Pour cette 42e édition, la première post-Covid, le public est revenu, confiant et heureux de retrouver le piano dans tous ses états, à La Roque d’Anthéron et aux quatre coins du département des Bouches-du-Rhône.
Malgré le conflit russo-ukrainien
dont les menaces et les conséquences assombrissent les esprits, et qui touche
la nation de Sviatoslav Richter à qui l’animateur du festival, René Martin,
doit tant, la Russie, d’où tant de pianistes de génie sont originaires, le
public s’enthousiasme devant les prestations de ceux que La Roque d’Anthéron
accueille cette année. « L’école russe du piano est l’une des plus
importantes au monde, remarque René Martin, directeur-fondateur du Festival.
Impossible de s’en passer et d’en priver le public. Seuls ceux qui se sont
prononcés en faveur des fauteurs de guerre sont condamnables. Et surtout pas
les jeunes ! » Ainsi, la dernière semaine de juillet a vu florilège
de pianistes russes, stars et jeunes pousses, se produire sous le ciel de
Provence…
Récital d’une poésie et d’une beauté
surnaturelle de Nikolaï Lugansky parc du château de Florans. Deux parties
séparées par une courte pause, car il n’est pour le moment pas encore question d’entractes
: Beethoven avec une impressionnante Tempête
parsemée de silences déchirants, une Appassionata
d’une densité étourdissante, puis deux Russes, avec trois des Mélodies oubliées de Medtner et cinq Études
de Rachmaninov d’une richesse sonore singulière. Tout d’élégance, Lugansky joue
un piano d’une grande noblesse au service d’un chant absolu.
Salle Pagnol, exception de la
semaine, la pianiste franco-haïtienne Célimène Daudet dans un somptueux Livre
II des Préludes de Debussy, tout en
nuances, en onirisme, véritable livre d’images et d’atmosphères, mais une Sonate n° 3 de Chopin moins convaincante
avec des tempos trop serrés et précipités dans le mouvement initial, étouffant
les résonances.
Puis ce fut le miracle Mikhaïl
Pletnev avec les Préludes de Scriabine
et de Chopin. Une interprétation d’une rare profondeur, tout en intensité et en
délicatesse, magnifiée par des rubatos vertigineux de témérité, un legato hors
normes, une retenue, une flamme intérieure inouïes. Comme seul au monde malgré une
salle comble qui retenait son souffle, le musicien russe vivant à Genève jouait
sur son piano prototype japonais Shigeru-Kawaï qui le suit partout. Un moment
de grâce prodigieux à marquer d’une pierre blanche.
Médaille d’argent du Concours Van
Cliburn 2022, la pianiste russe vivant en Lituanie, Anna Geniushene a confirmé
ce que le jury américain a décelé en elle de talent dans un programme apparemment
éclectique mais qu’elle a su rendre homogène, avec de poétiques Ballades op. 10 de Brahms, une
transcription de Liszt d’Aïda de
Verdi au lyrisme ardent, et une saisissante Sonate
n° 8 de Prokofiev sertie d’une énergie vitale.
Parallèlement au piano, des concerts de musique ancienne sont proposés dans l’après-midi dans le cloître de l’abbaye de Silvacane. Salomé Gasselin (gambiste) et Violaine Cochard (clavecin) ont joué des duos d’une grande variété avec élan et onirisme, un florilège de pages de Marin Marais, Sainte Colombe (émouvante Chaconne pour viole solo), Duphly (brillante Médée pour clavecin seul), Forqueray, Dandrieu et Caix d’Hervelois.
Consacré au seul
Jean-Sébastien Bach, le programme du second duo, Margaux Blanchard (viole de
gambe) et Diego Ares (clavecin) était sur le papier plus austère. Brillamment
joué, il s’est avéré en fait assez « folklorique » entre programme imprimé et
programme joué, le tout assumé avec le sourire.
Bruno Serrou
Jusqu’au 20 août 2022. Réservations :
04.42.50.51.15. www.festival-piano.com
[D'après l'article publié dans le quotidien La Croix]
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