vendredi 6 janvier 2017

Avec "Orphée et Eurydice" de Gluck, Maëlle Poésy signe à l’Opéra de Dijon une première mise en scène sans caractère

Dijon. Opéra de Dijon. Auditorium. Mercredi 4 janvier 2017

Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Orphée et Eurydice. Elodie Fonnard (Eurydice), Anders J. Dahlin (Orphée), Sara Gouzy (Amour). Photo : (c) Gilles Abegg / Opéra de Dijon

C’est en italien que le chevalier Christoph Willibald Gluck (1714-1787) donna à Vienne en 1762 la création de l’un des ouvrages les plus célèbres du répertoire lyrique, Orfeo ed Euridice. Après cette première version en trois courts actes sur un livret de Calzabigi où le rôle principal était confié à un contralto castrat, Gluck retravailla son opéra pour Paris en 1774 sous le titre Orphée et Eurydice, dans une traduction française en quatre actes et enrichi de modifications significatives, dont le personnage d’Orphée écrit pour un ténor aigu. Cette variante est proposée par Angers Nantes Opéra dans une nouvelle production confiée à Emmanuelle Bastet (1).

Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Orphée et Eurydice. Photo : (c) Gilles Abegg / Opéra de Dijon

Quatre ans après la touchante conception d’Emmanuelle Bastet à Nantes, qui faisait du poète musicien descendu aux Enfers pour sauver sa femme Eurydice morte prématurément une métaphore de l’impossible deuil, la conception de sa consœur Maëlle Poésy reste obscure, bien qu’à ses… yeux, la question centrale de l’opéra de Gluck soit celle du… regard. Voulant assurément se démarquer et s’imposer comme metteur en scène de théâtre, la comédienne fait entendre l’ouverture à rideau ouvert tandis que se déroulent sur le plateau les noces d’Orphée et d’Eurydice qui ne sont pas dans l’original de Gluck, qui limite sa narration à l’orchestre seul aux élans festifs et insouciants. Lorsque soudain Eurydice s’effondre, apparemment foudroyée par une crise cardiaque. Le chœur dégage alors le buffet et les fleurs de la longue table du banquet pour y déposer le corps inanimé d’Eurydice. Rendu à ce point de l’intrigue, l’opéra peut commencer… Contrairement au décor de l’Orfeo et Monteverdi vu dans ce même Auditorium de Dijon dans une mise en scène rock & roll d’Yves Lenoir (http://brunoserrou.blogspot.fr/2016/10/lorfeo-de-monteverdi-deux-conceptions.html) qui occupait l’espace entier, celui de Damien Caille-Perret se perd dans l’immensité de la scène de l’Auditorium, comme s’il avait été conçu pour un plateau plus petit ou pour une longue tournée : un décor au plafond évolutif où perce de plus en plus le dessous de la terre traversé par une énorme racine d’arbre, « arbre de vie, arbre de la connaissance, arbre de l’immortalité » selon la metteur en scène, avec à l’avant un praticable ou sont disposés divers éléments décoratifs ou vide de tout accessoire. 

Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Orphée et EurydiceAnders J. Dahlin (Orphée), Elodie Fonnard (Eurydice), choeurs. Photo : (c) Gilles Abegg / Opéra de Dijon

Les dégagements sont trop larges et les éclairages de Joël Hourbeigt ne parviennent pas à les dissimuler à la vue du public. Ce qui fait que la scénographie semble étriquée, tandis que les costumes Camille Vallat sont d’une morose grisaille. Mais le pire réside dans l’absence de direction d’acteur, et le manque d’efficacité et de réglages dans les mouvements des chœurs. Quant à la transformation d’Amour en « go-between » mi-homme mi-femme accoutré d’un tutu et harnaché d’un sac à dos de routier, elle suscite opportunément l’hilarité du public.

Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Orphée et EurydiceAnders J. Dahlin (Orphée), Elodie Fonnard (Eurydice). Photo : (c) Gilles Abegg / Opéra de Dijon

Reste heureusement la partie essentielle, la musique. De ce point de vue, l’entreprise est réussie. La distribution est menée par le ténor suédois Anders J. Dahlin, à la voix haut-perchée au timbre délicat et rayonnant, s’exprimant dans un français sans tâche, mais à qui il manque un peu de puissance pour une salle aussi grande que l’Auditorium de Dijon. Eurydice est tenue par Elodie Fonnard, exercée à ce répertoire sous l’égide de William Christie et des Arts florissants, a la voix plus puissante mais apparaît moins sûre, tandis que Sara Gouzy, plus effacé vocalement, se plaît à camper un Amour versatile. Le chœur de l’Opéra de Dijon est homogène, et les décalages que l’on peut relever sont légers. Mais c’est l’Orchestre Dijon Bourgogne, apparemment modeste, qui tire cet Orphée et Eurydice vers une belle musicalité, avec à la fois ses sonorités très XVIIIe siècle, sa justesse et ses soli d’une solidité à toute épreuve, mené avec dextérité, allant et onirisme par le chef espagnol Iñaki Encina Oyón.

Bruno Serrou


1) En 1859, le Théâtre-Lyrique de Paris confiait à Hector Berlioz la reprise de l’ouvrage, avec, en Orphée, la mezzo-soprano Pauline Viardot, sœur de la Malibran. Cette version a été donnée avec succès à Nantes en 2012 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire