jeudi 16 janvier 2014

L’opéra de chambre "The Rape of Lucretia" de Britten conforte le bien-fondé de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris

Paris, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, mercredi 15 janvier 2014
 
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Aude Extrémo (Lucretia), Vladimir Kapshuk (Tarquinius). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca

Entre deux nouvelles productions lyriques, la Grande Duchesse de Gerolstein d’Offenbach (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/12/les-brigands-saccaparent-avec.html) et Der Kaiser von Atlantis d’Ullmann (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/01/larcal-presente-une-nouvelle-production.html), le Théâtre de l’Athénée accueille l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris pour une reprise de la pénétrante production qu’il avait présentée en juin 2007 de The Rape of Lucretia de Benjamin Britten.
 
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Elodie Hache (Female Chorus) et Kévin Amiel (Male Chorus). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca

S’il n’y a eu en 2013 aucun ouvrage lyrique du compositeur britannique présenté à Paris l’année du centenaire de sa naissance, il convient de féliciter l’Athénée et les jeunes professionnels en cycle de perfectionnement à l’Opéra de Paris de présenter cette œuvre exigeante et forte. C’est en effet le Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, salle d’art dramatique organisatrice par ailleurs de sa propre saison d’opéra située il est vrai à un jet de pierre de Garnier, qu’est présentée une seconde fois en sept ans cette production intelligemment élaborée par le Britannique Stephen Taylor, directeur de l’Atelier du Rhin à Colmar qui maîtrise donc ce type de travail.
 
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Aude Extrémo (Lucretia). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca
 
Toute de délicatesse et d’expressivité, cette œuvre est difficile à mettre en place tant elle requiert tact et finesse d’esprit. En reprenant en 1946 le mythe antique de Lucrèce - le viol de la plus vertueuse des Romaines par le roi étrusque Tarquinius, mythe fondateur de la première République romaine - amplement repris depuis Tite-Live, Britten et son librettiste Ronald Duncan ont voulu dénoncer les outrances de la guerre et de la haine en confrontant le mal et l’innocence, l’amour et le désir, les convoitises coupables et les frustrations. Après le succès de Peter Grimes, le compositeur renonce au grand orchestre et aux exigences des vastes salles pour se tourner vers l’opéra de chambre et le théâtre, avec des chanteurs qui sont aussi acteurs. Ce livret onirique a inspiré une partition d’une force évocatrice exceptionnelle qui transcende une intrigue sophistiquée, ne serait-ce qu’en raison de l’omniprésence d’un chœur antique réduit à deux personnages. Seul l’épilogue peut prêter le flanc à la critique, avec une morale finale voulue par Britten qui reprend l’exhortation chrétienne du pardon greffée sur une tragédie antique qui n’offre guère d’espoir de rédemption.
 
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Damien Pass (Junius), Pietro Di Bianco (Collatinus), Aude Extrémo (Lucretia), Cornelia Oncioiu (Bianca). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca

Transposant l’action dans une garnison de la Seconde Guerre mondiale, la mise en scène de Stephen Taylor, remarquablement sertie du décor mobile de Laurent Peduzzi, est sobre et intense. A l’exception de la scénographie et de la mise en scène, que Stephen Taylor a retravaillée pour l’adapter à la nouvelle génération des jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, l’équipe artistique a complètement changé. Dans la fosse un peu sèche du Théâtre de l’Athénée, Maxime Pascal et son et son ensemble en résidence Le Balcon s’est substitué au chef britannique Neil Beardmore et à l’Ensemble de Basse-Normandie, qui se révèlent plus virtuoses que leurs prédécesseurs dans cette partition délicate à mettre en place chaque instrumentiste s’exprimant en soliste, même si les attaques ne sont pas toujours sûres, notamment du cor et des deux violons. Sous la direction énergique et tendue de Maxime Pascal, le plateau est totalement engagé, chaque rôle habité et chanté avec spontanéité et chaleur. Après un premier acte réservé, la mezzo-soprano française Aude Extrémo campe une Lucretia lumineuse et éperdue, la soprano française Armelle Khourdoïan est une Lucia juvénile aux aigus rayonnants, la mezzo-soprano roumaine Cornelia Oncioiu reste la brûlante Bianca qu’elle était voilà sept ans dans cette même production. Le baryton-basse italien Pietro di Bianco est un ardent Collatinus, à l’instar de Damien Pass en Junius. Le baryton ukrainien Vladimir Kapshuk est moins en phase avec les exigences du rôle de Tarquinius, malgré sa prestance de jeune premier, sa voix comme son jeu étant moins sûrs que chez ses partenaires. Mais ce sont les coryphées qui convainquent le plus, l’ardent ténor toulousain Kévin Amiel et la bouillonnante soprano Elodie Hache. Au total, un travail d’atelier remarquable au service d’une musique magnétique.
 
Bruno Serrou

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