mercredi 16 février 2022

Bilan des 32e Présences de Radio France, excellent millésime autour de la belle personnalité de Tristan Murail

Paris. Festival Présences de Radio France. Maison de la Radio et de la Musique. Du 5 au 13 février 2022

                                          

En rendant à Tristan Murail à l’occasion de ses 75 ans un hommage digne de la place centrale qui est la sienne dans l’histoire de la musique de ce dernier demi-siècle, Présences de Radio France 2022 ont célébré le son dans toutes ses composantes à travers cette rayonnante, intense et douce personnalité à l’origine du courant spectral avec Gérard Grisey (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/02/tristan-murail-heros-du-32e-presences.html). Venu en nombre, attestant ainsi du dynamisme et de l’intérêt suscité par la véritable création musicale, le public ne s’y est pas trompé, écoutant avec ferveur la douzaine de concerts, concentré et se lançant dans des discussions animées durant les entractes et à la fin de chaque concert, les personnels de sécurité de Radio France ayant le plus grand mal à faire évacuer le hall de la Maison de la Radio, malgré leur insistance et leur impatience frisant l’indélicatesse.

Considérant la densité des concerts, il m’a été impossible d’assister à leur intégralité, et d’avoir raté incidemment celui de Marie Ythier est particulièrement regrettable. Mais les sept auxquels je me suis rendu sont assez représentatifs pour porter un jugement d’ensemble sur l’édition qui s’est achevée dimanche. Entendre, découvrir, redécouvrir les œuvres de Tristan Murail pour la plupart d'ores et déjà entrées dans l’histoire de la musique a constitué en soi une source de bonheur. D’autant plus qu’elles étaient disséminées dans chaque rendez-vous, avec des interprètes de premier plan.

A l’instar du concert inaugural, proprement enthousiasmant. Confié aux remarquables musiciens helvétiques du Lemanic Modern Ensemble dirigé avec maestria par le chef français Pierre Bleuse, directeur musical désigné de l’Ensemble Intercontemporain. Tandis que la jeune violoniste Diana Tishchenko se distinguait dans l’onirique Speak Be Silent de l'Australienne Liza LIM, élève de Tristan Murail, cette soirée proposait deux œuvres de MURAIL avec vidéo d’une gravité lumineuse, Near Death Experience et Liber Fulguralis. Mais le sommet de la soirée, et sans doute de la totalité de l’édition 2022 de Présences, a été la création mondiale de La Horde d’après Max Ernst qui pérennise la mythologie des peintres de Hugues DUFOURT, qui signe ici une œuvre grandiose, puissante, magistralement colorée.

Le deuxième concert était offert par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Duncan Ward. Trois créations étaient au programme, le volubile et aérien En spirale pour clarinette seule de Philippe HUREL magistralement interprété par Jérôme Comte, l’intime confession du trio Par-delà pour piano, clarinette basse et percussion d’Allain GAUSSIN, et un bien trop long Vers mes cieux vos regards pleins d’ivresse de Clara OLIVARES, œuvres auxquelles étaient ajouté un court hommage pianistique au compositeur étatsunien George CRUMB disparu le 6 février dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/02/poete-des-sons-le-compositeur-george.html). Ces pièces entouraient deux grandes partitions de Tristan MURAIL, deux œuvres cultes intégrant l’outil informatique encore balbutiant, L’Esprit des dunes pour onze instruments et sons de synthèse (1994) et surtout Désintégrations pour ensemble et sons de synthèse composé voilà tout juste quarante ans.

Le quatrième concert était monographique, puisqu’il proposait une seule œuvre d’un seul compositeur, Tristan MURAIL, joué par l’ensemble dont il est l’un des fondateurs en 1973, L’Itinéraire. Il s’agissait de Portulan, cycle en neuf parties entrepris en 2011 et achevé en 2022 donné pour la première fois dans son intégralité. Une partition envoûtante, d’une poésie fascinante qui prend l’auditeur par la main, par le cœur, par l’esprit. Les musiciens de L’Itinéraire mouture 2022, excellents de maîtrise et de son, ont emporté le public dans les sphères célestes. Dommage que l’audition ait été perturbée par des applaudissements intempestifs alors-même qu’une scénographie invitait à une écoute sans interruption.

Le septième concert était un récital de François-Frédéric Guy mettant en regard cinq Préludes et l’une des Images de Claude DEBUSSY à cinq pièces de Tristan MURAIL, dont deux créations, Impressions, soleil levant et Le Misanthrope. Au total, un superbe programme d’une poésie brûlante, intimiste, présenté dans un écrin au climat impressionniste formant comme un conte imaginaire.

Le huitième concert associait l’Orchestre National de France, le Chœur et la Maitrise de Radio France, le tout dirigé par Alexandre Bloch, directeur musical de l’Orchestre National de Lille. L’on retrouvait Allain GAUSSIN, auteur du cosmique et puissant Années-Lumière composé en 1992-1993, préludant à la monotone spiritualité hindoue de Cosmic Dance de Sébastien GAXIE en création pour chœur, maîtrise, gourou et orchestre (le chœur dans ses onomatopées rythmiques semblait marteler « Ta Cathy t’a quitté » de Bobby Lapointe…). En seconde partie, le ludique Tu es magique pour maitrise a cappella de Diana SOH, et Analogies pour quatorze musiciens de Samir AMAROUCH précédaient trop longuement les pages extraordinaires du Partage des eaux, chef-d’œuvre marin de Tristan MURAIL composé en 1995.

Le onzième concert permettait de retrouver l’ensemble L’Itinéraire, qui célébrait ses fondateurs et deux de leurs cadets : une pièce tellurique de Michael LEVINAS, Appels de 1974, Périodes composé la même année par Gérard GRISEY extrait des Espaces acoustiques, Véga composé en 1972 par Roger TESSIER et Éthers pour trio de piano, ondes Martenot et percussion (1978) de Tristan MURAIL, face à un Labyrinth pour ensemble et électronique interminable des Talia ARNAT, et surtout au volubile et ingénieux Quodlibet en création mondiale du Chilien Roque RIVAS, subtilement orchestré.

Le concert de clôture est revenu à l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé au cordeau par Brad Lubman. Ce dernier était secondé en ouverture de programme par Edo Frenkel dans l’absolu chef-d’œuvre de Jonathan HARVEY trois Timepieces donné en première française trente-cinq ans après sa création qui joue de l’ambivalence du temps, de l’espace, de la foi et des cultures. A côté, les fleurs d’Autre Nature de Jean-Luc HERVE sont apparues bien trop longues, car il a fallu attendre les ultimes instants de la pièce pour être séduit par des sons venus de partout et de nulle part, tandis que les pages d’Ensauvagement de Samir AMAROUCH tombent à plat. Le moment attendu de cette soirée dominicale qui concluait cette riche édition était la création de la « fantaisie-impromptu pour piano et orchestre » L’Œil du cyclone de Tristan MURAIL. Jouée avec allant par son commanditaire-dédicataire François-Frédéric Guy, cette œuvre richement instrumentée est emplie de surprises côté orchestration, et élégiaque côté clavier avec de longs arpèges égrenés à l’envi.

Parallèlement, Radio France rendait hommage à Claude SAMUEL, fondateur du festival Présences de Radio France, alors qu'il était Directeur de la Musique de la radio publique, à travers une exposition réalisée par Arnaud Merlin. Cette exposition est ouverte au public jusqu'au 13 mars 2022.

Bruno Serrou

A noter que les 33e Présences de Radio France auront en février 2023 pour invitée centrale la compositrice coréenne installée à Berlin Unsuk CHIN

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