Bruxelles. Festival Musicorum. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Salle des concerts. Jeudi 24 août 2023
Magique ! Tout simplement magnifique… Une extraordinaire musicienne s’est imposée au plein cœur de l’été bruxellois ! Une musicalité stupéfiante. Un nom à retenir absolument : Georgia Koumentakou… Onze ans et déjà tout d’une grande. Une découverte que je ne suis pas près d’oublier tant le talent est déjà impressionnant, le potentiel énorme, la tenue de l’instrument et de l’archet d’un naturel confondant, le tout au service de la seule musique et de ses auteurs. Si bien que l’on ne peut que convenir que cette jeune fille semble être née avec un violon et un archet dans les mains. Une technique imparable si maîtrisée et assimilée qu’il n’est aucunement question pour elle de démonstrations pyrotechniques ni d’artifices de funambules que trop de jeunes instrumentistes de son âge ont sous le coude, ce côté « singe savant » qui tient davantage de l’esbroufe démonstrative de virtuosité, au détriment de la musicalité…
Chez Georgia Koumentakou, déjà
titulaire de plusieurs premiers prix de concours internationaux, tout est là, magistrale
de naturel, de technique, de tenue, de son, de présence, de grâce… Cette enfant est
déjà une violoniste aguerrie qui a la musique et la scène dans le sang. Comme
le remarquait la pianiste Eliane Reyes, qui l’a programmée dans ce festival Musicorum (1) et qui fut en son temps une enfant prodige, cette jeune violoniste est si
naturellement douée et si éblouissante, que l’on se met immédiarement à vibrer à son écoute au point d'en avoir la chair de poule, voire les larmes qui montent aux yeux tant l’émotion est à
son comble, avouait-elle timidement à l'issue du concert.
Pourtant, la pianiste belge,
professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris,
pianiste accompagnatrice titulaire du Concours Reine Elisabeth de Belgique, a
l’habitude d’entendre et de découvrir de nouveaux talents et de se
produire avec eux. En outre, voilà cinq ans qu’elle programme des jeunes
solistes, chambristes, ensembles et orchestres pour le festival Musicorum. Elle
partage cette enthousiasmante mission avec deux autres directeurs artistiques, ses
confrères pianistes Yannick Van De Velde et Jean-Claude Vanden Eynden. Musicorum, dont la périodicité couvre les deux mois d’été, du premier lundi de juillet au
dernier vendredi d’août à raison de cinq concerts par semaine du lundi au
vendredi à l’heure du déjeuner, a été fondée en 1982 par Jacques Van der Biest,
curé de la paroisse bruxelloise des Minimes, sous le nom de Festival des
Minimes et sur un modèle puisé en Suède de concerts gratuits à l’heure du
déjeuner. Le but de cette manifestation aujourd’hui présidée par Amaury de Merode
et dont l’équipe est constituée uniquement de bénévoles, y compris l’administratrice
Marjana Van Damme-Mandi, est depuis ses origines de présenter de jeunes virtuoses
se produisant aux côtés d’artistes internationaux dans des concerts gratuits
jouant des œuvres moins courues qu’à l’ordinaire à l’issue desquels le public
est libre de déposer ou non la somme qu’il entend donner aux artistes dans une
corbeille discrètement mise à disposition à la sortie du concert. Il faut dire
que budget et subsides sont des plus réduits, avec le soutien du seul mécénat,
notamment de la Loterie nationale belge, des pianos Fazoli, du Concours de Musique de
Breughel, de GPartners et de Vanhecke, et surtout des Musées royaux des
Beaux-Arts de Belgique qui mettent leur salle de concerts à disposition du festival
pendant deux mois.
Poussé par mes impressions positives suscitées par sa découverte voilà quatre ans sur YouTube, suivant depuis lors sa fructueuse évolution, j’ai pu écouter pour la première fois en concert live jeudi 24 août la jeune violoniste gréco-polono-belge Georgia Koumentakou (2). Née le 26 février 2012 à Bruxelles de père grec et de mère polonaise, elle-même concertiste et musicologue enseignant à l’Université de Cracovie, elle est l’élève de la classe de talents d’Erik Sluys et participe à des masters classes de Philippe Graffin, qui ne cesse de faire son éloge, de Tatiana Samouil, Aleksey Semenko et Vaclav Hudecek.
Elle a donné son premier concert à six ans et s’est produite à dix ans pour la première fois avec un orchestre à Lemmeninstituut dans le Concerto pour violon et orchestre en mi mineur op. 64 de Félix Mendelssohn-Bartholdy avec l’orchestre Stringendo dirigé par Pascale Van Os. Un an plus tôt, elle remportait son premier concours (Jonge Solisten de Leuven). En juillet 2022, elle a reçu le Grand Prix du concours Music Academy Forte à Bruxelles. En avril 2023, elle est la seule violoniste européenne à participer à la finale du Concours International Arthur Grumiaux. Musicienne dans l’âme, la jeune fille parle couramment cinq langues et aime à se produire dans les maisons de retraite et pour les enfants défavorisés et handicapés, tout en restant une enfant de son âge, jouant à satiété avec ses deux soeurs cadettes, artistes elles aussi, et ses amies, passionnée d’histoire, de littérature, de nature, pratiquant quantité de disciplines sportives et fréquentant assidument les musées.
Cette ouverture intellectuelle et spirituelle participe à la qualité saisissante de cette jeune musicienne. Un son large, plein et lumineux, une maîtrise de l’archet inouïe, un vibrato d’une rare perfection, des harmoniques d’une pureté ahurissante, telles sont les caractéristiques de cette musicienne accomplie qui n’est jamais dans la virtuosité démonstrative tant elle donne avec un naturel confondant la priorité au chant, à l’expression, à la lumière. Un silence impressionnant trahissant une concentration extrême de la part du public, a régné dans l’atmosphère de la salle dont la jauge de quatre cent cinquante places était quasi remplie. Un public ne manifestant unanimement sa présence et son enthousiasme qu’à la fin de chaque morceau d’un programme consistant.
Contenue et réservée au début, la violoniste, écoutée avec bienveillance par le public, a pris ses marques et la mesure de la salle dans les deux premières pièces, la Chaconne en sol mineur de Tomaso Antonio Vitali (1663-1745) suivie du finale (Allegro energico) du Concerto n° 1 pour violon en sol mineur op. 26 de Max Bruch (1838-1920) qui étaient déjà emplies de délicatesse et de charme, soutenues par le pianiste belge d’origine bulgare Philippe Ivanov, qui s’est fait judicieusement discret dans un premier temps pour laisser sa jeune partenaire prendre ses marques, avant de former avec elle un véritable duo dans un bouillonnant Rondo en ut majeur KV. 373 de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) suivi d'un splendide et tendre Adagio en mi majeur KV. 261 du même Mozart aux sonorités riches et charnues, pour finir sur une rutilante Polonaise en la majeur op. 21 d’Henryk Wieniawski (1835-1880) au caractère virtuose avec de longs fragments staccato joués en un seul trait d’archet que Georgia Koumentakou a réussi à maîtriser l’air de rien pour restituer l’ardente expressivité de la partition remarquablement soutenue dans ses intentions par Philippe Ivanov.
En bis, les deux musiciens n’ont pas donné dans la demi-mesure, proposant un délectable mouvement lent, Adagio religioso, du Concerto n° 4 pour violon en ré mineur op. 31 du compositeur belge Henri Vieuxtemps (1820-1881). A la fin du concert, l’on sentait combien la jeune violoniste avait envie de retenir le temps et de faire perdurer son récital…
1) Le Festival Musicorum se termine jeudi 31 août. Entrée libre dans la
mesure des places disponibles. www.musicorum.be
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