samedi 23 décembre 2023

Trois solitudes errantes dans le Voyage d’Hiver de Schubert sous les combles du Théâtre de l’Athénée

Paris. Théâtre de l’Athénée. Salle Christian Bérard. Jeudi 21 décembre 2023 

Victoire Bunel (mezzo-soprano), Romain Louveau (piano). Photo : (c) Théâtre de Cornouailles

Les relations du Théâtre de l’Athénée avec le bouleversant cycle de lieder Le Voyage d’Hiver de Franz Schubert sont d’une belle constance. Douze ans après une version scénique mise en scène par Yoshi Oïda, le théâtre de Louis Jouvet accueille une réalisation du cycle tenant du cabaret de façon inattendue mais qui n’est pas dénuée de charme. 

Victoire Brunel (mezzo-soprano), Romain Louveau (piano), Jean-Christophe Lanièce (baryton). Photo : (c) Bruno Serrou

En février 2012, le Théâtre de l’Athénée avait confié le grand cycle de Franz Schubert sur des poèmes éponymes de Wilhelm Müller au metteur en scène japonais Yoshi Oïda, qui avait élaboré son propre scénario et faisait intervenir trois chanteurs campant chacun un personnage précis, le poète, qui pouvait être Schubert en personne dont le fantôme contait le froid périple en compagnie d’un musicien vagabond, croisant une femme en quête du tombeau du poète qui l’avait aimée et à qui il remettait au tout début du spectacle le carnet de voyage du disparu (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2012/02/yoshi-oida-porte-la-scene-le.html).

Victoire Bunel (mezzo-soprano), Romain Louveau (piano), Jean-Christophe Lanièce (baryton). Photo : (c) Théâtre de Cornouailles

Cette fois encore le recueil a été confié à plusieurs interprètes, non plus trois chanteurs mais deux, une femme et un homme chantant tout à tour mais pas alternativement, à côté du piano, tandis que le comparse se tient dans l’ombre. Mais contrairement à 2012, où avait été proposé un arrangement pour octuor à codes et instruments à vent tandis que les lieder étaient réorganisés selon le propos non pas des auteurs mais du metteur en scène, le cycle est cette fois donné dans l’ordre fixé par le poète Wilhelm Müller et confié à un simple piano droit aux sonorités plus aléatoires, vrillant dans l’espace, sonnant plus étriqué et moins flatteur qu’un piano de concert que revient le soin d’accompagner, dialoguer, commenter, susciter le climat désolé de la partition originelle, donnant ainsi un relief singulièrement humble à cette œuvre prodigieuse où le clavier emplit l’espace de couleurs minérales et glacées aux tensions extraordinairement dramatiques et frigorifiques. Il émane de ce choix un Winterreise d’une grandeur simple aux accents proches du cabaret soulignés par un dispositif de lumières crues et rasantes disposées en arc de cercles conçu par Philippe Gladieux, alors que les surtitres du dramaturge Antoine Thiollier sont projetés en fond de scène au texte parfois délirant, le tout parfaitement adapté aux dimensions et à l’acoustique boisée de l’accueillante petite salle Christian Bérard située au quatrième étage du Théâtre de l’Athénée, au plus haut d’escaliers au marches plutôt raides. Cette production de Miroirs Etendus, qui donne à entendre un voyage accompli par trois êtres solitaires (l’homme, la femme, le piano) est illustrée par deux chanteurs, la mezzo-soprano Victoire Brunel à la conception trop opératique, la voix s’avérant trop puissante dans le volume limité du lieu (ce qui est moins le cas avec le disque (1), où la voix apparaît mieux contrôlée), au point parfois de saturer l’écoute, cela dès le douloureux lied d’entrée « Gute Nacht », et l’excellent baryton Jean-Christophe Lanièce, qui intervient tardivement dans l’exposition (la première fois dans le sixième lied, « Die Post »), et surtout l’excellent pianiste Romain Louveau, véritable deus ex machina de la soirée - pas uniquement en tant que directeur artistique de Miroirs Etendus -, qui tire de son piano droit tout un univers froid et désolé exprimant la profonde détresse du Wanderer. Les surtitres trop souvent décalés en raison d’un humour censé donner quelque distanciation en regard du cheminement tragique et sombre de cet itinéraire qui mène à la solitude et à la mort, mais un peu trop « hâbleurs », ce qui certes suscite quelques rires au sein du public mais forme un contraste trop violent avec le propos angoissant de ce bouleversant cycle de lieder schubertiens.

Bruno Serrou

1) Jusqu’au 29 décembre 2023. 2) Ce Voyage d’Hiver de Schubert est disponible à partir de janvier 2024 avec les mêmes interprètes (mais sur piano de concert) en CD chez b-records, mais il est d’ores et déjà en vente en avant-première à l’issue des concerts de l’Athénée : 1 CD b.records (Outhere) LBM 057 (enregistré en public le 30 juillet 2023) 

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