Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mercredi 9 mars 2022
Vannina Santoni (Fiordiligi), Gaëlle Arquez (Dorabella), Cyrille Dubois (Ferrando), Laurent Naouri (Don Alfonso), Florian Sempey (Guglielmo). Photo : (c) Vincent Pontet
Dernier volet de la trilogie Mozart/Da Ponte, Cosí fan tutte est
l’une des partitions les plus inspirées du compositeur autrichien. Et le
fringant livret de Lorenzo Da Ponte est à la mesure de la musique, quoiqu’en
ait jugé la bien-pensance du XIXe siècle qui considérait cet ouvrage trop
léger, superficiel et carrément immoral, alors même que le librettiste n’a fait
que parodier les sentiments humains et les jeux de l’amour au temps des
Lumières. Combinant grivois, prosaïque et non-dits, l’argument emprunte plus ou
moins à Carlo Goldoni, mais la part revenant à Da Ponte est plus importante ici
que dans les deux précédents avatars de sa collaboration avec Mozart. C’est
cependant la musique qui fait le ciment de l’ouvrage tout entier, une musique
jamais caricaturale ni redondante, toujours sincère et tendre, gorgée tout
autant de félicité que de mélancolie, révélant délicatement les secrets de l’âme
de chacun des personnages.
Photo : (c) Vincent Pontet
Mais la difficulté dans la réalisation de cet ouvrage à la scène
est de crédibiliser les travestissements et les quiproquos qui suscitent le
trouble et la confusion de deux couples formés par deux fratries manipulées par
un vieux philosophe qui s’acoquine l’espiègle servante des jeunes femmes pour
démontrer grandeur nature l’inconstance des femmes… ainsi que des hommes, par
ricochet. En, situant la trame trois heures de rang dans un studio
d’enregistrement de Berlin apparemment inspiré d’un lieu réel, Laurent Pelly
perd son public en conjecture quant à savoir quand et comment la confusion
saisit les protagonistes et emporte la duperie.
Gaëlle Arquez (Dorabella), Vannina Santoni (Fiordiligi), Laurent Naouri (Don Alfonso), Cyrille Dubois (Ferrando), Florian Sempey (Guglielmo). Photo : (c) Vincent Pontet
Après un premier acte sans
ressort bien défini, les protagonistes passant leur temps debout ou assis
devant les pupitres où ils ont posé leurs partitions, l’action finit par se
déployer enfin au début du second acte, moment où la lecture du livret se fait
soudain littérale, mais il y a beau temps que le spectateur s’est détaché des
personnages. Heureusement, le talent comique et le directeur d’acteur qui font
la griffe de Laurent Pelly sont bel et bien présents, ne suffisant cependant pas
pour convaincre vraiment, et l’on finit par fermer les yeux pour ne plus
écouter que la musique, comme s’il s’agissait d’un concert.
Photo : (c) Vincent Pontet
Dans la fosse à moitié baissée, Emmanuelle Haïm dirige non sans
sècheresse et dureté et avec une dynamique excessive et continue qui rend
l’ensemble trop raide tout en soulignant la théâtralité, mais au détriment de
la poésie, sa conception affaiblissant la sensualité, la grâce, la fluidité du
discours mozartien, le Concert d’Astrée manquant de carnation, tandis que ses
cors savonnent les arie où ils
dominent.
Florian Sempey (Guglielmo), Gaëlle Arquez (Dorabella), Laurène Paterno (Despina), Vannina Santoni (Fiordiligi), Cyrille Dubois (Ferrando). Photo : (c) Vincent Pontet
Comme c’est souvent le cas dans les productions du Théâtre des
Champs-Elysées, la distribution réussit la gageure de réunir son cheptel de
jeunes interprètes de premier ordre. Vanina Santoni campe une séduisante Fiordiligi
impulsive et généreuse et à la voix solide et étincelante, Gaëlle Arquez est une
Dorabella vive au timbre chaud mais non exempte d’attaques plus ou moins assurées.
Laurène Paterno pourrait exceller en Despina si elle n’abusait pas des mêmes
artifices dans les deux passages où elle endosse les costumes du médecin puis
du notaire. Face aux deux sœurs, Cyrille Dubois (Ferrando) et Florian
Sempey (Guglielmo) sont deux fiancés exceptionnels, à la voix sûre et à la
ligne de chant aux accents merveilleusement mozartiens. La seule faiblesse du
cast vocal est le sceptique Don Alfonso brossé par Laurent Naouri qui ne parvient
pas à contrôler son nuancier vocal, toujours trop fort, ni sa ligne de chant
qui se durcit tout au long de la soirée.
Bruno
Serrou
Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 20 mars. Ce Cosi fan
tutte sera repris par les
coproducteurs, Théâtre de Caen, Pacific Opera Victoria et Tokyo Nikikai Opera
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