mercredi 27 mai 2015

Un diptyque lyrique Sciarrino/Fiszbein ouvre en fanfare le festival du Balcon et Maxime Pascal Théâtre de l’Athénée

Paris, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, samedi 23 mai 2015

Maxime Pascal. Photo : DR

Avant sa fermeture pendant plus d’une saison pour cause de travaux de réfection (nouvelle fausse d’orchestre, nouveaux fauteuils, etc.) et de mise aux normes électriques, informatiques, d’hygiène et de sécurité, vingt-cinq ans après la dernière tranche de travaux, le Théâtre de l’Athénée a offert à l’équipe du Balcon et à son directeur musical et artistique, Maxime Pascal, un véritable festival dans le cadre duquel la formation en résidence dans cet auguste théâtre a programmé trois opéras contemporains, dont un en création, et un autre dans une version remaniée par le compositeur, qui sera présenté courant juin.

Fernando Fiszbein (né en 1977), avenida de los incas 3518. Les trois compères. Photo : DR

Fiszbein, avenida de los incas 3518

En mai, les deux premiers ouvrages ont été présentés sous forme de diptyque. En première partie de ce dernier, un ouvrage en première mondiale, avenida de los incas 3518 de l’Argentin Fernando Fiszbein. Né à Buenos Aires en 1977, bandonéoniste, Fiszbein est de ces nombreux Argentins à avoir choisi de s’installer en France et d’y exprimer leur art. C’est en 2000 qu’il quitte son pays pour Strasbourg, où il devient l’élève d’Ivan Fedele au Conservatoire, avant de se rendre à Paris en 2004 pour étudier au CNSMDP avec Frédéric Durieux (composition), Marc-André Dalbavie (orchestration), Michaël Levinas et Claude Ledoux (analyse), Luis Naón, Yann Geslin et Tom Mays (nouvelles technologies), et de suivre le Cursus I de l’Ircam en 2007. Commande du Balcon, l’opéra de chambre avenida de los incas 3518 est son premier ouvrage scénique. 

Fernando Fiszbein (né en 1977) et son bandonéon. Photo : DR

Inspirée d’histoires que le compositeur également librettiste partageait avec ses amis lorsqu’il vivait à l’adresse éponyme, l’action se déroule dans un immeuble si au numéro 3518 de l’avenue des Incas de Buenos Aires, où trois amis d’enfance, adolescents attardés, Nico, Pablo et Diego, qui s’ingénient à perturber la quiétude d’une bâtisse bourgeoise en soumettant leur voisinage aux pires avanies en s’introduisant discrètement dans les appartements pour entrer dans l’intimité des occupants en s’accaparant des effets personnels et en surprenant des conversations personnelles, afin de manipuler de leurs victimes tout en manipulant un jeune enfant à entrer dans leurs combines. Structurée en onze scènes, l’œuvre se fonde sur un grand flash-back tenu de main de maître par un texte en castillan à l’humour caustique et une impertinence de bon aloi tandis que la musique enserre chaque saynète dans un écrin parfaitement adapté au propos, et que les protagonistes se voient confier une authentique partie chantée, qui s’avère d’une grande liberté. 

Fernando Fiszbein (né en 1977), avenida de los incas 3518. Camille Mercks (Alma). Photo : DR

Sans atteindre la créativité dans l’intégration d’images dans les opéras de Michel Van der Aa (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/passionnant-triptyque-lopera-de-lyon.html), la vidéo de Yann Chapotel qui sert de décors au spectacle, conçue conjointement au livret et à la musique, est ingénieuse et permet de voir ce quoi se passe à tous les étages du 3518 de l’avenue des Incas, avec descentes et montées vertigineuses, retours en arrière, arrêts sur image dont l’enchaînement donne le tournis, au point de faire passer à l’arrière-plan la mise en scène de Jacques Osinski. La distribution est à la hauteur de la virtuosité du texte et de la musique, avec Guilhem Terrail (contre-ténor), Pablo Ramos Monroy (ténor) et Sydney Fierro (baryton) étourdissants post-ados, Camille Mercks (contralto) est une Alma aux graves abyssaux qui fait merveille dans l’inénarrable scène de la salle de bain où l’ont enfermés les trois anarchistes, Florent Baffi (baryton-basse) et Elise Chauvin (soprano) forment un juste couple de parents Garcia submergés par leur incontrôlable progéniture. Damien Bigourdan (ténor), en amoureux zélé, Johan Leysen en récitant et Manuel Flaiszman, l’enfant pré-ado Garcia, complètent la troupe avec talent, tandis que Maxime Pascal dirige le tout avec l’énergie et la rigueur dont il ne se départit pas à la tête de son excellent Balcon.

Salvatore Sciarrino (né en 1947), Lohengrin. Johan Leysen (Elsa). Photo : DR

Sciarrino, Lohengrin

Mais l’œuvre-phare de la soirée a été le Lohengrin (1982-1984) de Salvatore Sciarrino, l’aîné de trente ans de Fernando Fiszbein. Dans cette « action invisible pour solistes, instruments et voix en un prologue, quatre scènes et un épilogue », le compositeur sicilien se fonde non pas sur l’opéra de Richard Wagner, mais sur la nouvelle de Jules Laforgue (1860-1887), poète du pessimisme, de la mélancolie et de l’humour noir. En fait de Lohengrin, le véritable personnage central est en fait Elsa, non plus fille du Comte de Brabant mais vestale accusée de fornication. Lohengrin l’épouse, mais, durant leur nuit de noces, malgré les efforts de la jeune fille pour le séduire, il refuse de consommer le mariage. L’un des oreillers du lit conjugal se transforme en cygne, sur le dos duquel Lohengrin monte pour se diriger vers la lune. Le monodrame s’achève sur la révélation qu’Elsa est en réalité internée dans un hôpital psychiatrique. 

Salvatore Sciarrino (né en 1947). Photo : DR

La partition de Sciarrino est d’une grande variété, stagnante et liquide dans sa forme, mais vivante et changeante dans sa construction, avec une musique extrêmement mouvante, riche en timbres, en miroitements, exploitant avec un raffinement souverain la diversité du jeu instrumental, ainsi que les aptitudes de la voix, du souffle au chant, ce dernier étant dévolu pleinement aux infirmiers à la toute fin de l’œuvre.

Salvatore Sciarrino (né en 1947), Lohengrin. Johan Leysen (Elsa). Photo : DR

Contrairement à ce qu’indique la partition, qui précise que le rôle d’Elsa revient à une soprano, suggestion retenue le 22 mai 2001 par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Jonathan Nott Cité de la Musique avec Marianne Pousseur, c’est à un comédien-chanteur que Jacques Osinski a confié le personnage central. La conception du metteur en scène fondateur de la compagnie l’Aurore boréale est d’une force extraordinaire. Il faut dire qu’il bénéficie de la présence d’un interprète exceptionnel en la personne du comédien belge Johan Leysen, le récitant d’avenida de los incas 3518, qui erre comme une démente accoutrée d’une robe de mariée usée le visage d’abord couvert d’un voile de mariée au cœur d’un plateau divisé en quatre espaces scéniques délimité par autant d’éléments de décors au sein desquels Elsa, crument éclairée d'une lumière acier qui lui donne les atours d'un spectre réalisée par Catherine Verheyde, vit son chemin de croix, sphère précisément délimitée grâce à l’appui de caméras cadrant au plus près l’héroïne, qui se défait peu à peu de ses vêtements, les images étant projetées plein cadre « live » sur un écran planté en fond de scène, finissant entièrement nu(e) avant que le chœur d’infirmiers (Sydney Fierro, Florent Baffi, Pablo Ramos Monroy) l’enferme dans une camisole de force.

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Troisième opéra du festival du Balcon à l’Athénée, La métamorphose, que son auteur, Michaël Levinas, a retravaillée pour l’occasion, est donné du 12 au 17 juin dans le cadre du Festival ManiFeste de l’Ircam.

Bruno Serrou

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