Paris, Salle Pleyel, jeudi 9 janvier 2014
Valentina Lisitsa. Photo : DR
Présentée
par sa maison de disques comme « la pianiste 2.0 » pour ses 62
millions de clics et 108.000 abonnés sur YouTube, où elle a mis elle-même plus
de deux cents vidéos de ses prestations, ce qui fait d’elle la musicienne
classique la plus écoutée et regardée dans le monde, Valentina Lisitsa a acquis
sa réputation sur la toile bien avant de s’imposer à la scène. Née en 1973 à
Kiev, où elle a étudié au Conservatoire, vivant aux Etats-Unis depuis 1992, la
pianiste américano-ukrainienne est encore peu connue en France. Parmi ses
premiers enregistrements, un disque avec la violoniste Hilary Hahn consacré aux
sonates de Charles Ives paru en 2011 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/02/cd-hilary-hahn-et-valentina-lisitsa.html).
Survenus
de façon fortuite, les débuts parisiens en concerto de Valentina Lisitsa ont
conquis le public de Pleyel et les musiciens de l’Orchestre de Paris.
Remplaçant au pied levé Boris Berezovsky vaincu par la grippe alors qu’il se
trouvait à Moscou, la pianiste s’est imposée à 41 ans comme une musicienne
accomplie douée d’une force et d’une virtuosité d’airain. Connue pour s’habiller
« horriblement », comme elle l’a confié dans un entretien pour le
site Internet ResMusica (voir http://www.resmusica.com/2013/09/13/valentina-lisitsa-la-pianiste-2-0),
ce que n’a pas démenti sa petite robe de cocktail rouge « PC » qu’elle
avait revêtu hier, elle a accepté d’interpréter le programme prévu par son aîné,
le rebattu Concerto pour piano et orchestre
n° 1 en mi bémol majeur et l’implacable Totentanz
pour piano et orchestre de Franz Liszt. Les bras, les mains et les doigts d’une
ampleur impressionnante, assise droite et concentrée devant le clavier, qui semble appuyé sur ses jambes, regardant chef et orchestre de façon détendue entre deux traits solistes,
la pianiste joue dextrement d’un nuancier infini, tirant de l’instrument des
couleurs somptueuses et des sonorités d’une ampleur phénoménale magnifiées par
un toucher fluide et aérien, capable autant de puissance que de pianissimi
cristallins.
Paavo Järvi. Photo : DR
Si l’on peut regretter des tempi un peu trop lents dans le
concerto, la Danse macabre s’est
avérée hallucinante de force, de violence, de tension menaçante, de pressentiment,
mais non dénuée de poésie exaltée par un toucher scintillant et arachnéen. L’Orchestre
de Paris a tissé une trame sonore incandescente, ce qui a d’autant plus mis en
évidence quelques approximations des cordes dans le concerto, avec les deux
premiers pupitres de premiers violons auteurs d'attaques peu assurées suivis de l’intervention
du premier violoncelle qui a semblé surpris de voir survenir son solo, l’archet
attaquant mollement et les doigts légèrement en dessous de la note, tous trois étant remarquablement
rattrapés par la dextérité et le rendu sonore de la première altiste, Ana Bela
Chaves, tandis qu’il convient de saluer la remarquable prestation de Philippe
Berrod (clarinette), Giorgio Mandelosi (basson) et André Cazalet (cor), mais
aussi les premiers flûtiste et hautboïste que je n’ai pu voir de mon fauteuil d’orchestre,
tous fort sollicités tout au long de la soirée.
Chaleureusement
applaudie par une salle conquise par sa maîtrise olympienne, Valentina Lisitsa
s’est lancée dans une série de quatre bis dont la durée totale de vingt-cinq
minutes tient du mini récital. Pour récupérer de sa prestation tenant de la
performance sportive dans la Danse
macabre, la pianiste a joué l’Ave
Maria de Schubert dans l’arrangement
de Liszt, suivie de la Capanella de Liszt qui a préludé à un finale de la Sonate n° 7 de Prokofiev singulier de puissance assumée et de virtuosité, avant de
conclure sur un Nocturne de Chopin
pour calmer les ardeurs de son auditoire. Mais ce dernier ne semblant pas vouloir
la lâcher, la pianiste a fini par tirer Philippe Aïche par le bras pour que l’orchestre
vienne à sa rescousse en se levant pour signifier la fin de sa prestation.
Orchestre de Paris et Paavo Järvi. Photo : DR
Cette
quasi demi-heure de récital non-prévu m’aura finalement empêché d’écouter la
totalité de la seconde partie du concert, entièrement occupée par la Symphonie n° 4 en fa mineur op. 36 de
Tchaïkovski. Un compositeur qui a toujours réussi à l’Orchestre de Paris, mes
souvenirs remontant à une extraordinaire « Pathétique »
en 1974 au Théâtre des Champs-Elysées dirigée par Seiji Ozawa… Sous la
direction assumée de Paavo Järvi, la phalange sonne tout en rondeur et en
plénitude, dès les fanfares d’entrée dont les onze éléments (cinq cors, deux
trompettes, trois trombones, tuba) qui ont sonné fièrement les premières
mesures introduisant l’Andante sostenuto initial, tandis que les bois et les
cordes ont rivalisé en panache, s’épanouissant dans le chant morbide de l’Andantino in modo canzona.
Mais les horaires de la SNCF m’ont contraint à renoncer à la suite de la
symphonie…
Eric Tanguy (né en 1968) et Paavo Järvi. Photo : (c) Orchestre de Paris, DR
Le
concert s’était ouvert sur la création d’une pièce pour grand orchestre d’Eric
Tanguy (né en 1968), dont le titre en forme de dédicace renvoie à l’un des plus grands
compositeurs français du XXe siècle disparu le 22 mai dernier à l’âge
de 97 ans, Affettuoso, « In memoriam
Henri Dutilleux ». Une œuvre d’un peu moins d’un quart d’heure fruit d’une
commande de l’Orchestre de Paris où l’on retrouve la pâte du vieux maître mais
sans les dissonances ni l’audace de l’orchestration ni les résonances en creux,
l’œuvre sonnant plutôt massif et usant fort épisodiquement de soli. Dans son texte de présentation, Eric
Tanguy, qui fonde sa partition sur la note « ré » (D dans la notation anglo-saxonne, le D
de Dutilleux), motive sa dédicace en rappelant ses rapports avec Henri
Dutilleux, qui aura entretenu des relations suivies et souvent étroites voire
admiratives, toutes écoles confondues, avec plusieurs générations de
compositeurs, de ce fait tous aussi légitimes que Tanguy à se réclamer de lui
et à lui rendre un hommage appuyé.
Bruno Serrou
Nocturne de Chopin ?
RépondreSupprimerBravo Bruno pour votre blog. J'ai raté ce concert, mais fort heureusement pas celui de la salle Gaveau en Mai. Très beau concert également de Valentina Lisitsa malgré un piano calamiteux (pourtant un superbe Pleyel) et une explosion d'un spot en pleine Tempête (de Beethoven). Valentina ne s'est pas affolée pour autant et a interprété une superbe sonate....
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