Paris. Festival Présences de Radio France. Maison de la Radio et de la Musique. Du 5 au 13 février 2022
En rendant à Tristan Murail à l’occasion
de ses 75 ans un hommage digne de la place centrale qui est la sienne dans l’histoire
de la musique de ce dernier demi-siècle, Présences de Radio France 2022 ont
célébré le son dans toutes ses composantes à travers cette rayonnante, intense
et douce personnalité à l’origine du courant spectral avec Gérard Grisey (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/02/tristan-murail-heros-du-32e-presences.html).
Venu en nombre, attestant ainsi du dynamisme et de l’intérêt suscité par la véritable
création musicale, le public ne s’y est pas trompé, écoutant avec ferveur la
douzaine de concerts, concentré et se lançant dans des discussions animées durant
les entractes et à la fin de chaque concert, les personnels de sécurité de
Radio France ayant le plus grand mal à faire évacuer le hall de la Maison de la
Radio, malgré leur insistance et leur impatience frisant l’indélicatesse.
Considérant la densité des concerts,
il m’a été impossible d’assister à leur intégralité, et d’avoir raté incidemment
celui de Marie Ythier est particulièrement regrettable. Mais les sept auxquels
je me suis rendu sont assez représentatifs pour porter un jugement d’ensemble
sur l’édition qui s’est achevée dimanche. Entendre, découvrir, redécouvrir les œuvres
de Tristan Murail pour la plupart d'ores et déjà entrées dans l’histoire de la
musique a constitué en soi une source de bonheur. D’autant plus qu’elles
étaient disséminées dans chaque rendez-vous, avec des interprètes de premier
plan.
A l’instar du concert inaugural,
proprement enthousiasmant. Confié aux remarquables musiciens helvétiques du Lemanic
Modern Ensemble dirigé avec maestria par le chef français Pierre Bleuse,
directeur musical désigné de l’Ensemble Intercontemporain. Tandis que la jeune violoniste
Diana Tishchenko se distinguait dans l’onirique Speak Be Silent de l'Australienne Liza LIM, élève de Tristan
Murail, cette soirée proposait deux œuvres de MURAIL avec vidéo d’une gravité
lumineuse, Near Death Experience et Liber Fulguralis. Mais le sommet de la soirée, et sans doute de la
totalité de l’édition 2022 de Présences, a été la création mondiale de La Horde
d’après Max Ernst qui pérennise
la mythologie des peintres de Hugues DUFOURT, qui signe ici une œuvre
grandiose, puissante, magistralement colorée.
Le deuxième concert était offert par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Duncan Ward. Trois créations étaient au programme, le volubile et aérien En spirale pour clarinette seule de Philippe HUREL magistralement interprété par Jérôme Comte, l’intime confession du trio Par-delà pour piano, clarinette basse et percussion d’Allain GAUSSIN, et un bien trop long Vers mes cieux vos regards pleins d’ivresse de Clara OLIVARES, œuvres auxquelles étaient ajouté un court hommage pianistique au compositeur étatsunien George CRUMB disparu le 6 février dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/02/poete-des-sons-le-compositeur-george.html). Ces pièces entouraient deux grandes partitions de Tristan MURAIL, deux œuvres cultes intégrant l’outil informatique encore balbutiant, L’Esprit des dunes pour onze instruments et sons de synthèse (1994) et surtout Désintégrations pour ensemble et sons de synthèse composé voilà tout juste quarante ans.
Le quatrième concert était
monographique, puisqu’il proposait une seule œuvre d’un seul compositeur,
Tristan MURAIL, joué par l’ensemble dont il est l’un des fondateurs en 1973,
L’Itinéraire. Il s’agissait de Portulan,
cycle en neuf parties entrepris en 2011 et achevé en 2022 donné pour la première
fois dans son intégralité. Une partition envoûtante, d’une poésie fascinante
qui prend l’auditeur par la main, par le cœur, par l’esprit. Les musiciens de L’Itinéraire
mouture 2022, excellents de maîtrise et de son, ont emporté le public dans les
sphères célestes. Dommage que l’audition ait été perturbée par des
applaudissements intempestifs alors-même qu’une scénographie invitait à une écoute
sans interruption.
Le septième concert était un récital
de François-Frédéric Guy mettant en regard cinq Préludes et l’une des Images
de Claude DEBUSSY à cinq pièces de Tristan MURAIL, dont deux créations, Impressions, soleil levant et Le Misanthrope.
Au total, un superbe programme d’une poésie brûlante, intimiste, présenté dans
un écrin au climat impressionniste formant comme un conte imaginaire.
Le huitième concert associait l’Orchestre
National de France, le Chœur et la Maitrise de Radio France, le tout dirigé par
Alexandre Bloch, directeur musical de l’Orchestre National de Lille. L’on
retrouvait Allain GAUSSIN, auteur du cosmique et puissant Années-Lumière composé en 1992-1993, préludant à la monotone
spiritualité hindoue de Cosmic Dance de Sébastien GAXIE en création
pour chœur, maîtrise, gourou et orchestre (le chœur dans ses onomatopées
rythmiques semblait marteler « Ta Cathy t’a quitté » de Bobby Lapointe…). En
seconde partie, le ludique Tu es magique
pour maitrise a cappella de Diana SOH, et Analogies
pour quatorze musiciens de Samir AMAROUCH précédaient trop longuement les pages
extraordinaires du Partage des eaux,
chef-d’œuvre marin de Tristan MURAIL composé en 1995.
Le onzième concert permettait de
retrouver l’ensemble L’Itinéraire, qui célébrait ses fondateurs et deux de
leurs cadets : une pièce tellurique de Michael LEVINAS, Appels de 1974, Périodes composé
la même année par Gérard GRISEY extrait des Espaces
acoustiques, Véga composé en 1972 par Roger TESSIER et Éthers pour trio de piano, ondes Martenot et percussion (1978) de
Tristan MURAIL, face à un Labyrinth
pour ensemble et électronique interminable des Talia ARNAT, et surtout au volubile
et ingénieux Quodlibet en création mondiale
du Chilien Roque RIVAS, subtilement orchestré.
Le concert de clôture est revenu à l'Orchestre Philharmonique de Radio France
dirigé au cordeau par Brad Lubman. Ce dernier était secondé en ouverture de
programme par Edo Frenkel dans l’absolu chef-d’œuvre de Jonathan HARVEY trois Timepieces donné en première française
trente-cinq ans après sa création qui joue de l’ambivalence du temps, de
l’espace, de la foi et des cultures. A côté, les fleurs d’Autre Nature de Jean-Luc
HERVE sont apparues bien trop longues, car il a fallu attendre les ultimes
instants de la pièce pour être séduit par des sons venus de partout et de nulle
part, tandis que les pages d’Ensauvagement
de Samir AMAROUCH tombent à plat. Le moment attendu de cette soirée dominicale
qui concluait cette riche édition était la création de la « fantaisie-impromptu
pour piano et orchestre » L’Œil du cyclone
de Tristan MURAIL. Jouée avec allant par son commanditaire-dédicataire François-Frédéric
Guy, cette œuvre richement instrumentée est emplie de surprises côté orchestration,
et élégiaque côté clavier avec de longs arpèges égrenés à l’envi.
Parallèlement, Radio France rendait hommage à Claude SAMUEL, fondateur du festival Présences de Radio France, alors qu'il était Directeur de la Musique de la radio publique, à travers une exposition réalisée par Arnaud Merlin. Cette exposition est ouverte au public jusqu'au 13 mars 2022.
Bruno Serrou
A noter que les 33e Présences de Radio France auront en février 2023 pour invitée centrale la compositrice coréenne installée à Berlin Unsuk CHIN
"Partage des eaux" superbe : merci Tristan Murail !
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