Née le 16 mars 1933, la cantatrice espagnole Teresa Brganza est l’une des plus grandes mezzo-sopranos du XXe siècle. Etroitement associée aux oeuvres vocales de Rossini, Mozart, Bizet, célébrée pour ses prestations dans l’opéra baroque, elle est unanimement admirée pour sa virtuosité technique, son intelligence musicale et sa présence scénique engageante.
Teresa Berganza (1933-2022). Photo : DR
Férue de peinture, de poésie, de littérature, artiste criante de vérité, sa grâce naturelle, le bonheur de vivre qui émanaient de sa personne, la sobriété de ses interprétations ont fait de Teresa Berganza la plus éblouissante des Carmen, personnage qu’elle a incarné sur toutes les scènes du monde, le chef autrichien Herbert von Karajan allant jusqu’à la reconnaitre comme « la Carmen du siècle », avant de préciser que « Au côté de Placido Domingo, elle a livré la plus grande Carmen de l’histoire de l’opéra ». Elle a également été une admirable interprète de Rossini et de Mozart, campant notamment une avenante Zerlina au cinéma dans le Don Giovanni du cinéaste britannique Joseph Losey dirigé par Lorin Maazel aux côtés de Kiri Te Kanawa, Edda Moser, Ruggiero Raimondi, José van Dam et Kenneth Riegel.
Teresa Berganza dans le rôle-titre de Carmen de Georges Bizet. Photo : DR
Musicienne accomplie jusqu’au plus profond de l’âme, elle avait abordé la musique sous l’impulsion de son père pianiste, travaillant le piano, l’orgue, l’harmonie, la direction d'orchestre et la composition au Conservatoire de Madrid, tout en se destinant au chant dès l’âge de huit ans, art qu’elle a étudié avec une élève d’Elisabeth Schumann, Lola Rodriguez Aragón, qui lui a inculqué les spécificités de l'art du chant Rossini et Mozart. Après une crise mystique qui l'a conduite à vivre quelques temps dans un couvent, elle fait des débuts fracassants en 1958 en Dorabella de Cosi fan tutte de Mozart au Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être invitée l’année suivante au Festival de Glyndebourne comme Cherubino des Nozze di Figaro. Elle conquiert définitivement le public dans la Cenerentola de Rossini sous la direction de Claudio Abbado, qui la célébrait comme « la plus sublime des mezzo-sopranos ». C’est le chef italien qui lui fait aborder Carmen, qu’elle chante immédiatement avec simplicité et une vérité dramatique exceptionnelle.
Teresa Berganza dans Le Nozze di Figaro de Mozart dans le rôle de Cherubino, avec à sa droite Claudio Abbado et Mirella Freni (la Comtesse Almaviva). Photo : DR
C'est le chef d'orchestre espagnol Ataulfo Argenta que l'avait remarquée alors qu’elle était soliste dans le chœur Cantores de Madrid. Il l’invite aussitôt à participer sous sa direction à l’enregistrement d’une zarzuela. En 1955, un premier récital à Madrid ne soulève guère l’attention de la critique. Gabriel Dussurget, qui l’auditionne à Paris, est en revanche conquis d'emblée. Sans hésitation, il lui confie, pour sa première apparition sur scène, le rôle de Dorabella dans le cadre du festival d'Aix-en-Provence 1957, aux côtés de Teresa Stich-Randall, Rolando Panerai et Luigi Alva. Elle y retournera en 1960, 1962 et 1964 pour y chanter Cherubino - rôle dans lequel elle se produit à l’Opéra de Paris en 1967 et 1973 -, et Didon (Didon et Enée de Purcell) en 1960 et 1961, Ottavia du Couronnement de Poppée de Monteverdi en 1960 et 1967, Alcina de Haendel en 1978. En 1977, elle s’impose en Angelina de La Cenerentola de Rossini à l’Opéra de Paris, année où elle aborde le rôle de Carmen au Festival d’Edimbourg dans une mise en scène de Piero Faggioni et sous la direction de Claudio Abbado, production qu’elle reprend à Paris, Salle Favart, en mai 1980 et que j'ai eu personnellement le bonheur de voir et dont je garde un souvenir impérissable. En 1972 elle fait ses débuts au Festival de Salzbourg en Cherubino sous la direction de Herbert Karajan, chante Carmen à Bercy en 1989, rôle dans lequel elle se produit pour la dernière fois en 1992 à Séville sous la direction de Placido Domingo, qui a longtemps été son Don José.
L’immense mezzo-soprano espagnole est ainsi entrée très tôt dans la légende, au point de marquer l’histoire de la musique de son vivant en incarnant d'incomparables Carmen, Rosina, Angelina, Rinaldo, Charlotte, Cherubino, Dorabella, Zerlina. Récitaliste hors-pair et pédagogue engagée, enseignant notamment en région parisienne, à Bougival, faisant travailler les jeunes chanteurs sur des opéras intégraux, dont de fameuses master classes sur Carmen, la trilogie Da Ponte-Mozart ou les opéras de Rossini.
Parallèlement à sa carrière scénique, elle donne de nombreux récitals à la Scala de Milan, à Covent Garden, au Théâtre du Châtelet, entre autres, et chante volontiers la zarzuela et des chansons populaires espagnoles, ainsi que l’œuvre vocale de Manuel de Falla, ses mélodies et la Vie brève. L’âge de la retraite venu, elle se consacre à l’enseignement tout en se produisant encore en récital, où en quelques minutes, elle brossait des opéras entiers.
Voilà peu, Teresa Berganza avait demandé à
ses proches : « Je veux partir sans faire de bruit... Pas de publicité
publique, pas de veillée funèbre, rien. Je suis venue au monde et personne ne l’a
su, alors je souhaite la même chose quand je partirai. »
Sa discographie et sa filmographie considérables
(Decca, DG, Sony entre autres) sauvegardent sa mémoire pour l’éternité.
Bruno Serrou
Bibliographie
Teresa Berganza, Meditaciones de Una Cantante. Madrid,
1985
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