Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 15 novembre 2022
Après La Vie parisienne l’an dernier, le Théâtre des Champs-Elysées présente La Périchole du même Jacques Offenbach qui offre l’occasion de réunir de nouveau Mark Minkowski et Laurent Pelly, deux éminents spécialistes de l’œuvre du « Mozart des Champs-Elysées ». La dernière fois que cet opéra-bouffe avait été présenté dans le théâtre de l’avenue Montaigne, c’était voilà trente-huit ans dans une production de Jérôme Savary…
Opéra-bouffe tiré de la nouvelle de Prosper Mérimée, l’auteur de Carmen dont les même Meilhac et Halévy s’inspireront pour le chef-d’œuvre de Georges Bizet, le Carrosse du Saint-Sacrement que Jean Renoir adaptera en 1953 pour le cinéma sous le titre le Carrosse d’or, la Périchole (1868) est l’un des opéras-bouffes les plus célèbres du « Mozart des Champs-Elysées ». Son livret, avec son dictateur d’opérette digne d’une aventure de Tintin amoureux d’une jolie métisse comédienne, et le cadre de l’action, le Pérou, ouvrent toutes les perspectives aux metteurs en scène, jusqu’aux délires les plus fous. Mais il faut aussi savoir y ménager des espaces de poésie, l’œuvre contenant de grandes pages d’émotion pure et de romantisme.
Les deux principaux protagonistes n’ont qu’à se glisser sans forcer dans le sourire à la fois malicieux et grave d’Offenbach. Les qualités vocales et la plastique de ce duo révèlent tout ce que Bizet et sa Carmen doivent à Offenbach et à sa Périchole. Plusieurs situations, les espagnolades, la figure de bohème de la chanteuse, la façon dont celle-ci mène les hommes par le bout du nez, le couple vocal mezzo-soprano/ténor, des airs et un certain nombre de tournures orchestrales apparaissent de toute évidence dans la mouvance de Mérimée pour le texte et de Bizet pour la musique. Ici, le grotesque le dispute au sublime, la comédie au tragique, le lyrisme au drame, le tout entremêlé avec science et avidité par un Offenbach au sommet de son art tandis que le Second Empire court à sa perte et se remet à grand peine de la mésaventure mexicaine dont le Pérou de la Périchole n’est que l’évidente allégorie.
Le duo Minkowski/Pelly connaît son Offenbach sur le bout des doigts, tant il s’est en vingt-cinq ans dans Orphée aux enfers, La Belle Hélène, La Grande Duchesse de Gerolstein, Les Contes d’Hoffmann… Laurent Pelly a mis en scène plus d’une douzaine d’œuvres d’Offenbach, dont La Périchole à l’Opéra de Marseille en 2003, tandis que Marc Minkowski a réalisé la sienne en 2018 à l’Opéra de Bordeaux. Cette fois, Pelly choisit judicieusement de transposer l’action aux temps présents, faisant des deux protagonistes centraux un couple de chanteurs de rue. Avec un texte réactualisé par des dialogues parlés finement tournés par Agathe Mélinand, Offenbach gagne en actualité ce qu’il perd en parodie du grand opéra français tout en mettant en évidence la critique sociale et politique du livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Pelly donne à sa vision une gaité libertine jamais grivoise, dans une scénographie en trois tableaux principaux judicieusement élaborés par la scénographe Chantal Thomas : le bar des trois cousines transformé en truculente roulotte étriquée, l’élégant salon du Vice-Roi, lointain vestige du temps passé et souvenir du grand opéra français avec un grotesque ballet en forme de critique sociale soulignée par le contraste des costumes de Pelly et les lumières réverbérées dans un jeu de miroirs de Michel Le Borgne, enfin les geôles de grillagées de l’autocrate Vice-Roi.
La distribution est d’une grande homogénéité, avec des chanteurs-acteurs tous plus irrésistibles les uns que les autres. La diction est impeccable, autant dans le parler que dans le chant, l’engagement scénique irréprochable. Antoinette Dennefeld est une Périchole entreprenante à la voix voluptueuse et à la diction parfaite, Stanisas de Barbeyrac un Pequillo attachant et un rien naïf doué d’un chant puissant et parfois tranché. Laurent Naoury campe un Vice-Roi inénarrable aux graves profonds qui se délecte dans son rôle de lubrique invétéré un brin machiste et fort pervers que la voix au timbre puissant et à la ligne fragile rend plus tortueux encore. En Comte de Pandellas, Rodolphe Briand est un authentique comédien qui chante. Les seconds rôles participent à la réussite du spectacle, Chloé Briot, Alix Le Saux et Eléonore Pancrazi en pétillantes cousines, le duo de courtisans serviles Rodolphe Briand et Lionel Lhote, les insupportables notaires Mitesh Khatri et Jean-Philippe Fourcade, la courtisane pétillante de Natalie Pérez, tandis que l’excellent Chœur de l’Opéra de Bordeaux donne une réplique parfaite à tous les protagonistes.
Comme toujours dans Offenbach, Marc Minkowski s’impose par le plaisir communicatif et par le jeu festif qu’il transmet à ses Musiciens du Louvre, qui brillent de tous leurs feux en un festival de virtuosité et de couleurs brûlantes merveilleusement contrastées.
Bruno Serrou
Jusqu’au
27 novembre 2022. www.theatrechampselysees.fr
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