donné l’impression d’éternité… Ô
comme ce récital est à marquer d’une pierre blanche : inoubliable !
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