Strasbourg. Musica. Palais de la musique et des congrès, Salle de la Bourse, Opéra national de Strasbourg. Vendredi 18, samedi 19, dimanche 20 septembre 2020
Beaucoup de changements pour le plus grand festival français voué à la création musicale qui fait son entrée dans le XXIe siècle
Le monde et les temps changent, y compris dans le champ de la création musicale. En deux ans le virage est impressionnant et symptomatique. Là où il y a deux ans Musica défendait une manière de penser la création dans l’héritage des mouvements et écoles successifs des avant-gardes, l’arrivée à sa tête l’an dernier d’un nouveau directeur artistique, Stéphane Roth, fait que le festival, qui se veut le reflet de la création d’aujourd’hui, se présente pour sa trente-huitième édition comme une « borne générationnelle ».
« Nous en sommes à la post-musique savante, avertit Stéphane Roth. Voilà vingt ans que nous sommes au XXIe siècle, le XXe est donc déjà loin, et la définition de la musique a changé de logiciel. Aujourd’hui il y a la vidéo, les technologies informatiques, l’édition papier n’a presque plus cours, les musiques populaires sont devenues inventives, à l’instar du rap, qui l’est autant sur le plan musical que poétique, il a désormais ses Verlaine et ses Rimbaud... Mon moto est “à bas les catégories”, les génies créateurs sont partout. » Et plus besoin d’avoir fait de longues études de composition pour avoir du talent. A tel point qu’en deux éditions, le public a été renouvelé à soixante pour cent, tandis que les fidèles sont tout aussi nombreux qu’auparavant, bien qu’ils s’avouent « un peu déboussolés » tout en prêtant une oreille attentive à ce souffle nouveau. « Nous restons dans la continuité du projet initial de 1983, assure néanmoins Stéphane Roth, et nous avons créé un Minimusica qui s’adresse aux enfants de trois mois à douze ans, ainsi que des programmes spécifiques pour les diverses tranches d’âge jusqu’à 27 ans, avec des spectacles adaptés reflétant la programmation générale. »
Musica souhaite aussi se déployer sur l’ensemble du territoire de la région Grand-Est, avec des débordements transfrontaliers, Allemagne, Belgique, Luxembourg, et développer les coproductions avec les infrastructures locales et régionales, avec théâtres comme le Théâtre National de Strasbourg (TNS), Le Maillon, l’Opéra du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, les ensembles voués à la musique contemporaines, La Manufacture de Mulhouse, etc.
L’édition 2020 subit les aléas de l’épidémie de la Covid-19, avec des programmes fixés au tout dernier moment, puisqu’ils ont fini par être cristallisés peu de jours avant l’ouverture, en fonction des normes sanitaires strictement suivies quoique en constante évolution (quinze mille spectateurs en 2019, neuf mille en 2020). Ainsi, un certain nombre d’œuvres ont été déprogrammées pour être éventuellement reportées sur les prochaines éditions.
Le week-end d’ouverture montre combien la musique planante plus ou moins
vertébrée a le vent en poupe. Les tempos lentissimes,
les œuvres sans début ni fin, sécables à volonté sont systématiques. Les
ruptures de rythmes, d’atmosphères, les tensions et rémissions sont fort rares.
Autant en musique pour orchestre que pour chœurs ou de chambre. Au point que
l’on a l’impression de rester dans la même œuvre des heures entières, malgré
les changements de compositeurs et d’effectifs.
Le pianiste joue de deux claviers, celui de son grand-queue au-dessus duquel est posé un clavier électronique chargé d’incarner le son du piano en lambeaux que le soliste préalablement filmé en noir et blanc joue simultanément. Une pluie de clusters (au sens musical du terme, pas celui des néfastes « foyers » de covid-19) joués avec des gants noirs, découle du combat titanesque et ludique entre le double-pianiste et l’orchestre, et qui reprend à la fin une citation du Concerto n° 1 de Tchaïkovski, qui tente une percée. Ce combat dantesque particulièrement réjouissant entre deux pianos est joué avec panache par Nicolas Hodges et le Basel Sinfonietta réduit à soixante-dix musiciens au lieu des quatre vingt quinze prévus par la partition, à cause de la distanciation contrainte par le covid-19. Précédent cette oeuvre, le Teenage Lontano pour choeur amateur d'adolescents a capella de Marina Rosenfeld (née en 1968) préludait à Joshua Tree de Georg Friedrich Haas (né en 1953), les deux partitions semblant sortir du même moule, la seconde apparaissant comme la version orchestrale de la première...
La veille au soir, le programme d’ouverture avait été conséquent, avec entre
autres un singulier Run Time Error du
même Steen-Andersen par le somptueux Ensemble Modern, et une œuvre référence des
années 1970, Stimmung de Karlheinz Stockhausen
(1928-2007), interprétée de façon trop linéaire par l’ensemble vocal Les
Métaboles. Le Trio Catch, après deux
pièces fleurant des travaux d’élèves, a donné aux Trios pour violoncelle, clarinette et piano de Beat Furrer (né en
1954) et de Georges Aperghis (né en 1945) la dimension de classiques. Malgré son
indéniable talent, le Quatuor Diotima n’a pas réussi à sortir l’auditoire d’une
fatale torpeur suscitée par des musiques planantes et interminables signées
Ryoji Ikeda (né en 1966) qui encadraient le sublime Quatuor op. 131 de Beethoven, où les Diotima n’ont pas été exempts
de déséquilibres sonores et de légères approximations.
Les œuvres pour percussions du même Ryoji Ikeda n’ont pas la même ambition
que ses dispositifs audiovisuels mis en jeu dans ses Body Music et Metal Music
donnés la veille par les percussionnistes Alexandre Babel et Stéphane Garin. A l’exception
de Ball Music, qui joue avec le
rebond de balles de ping-pong, les autres pièces relèvent des farces et
attrapes, notamment un interminable duo, Telegraph Music, de morse digne du S.O.S. lancé par le
Titanic en train de couler...
En préfiguration de ses futures collaborations avec l’Opéra du Rhin, Musica
a intégré une production nouvelle de l’Opéra de Strasbourg loin de ses
standards, puisqu’il s’est agi d’un spectacle de Calixto Bieito, Solveig [L’Attente] tiré de la musique de scène de Peer Gynt d’Edvard Grieg (1843-1907), avec la superbe soprano
suédoise Mari Eriksmoen, le remarquable choeur de l’Opéra strasbourgeois et un
Orchestre philharmonique de Strasbourg en grande forme dirigé avec onirisme par
Elvind Gullberg Jensen.
Bruno Serrou
Jusqu’au 3 octobre. Tel.: +33 (0)9 54 10 41 96. www.festivalmusica.fr
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