Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mardi 8 avril 2025
Dans la perspective de la Semaine
Sainte la semaine prochaine, l’Orchestre de Paris a programmé un oratorio sacré
de Johann Sebastian Bach. Cette fois, non pas l’une des deux Passions, mais la Messe en si mineur BWV 232 dirigée par son directeur musical, Klaus Mäkelä, avec un
dispositif plaçant les bois au centre des effectifs ainsi que les violoncelles
et les trois contrebasses derrière, trois trompettes côté jardin, timbales à
coté, et le cor côté cour derrière le continuo, les quatre chanteurs solistes
s’exprimant de façon usuelle de part et d’autre du chef, le chœur derrière
l’orchestre, en petit effectif d’abord puis renforcé à partir du Sanctus.
Interprétation dynamique et de grande spiritualité, avec des bois, des
trompettes et des cordes superbes, mais un cor solo tétanisé par la crainte des
pains, qui du coup n’ont pas manqué de s’enchaîner, si bien que la basse dans
sa première aria était inaudible dans
son registre grave…
« L’une des plus grandes joies de ma vie… La Messe en si mineur
de Bach ce soir et demain ! », écrivait mardi Klaus Mäkelä sur le mur
de son compte Facebook quelques heures
avant le premier des deux concerts… Monument suprême de la musique sacrée occidentale,
la Messe en si mineur BWV 232 ne
cesse de fasciner les générations successives d’interprètes et de mélomanes.
Les questions qu’elle soulève tant auprès des musicologues que des chefs d’orchestre
sont nombreuses, chacun y trouvant ses propres éléments de lecture avec l’humilité
qui s’impose. Composée en 1724 et 1749, dédiée en 1733 à l’Electeur de Saxe roi
de Pologne Frédéric-Auguste II par Johann Sebastian Bach pour chœur à cinq
voix, cinq chanteurs solistes (deux sopranos, contralto, ténor, basse) et
orchestre (cor, trois trompettes, timbales, hautbois da caccia, deux flûtes
traversières, trois hautbois, deux hautbois d’amour, deux bassons, cordes et
continuo), la partition, qui compte vingt-sept numéros distribués en quatre
parties (Missa brevis - Kyrie et Gloria - en douze sections, Symbolum
Niceum en dix sections, six pour le Sanctus)
dont le genèse s’étend sur un quart de siècle, se présente tel le testament
musical du Cantor. Il s’agit en fait essentiellement d’un assemblage de pages
puisées dans plusieurs de ses œuvres et réécrites par ses soins selon le
procédé dit de la « parodie », qui consiste à reprendre une musique conçue
sur un autre texte et de la développer, ou d’en copier le style, à l’instar de
ce que Bach a réalisé dans l’Oratorio de
Noël. Ainsi, la cantate BWV 12 Weinen,
Klagen, Sorgen, Zagen a fourni le matériau du Crucifixus, la cantate BWV
215 Preise dein Glücke, gesegnetes Sachsen (J’apprécie ton bonheur, Saxe bénie) celui de l’Hosanna, l’Oratorio de l’Ascension
BWV 11 à l’Agnus Dei… Seul un
tiers de l’œuvre est constitué de pages qui lui sont propres, Credo, Incarnatus et Confiteor étant
des dernières compositions de Bach. Côté tonalité, c’est naturellement le si
mineur du morceau initial, Kyrie eleison,
qui la donne, les autres numéros, à l’exception du n° 26 (Agnus Dei en sol mineur), étant dans les tonalités voisines,
essentiellement dans la gamme relative de ré majeur, dans treize des vingt-sept
numéros.
La composition de la Messe en si
mineur se déploie en deux grandes époques. La première dans les années
1730, tandis que le Cantor de Leipzig cherche la reconnaissance du duc de Saxe
et espère être nommé à la cour catholique de Dresde, posant un premier point
final en 1733 alors qu’il considère l’œuvre comme terminée, posant une double
barre finale au Gloria comme s’il s’agissait
d’une Missa brevis, la seconde fois en
1748, après qu’il eût ajouté les parties traditionnelles de l’office liturgique
romain, le Credo, le Sanctus et les parties finales de l’ordinaire
au moment même où le compositeur est touché par la cécité.
La Messe en si mineur de Bach a été introduite au répertoire de l’Orchestre de Paris en 1971, cinq ans avant la création du Chœur, sous la direction de Kurt Masur, qui était venu à l’époque auréolé de la tradition saxonne, le chef allemand étant à ce moment-là le titulaire adulé de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig. L’été de l’année suivante, lui succédait le grand chef lyrique italien mû par une profonde spiritualité Carlo Maria Giulini sur l’immense plateau du Théâtre antique d’Orange, puis en 1988 Salle Pleyel, tandis qu’en 1976 un autre éminent spécialiste du Cantor, Karl Richter, en avait proposé sa conception au Palais des Congrès, avant qu’un chef baroque se voit confié l’Orchestre de Paris dans cette même œuvre, le Néerlandais Frans Brüggen, en 2001. Puis plus rien pendant un quart de siècle, jusqu’à ce qu’enfin, un chef de la grande tradition quoique le plus jeune de tous, et pour la première fois porteur du titre de directeur musical, Klaus Mäkelä, décide du haut de ses vingt-neuf ans de diriger l’œuvre liturgique phare de Bach. Sans atteindre la force spirituelle d’un Giulini, qui construisait la Messe de Bach comme une grande arche spectaculaire au cœur du mystère chrétien, le jeune Finlandais a su donner au chef-d’œuvre du Cantor une émotion qui a emporté le cœur du public dès la fugue du Kyrie aux accents rayonnants et vivifiants. Le Gloria est empli de compassion, ménageant autant la joie que la tristesse transcendées par des sursauts de vitalité portée à leur summum dans le Cum sancto spirito final. Les arie successives sont contrastées et pleine d’ardeur, chantées avec ferveur par un quatuor de grande qualité (la soprano allemande Nikola Hillebrand qui remplaçait sa compatriote Julia Kleiter, la contralto allemande Wiebke Lehmkuhl, le ténor britannique Nicholas Scott et le baryton-basse Milan Siljanov) aux voix belles et sobres, parfaitement mises en valeur par les solistes de l’Orchestre de Paris constitué de quarante-trois (deux flûtes, trois hautbois, deux bassons, cor, trois trompettes, timbales, clavecin/orgue positif, seize violons, six altos, cinq violoncelles, trois contrebasses), en particulier le violon solo invitée, Sarah Nemtanu, titulaire du même poste à l’Orchestre National de France, le flûtiste Vicens Prats, les hautbois d’amour Sébastien Giot et Rebecca Neumann, le basson Marc Trénel, les trompettistes Célestin Guérin, Laurent Bourdon, Stéphane Gourval, le continuo dont la brillante Marie Van Rhijn aux claviers. Seul problème de poids, car il a réfréné le baryton-basse Milan Siljanov dans sa première grande aria Quoniam tu solus sanctus dont les graves étaient comme tétanisés au point d’être quasi inaudibles, la complicité chanteur/corniste s’avérant impossible en raison d’une précision fort aléatoire des attaques, annihilant la souplesse majestueuse qu’appelle ce passage, avant que se concluent les douze parties de la Missa brevis initiale sur l’exaltation du chœur Cum sancto spirito dialoguant sur le clair élan des trompettes qui exultent à l’évocation du dôme céleste. Formé de deux ensembles, les effectifs choraux, n’ont été utilisés en leur totalité qu’à la toute fin de l’exécution, l’essentiel étant assuré par le remarquable Chœur Le Concert d’Astrée constitué de vingt-huit chanteurs généralement attachés à l’ensemble instrumental éponyme fondé à Lille par Emmanuelle Haïm voilà vingt-cinq ans, rejoints dans le Sanctus et les sections finales (Osanna, Benedictus, Agnus Dei, Dona nobis pacem) par vingt-huit membres de l’Académie du Chœur de l’Orchestre de Paris constitué de jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans issus des conservatoires parisiens et de la périphérie.
Une soirée emplie de grâce fervente et d’humanité pour un vibrant
prologue aux fêtes pascales à six jours de la Semaine Sainte 2025…
Bruno Serrou
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