Hongrie. Ier Festival Haydneum. Budapest. 4-6 octobre 2021. Müpa, Grande Salle Béla Bartók ; Le Monastère Carmélite, Salle des festivités ; Eglise de l’Université ; Académie Franz Liszt, Salle Solti et Grande Salle. Fertöd, Palais des Esterházy. 7 octobre 2021. Salle des fêtes.
Royaume où Joseph Haydn, maître du classicisme viennois, a passé plus du tiers de sa vie, la Hongrie vient de créer la fondation Haydneum, avec le concours du Centre de Musique Baroque de Versailles, du Palazzetto Bru Zane et du gouvernement hongrois
Pour la grande majorité des mélomanes, la musique hongroise commence avec Franz Liszt, pourtant de culture germanique, pour s’imposer au monde au tournant des XIXe-XXe siècles au moment où les pays d’Europe Centrale prenaient conscience de leurs diverses nationalités, pour se cristalliser avec Béla Bartók et Zoltán Kodály, Ernö Dohnanyi pour la composition, ou George Szell et Fritz Reiner pour la direction d’orchestre… Pourtant, malgré l’intégration à l’Empire ottoman (1541-1699) puis à l’Empire bicéphale Austro-Hongrois, la création artistique n’a pas cessé de s’y développer. En matière musicale, les compositeurs hongrois se sont imposés en Europe au XVIe siècle, mais il a fallu attendre le XVIIIe pour assister à sa renaissance sous l’impulsion du classicisme viennois.
C’est toute cette période de deux siècles (1630-1830) que la fondation Haydneum s'est donnée pour mission de promouvoir et de soutenir à travers la pratique de l’exécution historiquement informée, et de mettre au premier plan les répertoires baroque, classique et du début du romantisme en liaison avec le patrimoine culturel de la Hongrie.
La Müpa, Grande salle Béla Bartók. Photo : (c) Bruno Serrou
Après une dizaine d’années de genèse, sous l’impulsion du claveciniste chef d’orchestre György Vashegyi, directeur-fondateur du Purcell Kórus et de l’Orfeo Zenekar et président de l’Académie hongroise des Arts, et par la volonté et la participation du gouvernement hongrois, qu'est née en 2021 la Fondation Haydneum, Centre Hongrois pour la Musique Ancienne, organisateur en octobre sous son nom de la première édition d’un nouveau festival. Sa mission, la promotion et le soutien de la pratique et de la représentation historiquement informée. « Le travail réalisé en France par le Centre de Musique Baroque de Versailles et par le Palazzetto Bru Zane de Venise est aujourd’hui un modèle pour beaucoup de pays, se félicite Benoît Dartwicki. Nous développons des partenariats avec le Brésil, l’Argentine, les Etats-Unis, le Canada… En 2011, je me suis rendu compte que la Hongrie était un terreau pour la musique ancienne, en assistant à Budapest à une représentation d’Hyppolite et Aricie de Jean-Philippe Rameau joué et chanté par des Hongrois s’exprimant dans un français et dans un style impeccables, préparés et dirigés par György Vashegyi. Nous avons décidé de travailler ensemble pour l’année Rameau en 2014 avec Les Fêtes de Polymnie. Puis ce furent Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne en 2020, Les Abencérages de Cherubini… »
Haydneum dispose d’un budget comparable à ses partenaires français, 3,5 millions d’euros dotés par l’Etat hongrois, et entend déployer son festival à un rythme annuel. « Nous voulons mettre évidemment l’accent sur la musique de Joseph Haydn et de son frère Michael, reconnaît György Vashegyi, mais aussi sur des compositeurs moins connus, comme Johann Albrechtsberger, Gregor Joseph Werner, Benedek Istvánffy… L’objectif de la fondation est de poursuivre la revitalisation entreprise depuis cinquante ans du style baroque et de soutenir et l’interprétation de la musique ancienne en Hongrie en stimulant recherches, publications, formations, concerts et spectacles. Notre objectif est de programmer des artistes internationaux pour conquérir des publics à un répertoire exceptionnel dans un festival annuel se déployant à Budapest, Eszterháza et autres sites de Hongrie, et à l'étranger. »
Ainsi, c’est au cœur du riche patrimoine de Budapest, comme le Müpa (Philharmonie), l’église de l’Université, l’Académie Franz Liszt, le Monastère des Carmélites (siège du Premier Ministre hongrois), et le château Esterháza en présence du prince Antoine II Esterházy, que s’est déroulé le Premier Festival Haydneum. Deux ensembles français étaient invités, Les Talens Lyriques de Christophe Rousset Monastère des Carmélites et le Quatuor Cambini à Esterháza. Le concert d’ouverture s’est tenu dans la grande salle de la magnifique Müpa, la Salle Nationale de Concert Béla Bartók, par Les Purcell Kórus et Orfeo Zenekar (Chœur Purcell et Orchestre Orfeo) dirigés par leur directeur fondateur, György Vashegyi dans un programme d’œuvres de caractère sacré des frères Joseph et Michael Haydn, avec le Te Deum pour l’Impératrice Marie-Thérèse Hob. XXIIIc:2 du premier et la Missa Sancti Francisci Seraphici MH. 826 (1803) du second, entourant le Miserere en si bémol mineur (1780) de Johann Georg Albrechtsberger (1736-1809). Le génie du premier porte aux deux autres un coup de projecteur qui leur donne un tour archaïque, moins à son frère cependant qu’à leur contemporain, qui se répète ad noseum tout au long de sa pièce, que la distribution vocale pourtant de grande qualité (Hélène Guilmette, Marianne Beate Kielland, Bernhard Berchtold et Stephan MacLeod, et le Purcell Kórus) ne parvient pas à transcender. Côté orchestre, les parties solistes des cordes révèlent quelques défaillances, surtout le premier violoncelle qui néanmoins saura amplement rattraper ses défaillances lors du concert suivant.
Le lendemain, Monastère Carmélite, le Purcell Kórus s’est associé aux Talens Lyriques et à son fondateur Christophe Rousset pour un programme comprenant le trop court Salve Regina en mi majeur Hob. XXIIb:I en regard du trop long et lancinant oratorio Job (1748) de Gregor Joseph Werner (1693-1766), malgré le plaisir pérenne d’écouter la qualité et la grâce des interprétations de Rousset et de son ensemble ainsi que de l’équipe de chanteurs réunis pour l’occasion (Agnes Kovács, Marton Mitterutzner, Grace Durham, Fabien Hyon, Tamás Tarjányi et Christian Immler. En l’église de l’Université, sous l’intitulé « Nouvelle Génération », ce sont les étudiants des classes de musique ancienne du conservatoire de Budapest, réunis sous l’intitulé Budapest Bach Consort dirigé par Augustin Szokos qui se sont produits avec le Purcell Kórus dans des pages du XVIIIe siècle hongrois, Pál Esterházy (1635-1713), Benedek Istvanffy (1733-1778), Francz Wenzel Zivilhofer (?-1720) et Gregor Joseph Werner.
Deux concerts dans l’enceinte de la mythique Académie Franz Liszt où ont été formé et où ont enseigné les plus grands compositeurs et interprètes de la foisonnante école hongroise et dans laquelle il est impossible d’entrer sans être emporté par la plus vive émotion. Dans la Salle de musique de chambre Georg Solti, la Capella Savaria de l’excellent violoniste Kalló Zsolt a présenté trois œuvres des frères Haydn, le Concerto pour violon en la majeur MH 207 dirigé du violon par le directeur musical de l’ensemble et le Concerto pour flûte en ré majeur MH 15 P. 56 avec en soliste Andrea Bertalan, concert conclu avec énergie par la Symphonie en si b »mol majeur Hob. I:77 de Joseph Haydn. A peine le temps de se retourner, un second concert enchaînait, cette fois dans la Grande Salle de l’Académie Franz Liszt où tant de grands noms de l’histoire de la musique des deux derniers siècles se sont produits. Cette fois, rien moins que l’excellent Freiburger Barockorchester sous la houlette de son directeur artistique, le violoniste Gottfried von der Goltz. Alors que l’on s’attendait à entendre le Concerto pour piano en la mineur op. 85/2 de Johann Nepomuk Hummel, l’on apprenait au début du concert que le forte-pianiste Mihály Berecz était défaillant, et ce fut une symphonie de Mozart qui prit sa place, à la suite de l’ouverture Preciosa de Carl Maria von Weber, suivie par une enthousiasmante Symphonie n° 96 en ré majeur « Le Miracle » Hob. I:96 de Joseph Haydn…
Mais le moment le plus extraordinaire de cette semaine de musique baroque hongroise a été la journée dans l’enceinte du Palais des Esterházy à Fertöd à quelques kilomètres de Sopron, sur la route reliant Budapest à Vienne. Hélas, le théâtre de Haydn n’a pas été utilisé pour l’occasion, nous n’avons pu que le visiter, tandis qu’une statue de Joseph Haydn grandeur nature, pétrifié matchant et portant d’une partition, en garde l’entrée, figé pour l’éternité, ce qui n’est pas sans susciter une vive émotion.
C’est donc dans le salon de musique du château, en présence du prince Antoine II Esterházy, que trois concerts privés exclusivement consacrés à Joseph Haydn ont été proposés à un public volontairement restreint. Le premier a permis d’entendre le forte-pianiste défaillant la veille, Mihály Berecz dans deux Sonates pour piano, en si bémol majeur Hob. XVI:41 et en sol majeur Hob. XVI:40, et ce n’est pas sans regret que nous avons été privé de la belle cantate Arianna a Naxos initialement prévue, cette fois à cause de l’absence de la soprano.
Venu spécialement de Paris pour l’occasion, le Quatuor Cambini s’est imposé par leur remarquable prestation dans les Quatuors à cordes op. 50/2 en ut majeur Hob. III:45 et op. 33/5 en sol majeur Hob. III:41, tandis que la soirée et la première édition du Festival Haydneum s’achevaient avec l’Orchestre Orfeo de György Vashegyi et le forte-pianiste Mihály Berecz dans le Concerto pour piano en ré majeur Hob. XVIII:11, tandis que l’orchestre seul donnait la nuit tombée la Symphonie « Le Matin » en ré majeur Hob. I:6… sans doute pour annoncer la deuxième édition du festival…
Bruno Serrou
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