Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig
Après le relatif
dénuement de son Don Carlo de Verdi
repris à l’Opéra-Bastille voilà peu, Krzysztof Warlikowski présente à La
Monnaie de Bruxelles des Contes
d’Hoffmann imposants voire surchargés.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Patricia Petibon, Eric Cutler. Photo : (c) Bernd Uhlig
Au sein
d’une scénographie faite de meubles années cinquante et de dorures de théâtre, les
hommes se retrouvent sous l’empire de l’alcool entourés de femmes mues par le
plaisir. A l’arrière-plan, les immuables vidéos plus ou moins tournées en
direct sont projetées sur des écrans venus des cintres.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Eric Cutler, Michèle Losier. Photo : (c) Bernd Uhlig
Krzysztof
Warlikowski assemble ici tout ce qui lui est cher, jouant de l’exubérance et
conviant le cinéma Hollywoodien, de Cukor à Lynch, de Kubrick à Sorrentino, pour
évoquer les amours passées douloureuses de l’homme torturé qu’est le poète
Hoffmann que seul l’alcool console tandis qu’il mesure combien les trois femmes
qu’il a le plus aimées n’en forment qu’une.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Eric Cutler, Patricia Petibon. Photo : (c) Bernd Uhlig
Pour sa
cinquième production à La Monnaie, après Macbeth
de Verdi en 2010), Médée de Cherubini
et Lulu de Berg en 2012 et Don Giovanni
de Mozart en 2014, Warlikowski semble avoir voulu réunir ici toutes ses
obsessions, outre les vidéos et les références au cinéma, le théâtre dans le
théâtre, la mise en abime du public avec le chœur assis en miroir sur les mêmes
fauteuils d’orchestre, le studio d’enregistrement qui apparaît depuis les
cintres pour capter une bande-son gravant pour l’éternité la trajectoire de
leur idole Hoffmann, les visages projetés en gros plans par une caméra
indiscrète, le bar mondain enfumé, le tout renvoyant au film de George Cukor A Star is born. A l’instar de sa
remarquable Lulu, Warlikowski conte
ici une histoire d’ascensions et de chutes, avec ce héros perdu, ce chanteur
alcoolique qui essaie de vivre son rêve à travers la poupée Olympia qui
s’exprime tel un automate, la cantatrice Antonia que le star system voue à la
mort, et l’actrice porno Giulietta qui renvoie aux stars fanées qu’Hollywood a
tant produit. Les références sont si nombreuses qu’elles en deviennent un
catalogue déjà vu.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Eric Cutler; Pätricia Petibon. Photo : (c) Bernd Uhlig
Alain
Altinoglu dirige avec une délectation non feinte et un engagement communicatif
une partition dont il souligne la moindre inflexion avec le soutien d’un
orchestre chatoyant dont les musiciens s’illustrent jusqu’au plus petit solo.
Brillant coloriste, le chef français offre à son orchestre des reliefs quasi cinématographiques,
et, à l’instar de Warlikowski, il ménage à la perfection les espaces pour
tragédie et la comédie, la gravité et le comique, se situant ainsi entre le
drame lyrique et l’opéra bouffe.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Willard White, Michèle Losier, Eric Cutler, Alejandro Fonte, Byoungjin Lee. Photo : (c) Bernd Uhlig
Excellent
directeur d’acteur, Krzysztof Warlikowski transmet à sa troupe de chanteurs la passion
de jouer, tandis qu’Alain Altinoglu la soutient et la sollicite avec une
attention de chaque instant. Un coup dse chapeau pour commencer, la dextérité de chanteurs-jongleurs. Il faut dire que la distribution est d’une totale
homogénéité. Même si Willard White n’a plus la solidité et la rectitude vocale d’antan,
il n’en est pas moins un Luther et un père d’Antonia d’une grande noblesse.
Cinéaste hollywoodien, amoureux des femmes, alcoolique, suicidaire, l’Hoffmann
d’Eric Cutler impressionne autant sur le plan théâtral que vocal, chantant avec
naturel, colorant sa voix de ténor tel un bel-cantiste.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Gabor Bretz, Patricia Petibon, Michèle Losier, Eric Cutler. Photo : (c) Bernd Uhlig
Conformément
à la volonté de Jacques Offenbach, le metteur en scène polonais confie
plusieurs rôles à un même chanteur afin de démontrer la diversité d’un même
personnage. A ce jeu, Patricia Petibon s’impose par son agilité à passer de la
poupée désarticulée (chantant à la limite de la justesse avec une constance
déconcertante), à la Giulietta courtisane en passant par la chanteuse maudite
Antonia, incarnant avec une facilité déconcertante toutes les facettes de la
femme, infantile, passionnée, mûrissante et meurtrie, de sa voix droite,
spontanée, polychrome, charnelle.
Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Yoann Dubruque, Patricia Petibon, Eric Cutler, Gabor Bretz. Photo : (c) Bernd Uhlig
Michèle
Losier se fait remarquer par son aisance et sa plastique vocale, suave et
profonde, dans les rôles de Niklausse et de la Muse. Les quatre figures
diaboliques (Lindorf, Coppelius, Miracle, Dopertutto) sont remarquablement
incarnées par Gábor Bretz, basse ample et sûre. Loïc Félix, voix lyrique et
lumineuse, sert admirablement les personnages de Frantz, Andrès, Cochenille,
Pitichinaccio, et François Piolino est un lugubre Spalanzani/Nathanaël.
Bruno
Serrou
Jusqu’au
2/01/2020. Res. : +32 2 229 12 00. https://www.lamonnaie.be/fr
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