Paris,
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, mercredi 15 janvier 2014
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Aude Extrémo (Lucretia), Vladimir Kapshuk (Tarquinius). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca
Entre deux nouvelles productions lyriques, la Grande Duchesse de
Gerolstein d’Offenbach (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/12/les-brigands-saccaparent-avec.html)
et Der Kaiser von Atlantis d’Ullmann (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/01/larcal-presente-une-nouvelle-production.html),
le Théâtre de l’Athénée accueille l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris pour
une reprise de la pénétrante production qu’il avait présentée en juin 2007 de The Rape of Lucretia de Benjamin
Britten.
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Elodie Hache (Female Chorus) et Kévin Amiel (Male Chorus). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca
S’il n’y a eu en 2013 aucun ouvrage lyrique du compositeur
britannique présenté à Paris l’année du centenaire de sa naissance, il convient
de féliciter l’Athénée et les jeunes professionnels en cycle de
perfectionnement à l’Opéra de Paris de présenter cette œuvre exigeante et forte.
C’est en effet le Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, salle d’art dramatique
organisatrice par ailleurs de sa propre saison d’opéra située il est vrai à un
jet de pierre de Garnier, qu’est présentée une seconde fois en sept ans cette
production intelligemment élaborée par le Britannique Stephen Taylor, directeur
de l’Atelier du Rhin à Colmar qui maîtrise donc ce type de travail.
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Aude Extrémo (Lucretia). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca
Toute de délicatesse
et d’expressivité, cette œuvre est difficile à mettre en place tant elle requiert
tact et finesse d’esprit. En reprenant en 1946 le
mythe antique de Lucrèce - le viol de la plus vertueuse des Romaines par le roi
étrusque Tarquinius, mythe fondateur de la première République romaine -
amplement repris depuis Tite-Live, Britten et son librettiste Ronald Duncan ont
voulu dénoncer les outrances de la guerre et de la haine en confrontant le mal
et l’innocence, l’amour et le désir, les convoitises coupables et les frustrations.
Après le succès de Peter Grimes, le compositeur renonce au grand
orchestre et aux exigences des vastes salles pour se tourner vers l’opéra de
chambre et le théâtre, avec des chanteurs qui sont aussi acteurs. Ce livret
onirique a inspiré une partition d’une force évocatrice exceptionnelle qui
transcende une intrigue sophistiquée, ne serait-ce qu’en raison de l’omniprésence
d’un chœur antique réduit à deux personnages. Seul l’épilogue peut prêter le flanc à la critique, avec une morale finale voulue
par Britten qui reprend l’exhortation chrétienne du pardon greffée sur une
tragédie antique qui n’offre guère d’espoir de rédemption.
Benjamin Britten (1913-1976), The Rape of Lucretia. Damien Pass (Junius), Pietro Di Bianco (Collatinus), Aude Extrémo (Lucretia), Cornelia Oncioiu (Bianca). Photo : (c) Opéra national de Paris / Mirco Magliocca
Transposant l’action dans une garnison de la Seconde
Guerre mondiale, la mise en scène de Stephen Taylor, remarquablement sertie du
décor mobile de Laurent Peduzzi, est sobre et intense. A l’exception de la
scénographie et de la mise en scène, que Stephen Taylor a retravaillée pour l’adapter
à la nouvelle génération des jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra
de Paris, l’équipe artistique a complètement changé. Dans la fosse un peu sèche
du Théâtre de l’Athénée, Maxime Pascal et son et son ensemble en résidence Le
Balcon s’est substitué au chef britannique Neil Beardmore et à l’Ensemble de
Basse-Normandie, qui se révèlent plus virtuoses que leurs prédécesseurs dans
cette partition délicate à mettre en place chaque instrumentiste s’exprimant en
soliste, même si les attaques ne sont pas toujours sûres, notamment du cor et
des deux violons. Sous la direction énergique et tendue de Maxime Pascal, le plateau
est totalement engagé, chaque rôle habité et chanté avec spontanéité et
chaleur. Après un premier acte réservé, la mezzo-soprano française Aude Extrémo
campe une Lucretia lumineuse et éperdue, la soprano française Armelle Khourdoïan
est une Lucia juvénile aux aigus rayonnants, la mezzo-soprano roumaine Cornelia
Oncioiu reste la brûlante Bianca qu’elle était voilà sept ans dans cette même
production. Le baryton-basse italien Pietro di Bianco est un ardent Collatinus,
à l’instar de Damien Pass en Junius. Le baryton ukrainien Vladimir Kapshuk est
moins en phase avec les exigences du rôle de Tarquinius, malgré sa prestance de
jeune premier, sa voix comme son jeu étant moins sûrs que chez ses partenaires.
Mais ce sont les coryphées qui convainquent le plus, l’ardent ténor toulousain Kévin
Amiel et la bouillonnante soprano Elodie Hache. Au total, un travail d’atelier remarquable
au service d’une musique magnétique.
Bruno Serrou
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