Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Iole, Francesca Aspromonte / Ercole,
Nahuel Di Pierro /
Deianira, Giuseppina Bridelli / Illo,
Krystian Adam. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Immense compositeur du tournant de
la Renaissance et du baroque, maître de l’opéra italien naissant, Francesco Cavalli (1602-1676) est inexplicablement rarement programmé par les théâtres lyriques
français. Sauf erreur ou omission, en optant pour Ercole Amante, c’est
seulement la seconde production de l’ère moderne de cet ouvrage composé pour le
mariage de Louis XIV et de l’Infante d’Espagne Marie-Thérèse d’Autriche en 1662
à Saint-Jean-de-Luz et créé peu après dans les jardin des Tuileries devant plus
de quatre mille convives. On se demande d’ailleurs ce qu’ont pu comprendre à l’action
le public français à l’écoute d’un livret en italien…
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Cinzia,
Giulia Semanzato / chœur Pygmalion. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Elève de Claudio
Monteverdi, Pier Francesco Cavalli est aux côtés de son maître le plus grand
compositeur lyrique du seicento (XVIIe
siècle italien). Chantre et organiste à la chapelle de la basilique San-Marco
de Venise alors dirigée par Monteverdi, puis organiste et maître de chapelle,
auteur d’une quarantaine d’ouvrages lyriques, il a porté à son apogée l’opéra
vénitien qui, bientôt, allait être submergé par son rival napolitain. L’on ne
peut que regretter cette lamentable situation, tant le premier est largement supérieur
au second, car infiniment plus « moderne » et créatif, d’autant
plus qu’il se fonde sur des livrets d’une portée poétique inégalable et d’une
force dramatique qui confine au théâtre tandis que le second suscitera pour
l’essentiel des morceaux de bravoure vocale avec des arie da capo et des
roucoulades interminables figeant l’action et nécessitant les récitatifs secs
pour la faire un tantinet progresser, tandis que les ensembles vocaux passent
par pertes et profits. De quoi s’ennuyer ferme, même noblement, à moins de
s’occuper un tant soit peu en mondanités, victuailles et autres libations moins
avouables… Il faudra attendre Gluck et Mozart pour que l’opéra retourne peu ou
prou aux sources vénitiennes et reprenne son essor après s’être libéré du
carcan de l’opera seria et de l’opera buffa, styles obligés de
1650 à 1780 environ.
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Venere,
Giulia Semanzato / Ercole, Nahuel Di Pierro. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Sept
ans et demi après la découverte parisienne de la remarquable production du
Théâtre des Champs-Elysées en avril 2012 de La
Didone (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2012/04/resurrection-dun-chef-duvre-de-lopera.html) sur un livret de Giovanni Francesco Busenello également
auteur de celui du Couronnement de Poppée de Monteverdi, l’Opéra Comique, en
coproduction avec le Château de Versailles et l’Opéra donne une nouvelle chance
à une œuvre de onze ans postérieure, Ercole
amante (Hercule amoureux),
quarante et un an après la mémorable production que l’Opéra de Lyon avait
confiée en mai 1979 à Michel Corboz, qui en avait fait un arrangement pour l’occasion
aujourd’hui contesté, et à Jean-Louis Martinoty, signataire d’une mise en scène
somptueuse, spectacle repris au printemps 1981 au Théâtre du Châtelet dans
le cadre du Festival de France.
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Pasitea,
Eugénie Lefebvre / Giunone, Anna Bonitatibus. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Ce fut
alors une formidable découverte, et l’on sut grâce à cette résurrection combien
l’opéra vénitien tenait en Cavalli un véritable génie. Jean-Baptiste Lully, après avoir tout fait pour saboter la création de l'opéra du Vénitien, saura s’en souvenir une fois devenu le compositeur attitré du roi Louis XIV et le maître adoubé des fête et de la musique du château de Versailles. Ercole amante a en effet
constitué le cadeau de mariage du cardinal Mazarin, d’origine italienne à son
roi, le jeune Louis XIV. Celui-ci, amoureux de la nièce de Mazarin, avait en
effet accepté pour raisons diplomatiques à la demande de l’oncle de sa Dulcinée d’épouser l’Infante d’Espagne
pour sceller la paix entre les deux monarchies, Bourbon et Habsbourg, qui n’avaient
cessé de se faire la guerre pendant un quart de siècle. C’est ainsi que le
jeune roi est devenu sous les traits d’Hercule le héros d’un opéra sur un
livret italien d’un fin connaisseur de la monarchie française, l’abbé Francesco
Buti. Le meilleur architecte de théâtre de l’époque, Gaspare Vigarani, autre
Italien, fut recruté pour édifier une salle dotée d’une machinerie ambitieuse, et
Mazarin convia le musicien le plus fameux, le Vénitien Francesco Cavalli. Avec
lui, furent conviés des chanteurs juin italiens,
dont des castrats, interdits sur les scènes lyriques françaises. Le mariage fut
célébré le 7 juin 1660, et il fallut attendre le 2 février 1662 pour qu’Ercole amante soit enfin représenté. Entre temps, Mazarin mourut, et avec lui
le protecteur des Italiens à la cour de France, le couple royal avait donné
naissance au dauphin, et le mariage n’avait plus rien d’une idylle, d’autant
moins que Louis XIV était sur le point de faire de Louis de La Vallière sa
favorite, tandis que Lully, devenu compositeur officiel, commençait à imposer
le ballet de cour. Tant et si bien que Cavalli fut obligé de se fondre au sein
d’un spectacle réglé par Lully au milieu d’un spectacle en dix-huit parties au
milieu duquel l’opéra fut noyé - situation que reprendront Richard Strauss et Hugo
von Hofmannsthal dans Ariadne aus Naxos.
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Nettuno,
Luca Tittoto / Illo, Krystian Adam. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Malgré
les nombreuses coupures imposées par Lully, le dénouement de l’opéra de Cavalli
annoncé dans le prologue politique, reste celui dicté par Mazarin, Hercule se
dépouillant des faiblesses humaines pour épouser un destin supérieur. Cavalli
vécut cette expérience malheureuse comme un échec personnel, et aucun théâtre
vénitien ne put rassembler une distribution aussi grandiose, un chœur et un
orchestre aussi fournis qu’à Paris. Si bien qu’Ercole
amante n’a jamais été repris.
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Iole, Francesca Aspromonte / chœur
Pygmalion. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
C’est
la première fois en France depuis la création de l’œuvre en 1662 qu’Ercole amante est joué sur instruments d’époque, sous la direction énergique
et colorée de Raphaël Pichon à la tête de son magnifique ensemble Pygmalion. Le
jeune chef claveciniste français a spatialisé une partie de son orchestre,
distribuant des instruments à vent et à percussion dans les
dégagements de la salle Favart derrière le public et dans les coulisses, ainsi
que ses choristes, tandis que la percussion extrêmement fournie participe amplement
aux effets dramatiques. Restent les contrastes comédie/tragédie/onirisme/transports
amoureux, en un mot les affetti chers
à Cavalli, qui n'apparaissent pas assez marqués, mais peut-être est-ce dû à la mise
en scène qui gomme les contrastes.
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Deianira, Giuseppina Bridelli / Illo,
Krystian Adam. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Pourtant,
si la féerie du spectacle créé Salle des Machines aux Tuileries dans un décor
de l’ingénieur Giacomo Torelli devant quatre milliers de spectateurs ne pouvait
être réalisée dans la salle plus exigüe de l’Opéra Comique, qui est loin de
disposer des budgets colossaux de la cour de Louis XIV, les moyens du bord ont
permis aux deux metteurs en scène, Valérie Lesort et Christian Hecq, de
réaliser des effets bienvenus, avec la complicité du scénographe Laurent
Peduzzi, qui a conçu des décors naïfs d’esprit et très efficaces, avec la
présence entre autres d’une nacelle, de trapèzes volants portant des acrobates
virevoltants, de trappes, de fausse mer, de voilier, de sous-marin, de tombes, de
parterre de fleurs, de gradins, de portes, de masques, de danseurs, d'oiseaux, de volailles, de doux
monstre en peluche, etc.
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Cette
musique sublime est remarquablement interprétée par une distribution de grande
qualité, avec dans le rôle-titre l’excellent baryton brésilien Nahuel Di Pierro
au timbre de bronze, le solide et ardent Ilio du ténor polonais Krystian Adam, le
sonore et réjouissant Neptune de la basse corsée italienne Luca Tittoto, le
tortueux Licco de l’inusable contreténor français Dominique Visse. Côté femmes,
les Italiennes font nombre, avec la mezzo-soprano Anna Bonitatibus qui campe
une séduisante et vindicative Junon, Giuseppina Bridelli une Déjanire au timbre
d’argent, à l’instar de la soprano Francesca Aspromonte émouvante dans le personnage
d’Iole, Giulia Semenzato dans le triple rôle de Vénus, Bellezza et Cinzia…
Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante. Il
Paggio, Ray Chenez / Licco, Dominique Visse. Photo : (c) Stefan Brion / Opéra Comique
Trois
heures trente de bonheur dont il ne faut surtout pas se priver, qui, pour les
non-Parisiens, sera diffusé sur Arte Concert le 12 novembre.
Bruno
Serrou
Opéra
Comique jusqu’au 12 novembre. Le spectacle est repris à l’Opéra de Versailles
les 23 et 24 novembre. Diffusion sur Arte Concert le 12 novembre et
ultérieurement sur France Musique
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