mercredi 18 décembre 2019

Emblème pétillant du Paris des Années folles, l’opérette "Yes!" revient Théâtre de l’Athénée

Versailles. Théâtre Montpensier. Vendredi 8 novembre 2019

Maurice Yvain (1891-1965), Yes!. Photo : DR

Comme chaque année à la même époque, la compagnie Les Brigands investit le Théâtre de l’Athénée pour un spectacle musical des plus fous. Cette fois c’est avec Yes! de Maurice Yvain, avec la complicité avec le Palazzetto Bru Zane.

Avec le Palazzetto Bru Zane, qui s’est donné voilà dix ans pour mission de faire revivre le répertoire lyrique du XIXe siècle et du début du XXe longtemps négligé, la Compagnie Les Brigand reprend avec Yes! de Maurice Yvain (1891-1965) l’une des premières opérettes jazz de l’histoire dans une mise en scène mouvementée de Viadislav Galard et Bogdan Hatisi créée en novembre Théâtre Montpensier à Versailles.

Maurice Yvain, fils d’un trompettiste et d’une modiste, s’est imposé avec des chansons interprétées entre autres par Mistinguett. En 1922, il s’est lancé dans l’opérette avec Ta bouche. Cinq ans plus tard, il compose en un mois Yes! avec la complicité d’Albert Willemetz. La création est donnée le 26 janvier 1928 Théâtre des Capucines.
   
Entre opérette et comédie musicale, Yes ! reflète les Années folles, avec ce mariage arrangé qui devient mariage d’amour. Les Brigands situent l’action dans les années de la création de l’œuvre, dans le XVIe arrondissement de Paris. Maxime (Célian d’Auvigny), fils du roi du vermicelle René Gavard (Eric Boucher), se doit d’épouser Marquita Negri (Emmanuelle Goizé), riche héritière de Valparaiso. Ne voulant pas renoncer à sa vie de débauche parisienne, et pour ne pas renoncer à son aventure avec Mme de Saint-Aiglefin (Anne-Emmanuelle Davy), Maxime propose à la manucure de son père, Totte (Clarisse Dalles), de fuir en Angleterre pour l’épouser. Mais l’amour finit par s’inviter, faisant fi des intentions. La galerie de portraits est enjouée, avec Clémentine (Caroline Binder) fille de cuisine finissant chroniqueuse mondaine, Roger (Flannan Obé) coiffeur devenu chanteur, César (Mathieu Dubroca) valet de chambre qui souhaite devenir député communiste du XVIe… Les foxtrots d’Yvain au swing entraînant avivent cette satire sociale frivole et féroce, affermis par la formation réduite à un trio de deux pianos/percussions et contrebasse qui permettent l’interaction entre chanteurs et instrumentistes.

Mais le livret lourdement tronqué amoindrit la fluidité et la clarté du propos, et les décors, quoique réduits à leur simple expression, n’en permettent pas moins de situer l’action dans son contexte et de servir l’engagement des neuf chanteurs et des trois musiciens qui réussissent à insuffler au spectacle l’énergie adéquate. Mais l’on eut apprécié plus de trouvailles réjouissantes dans la continuité de ce bar qui dissimule un vibraphone ou de ce percussionniste jouant d’un service à thé en guise de batterie. Il n’empêche que ce spectacle qui aurait pu être plus fou, à l’instar de Au temps des Croisades de Jean Terrasse en 2015, mérite largement le détour.

Bruno Serrou

1) Théâtre de l’Athénée 19/12-16/01. Rés. : www.athenee-theatre.com. Tournée en France et en Belgique jusqu’au 31/03/2020

Article paru dans le quotidien La Croix du mardi 17 décembre 2019

lundi 16 décembre 2019

Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach transposés par Krzysztof Warlikowski à Hollywood

Bruxelles (Belgique). Théâtre de La Monnaie de Bruxelles. Samedi 14 décembre 2019

Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Photo : (c) Bernd Uhlig

Après le relatif dénuement de son Don Carlo de Verdi repris à l’Opéra-Bastille voilà peu, Krzysztof Warlikowski présente à La Monnaie de Bruxelles des Contes d’Hoffmann imposants voire surchargés.


Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Patricia Petibon, Eric Cutler. Photo : (c) Bernd Uhlig

Au sein d’une scénographie faite de meubles années cinquante et de dorures de théâtre, les hommes se retrouvent sous l’empire de l’alcool entourés de femmes mues par le plaisir. A l’arrière-plan, les immuables vidéos plus ou moins tournées en direct sont projetées sur des écrans venus des cintres.

Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Eric Cutler, Michèle Losier. Photo : (c) Bernd Uhlig

Krzysztof Warlikowski assemble ici tout ce qui lui est cher, jouant de l’exubérance et conviant le cinéma Hollywoodien, de Cukor à Lynch, de Kubrick à Sorrentino, pour évoquer les amours passées douloureuses de l’homme torturé qu’est le poète Hoffmann que seul l’alcool console tandis qu’il mesure combien les trois femmes qu’il a le plus aimées n’en forment qu’une.


Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Eric Cutler, Patricia Petibon. Photo : (c) Bernd Uhlig

Pour sa cinquième production à La Monnaie, après Macbeth de Verdi en 2010), Médée de Cherubini et Lulu de Berg en 2012 et Don Giovanni de Mozart en 2014, Warlikowski semble avoir voulu réunir ici toutes ses obsessions, outre les vidéos et les références au cinéma, le théâtre dans le théâtre, la mise en abime du public avec le chœur assis en miroir sur les mêmes fauteuils d’orchestre, le studio d’enregistrement qui apparaît depuis les cintres pour capter une bande-son gravant pour l’éternité la trajectoire de leur idole Hoffmann, les visages projetés en gros plans par une caméra indiscrète, le bar mondain enfumé, le tout renvoyant au film de George Cukor A Star is born. A l’instar de sa remarquable Lulu, Warlikowski conte ici une histoire d’ascensions et de chutes, avec ce héros perdu, ce chanteur alcoolique qui essaie de vivre son rêve à travers la poupée Olympia qui s’exprime tel un automate, la cantatrice Antonia que le star system voue à la mort, et l’actrice porno Giulietta qui renvoie aux stars fanées qu’Hollywood a tant produit. Les références sont si nombreuses qu’elles en deviennent un catalogue déjà vu.


Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Eric Cutler; Pätricia Petibon. Photo : (c) Bernd Uhlig

Alain Altinoglu dirige avec une délectation non feinte et un engagement communicatif une partition dont il souligne la moindre inflexion avec le soutien d’un orchestre chatoyant dont les musiciens s’illustrent jusqu’au plus petit solo. Brillant coloriste, le chef français offre à son orchestre des reliefs quasi cinématographiques, et, à l’instar de Warlikowski, il ménage à la perfection les espaces pour tragédie et la comédie, la gravité et le comique, se situant ainsi entre le drame lyrique et l’opéra bouffe.

Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Willard White, Michèle Losier, Eric Cutler, Alejandro Fonte, Byoungjin Lee. Photo : (c) Bernd Uhlig

Excellent directeur d’acteur, Krzysztof Warlikowski transmet à sa troupe de chanteurs la passion de jouer, tandis qu’Alain Altinoglu la soutient et la sollicite avec une attention de chaque instant. Un coup dse chapeau pour commencer, la dextérité de chanteurs-jongleurs. Il faut dire que la distribution est d’une totale homogénéité. Même si Willard White n’a plus la solidité et la rectitude vocale d’antan, il n’en est pas moins un Luther et un père d’Antonia d’une grande noblesse. Cinéaste hollywoodien, amoureux des femmes, alcoolique, suicidaire, l’Hoffmann d’Eric Cutler impressionne autant sur le plan théâtral que vocal, chantant avec naturel, colorant sa voix de ténor tel un bel-cantiste.


Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Gabor Bretz, Patricia Petibon, Michèle Losier, Eric Cutler. Photo : (c) Bernd Uhlig

Conformément à la volonté de Jacques Offenbach, le metteur en scène polonais confie plusieurs rôles à un même chanteur afin de démontrer la diversité d’un même personnage. A ce jeu, Patricia Petibon s’impose par son agilité à passer de la poupée désarticulée (chantant à la limite de la justesse avec une constance déconcertante), à la Giulietta courtisane en passant par la chanteuse maudite Antonia, incarnant avec une facilité déconcertante toutes les facettes de la femme, infantile, passionnée, mûrissante et meurtrie, de sa voix droite, spontanée, polychrome, charnelle.

Jacques Offenbach (1819-1880), Les Contes d'Hoffmann. Yoann Dubruque, Patricia Petibon, Eric Cutler, Gabor Bretz. Photo : (c) Bernd Uhlig

Michèle Losier se fait remarquer par son aisance et sa plastique vocale, suave et profonde, dans les rôles de Niklausse et de la Muse. Les quatre figures diaboliques (Lindorf, Coppelius, Miracle, Dopertutto) sont remarquablement incarnées par Gábor Bretz, basse ample et sûre. Loïc Félix, voix lyrique et lumineuse, sert admirablement les personnages de Frantz, Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, et François Piolino est un lugubre Spalanzani/Nathanaël.

Bruno Serrou

Jusqu’au 2/01/2020. Res. : +32 2 229 12 00. https://www.lamonnaie.be/fr

jeudi 5 décembre 2019

Le Prince Igor d’Alexandre Borodine fait son entrée à l’Opéra Bastille

Paris. Opéra de Paris-Bastille. Jeudi 28 novembre 2019

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince Igor. Elena Stikhina (Iaroslavna), Ildar Abdrazakov (Prince Igor). Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Du Prince Igor, le grand public ne connaît en France que la suite des Danses polovtsiennes, une véritable « scie » des concerts dominicaux des orchestres associatifs de la capitale. L’on sait peu du reste de l’opéra, à l’exception de l’ouverture. Il s'agit pourtant d'un opéra politique parmi les plus évocateurs de l’âme russe, avec des chœurs aussi somptueux que ceux écrits par Moussorgski dans Boris Godounov et La Khovantschina

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince Igor. Ildar Abdrazakov (Prince Igor). Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Il faut dire que son auteur, Alexandre Borodine (1833-1897), est lui-même occulté par deux de ses compagnons du Groupe des Cinq russe, Modest Moussorgski bien sûr, et Nikolaï Rimski-Korsakov, ce dernier étant celui qui à la fois aura fait le plus pour que ses comparses soient reconnus et nuit le plus à leur réputation en portant des jugements si négatifs sur leurs aptitudes d’orchestrateurs qu’il en retoucha les œuvres sans craindre de les trahir. Accaparé par ses obligations de médecin et de chimiste, Borodine est princumpalement célébré par les connaisseurs pour seuls Quatuor à cordes et Symphonie n°2 qui sont entièrement de sa main.

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince IgorPhoto : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

A sa mort en effet, Borodine, également auteur du livret inspiré Vladimir Stassov et du Dit de l’ost d’Igor, a laissé son unique opéra inachevé. Si bien qu’à l’instar des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, les versions utilisées varient considérablement. Celle proposée par l’Opéra de Paris pour sa première production maison (1) se fonde sur la version originale de 1890 en quatre parties dont le troisième acte, qui n’est pas de la main de Borodine, a été retiré et à laquelle est intégré le second monologue d’Igor orchestré par Pavel Smelkov. Cette version reprend l’orchestration de Rimski-Korsakov et celle d’Alexandre Glazounov. Le trio entre Igor, son fils et Kontchakovna de l’acte supprimé a été intégré, alors que l’ouverture porteuse des thèmes de l’opéra mais transcrite par Glazounov, a été placée entre les deuxième et quatrième actes, cette ouverture étant remplacée ici par le prologue, tandis que le second monologue d’Igor plongeant dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler la noirceur de Boris Godounov de Moussorgski a été intégré au quatrième acte…

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince Igor. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

La distribution est remarquable, jusqu’aux rôles secondaires. Jusqu’aux deux soudards opportunistes qui, rappelant Missail et Varlaam, assurent de jubilatoires intermèdes comiques, tous les protagonistes donnent toute la dimension de cette partition composite. Vaincu par les Tartares, atteint dans son honneur, écarté de celle qu’il aime, l’Igor d’Ildar Abdrazakov est un être déchiré, torturé, pénétrant qui n’est pas sans relations avec le Boris de Moussorgski. Au côté de cet Igor exceptionnel, la sublime Iaroslavna d’Elena Stikhina, lumineuse actrice au timbre clair, rayonnant, à la voix ample et colorée, à la musicalité étincelante. Remarquablement campé par Vasily Efimov, Ovlour devient ici un Innocent façon Boris Godounov. Irina Kopylova est une Jeune Polovtsienne tout aussi fragile au timbre joliment juvénile, Anita Rachvelishvili est une ardente Kontchakovna, et, malgré sa façon de détimbrer dans les changements de registres entre l’aigu et le grave qui donnent le sentiment de deux voix différentes, la mezzo-soprano géorgienne saisit par sa force et sa conviction. L’on regrette que le Prince Galitski soit réduit au seul deuxième acte tant Dmitry Ulyanov brille dans cet emploi de brute imbu de lui-même. Pavel Cernoch est un prince Vladimir fringant.  

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince Igor. Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

L’ampleur extraordinaire de l’écriture chorale de Borodine permet au Chœur de l’Opéra de Paris, particulièrement sollicité, de s’illustrer pleinement en incarnant avec une souplesse exceptionnelle la noblesse et la lâcheté, les lamentations et l’héroïsme. L’Orchestre de l’Opéra de Paris brille de tous ses feux, exaltant des sonorités foisonnantes avivé par la direction à la fois singulièrement énergique, ferme, flexible et nuancée de Philippe Jordan qui suscite mille couleurs et offre à cette partition toute sa richesse et abondance de timbres, sa violence, sa douleur, sa force, sa beauté stupéfiante.

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince IgorDmitry Ulyanov (Prince Galitski) Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Animée par une direction d’acteur réglée au millimètre, exacerbée, chamarrée, athlétique, la mise en scène de Barrie Kosky, directeur artistique du Komische Oper de Berlin qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris. Kosky, qui sait indubitablement faire bouger les foules, susciter constamment l’intérêt, présente un Prince Igor dans l’air du temps, transposant l’épopée qui relate la bataille perdue en 1185 des Russes contre les Tartares polovtses venus d’Asie centrale dans notre temps aux images emplies de clichés exploitées ad noseum qui plongent dans un univers sordide, hanté par des oligarques répugnants de vulgarité et de soudards en treillis d’une trivialité primitive qui usent de leurs kalachnikovs avec délectation, faisant du généreux khan tartare vainqueur d’Igor un geôlier sadique en lieu et place du despote éclairé prévu par Borodine qui, au deuxième acte laisse libre cours à sa violence dans un sous-sol éclairé de néons bourré d’instruments de torture. Une débauche de treillis et de violence gratuite, comme cette nonne victime d’un viol collectif autour d’une piscine de villa pour oligqarches. 

Alexandre Borodine (1833-1897), Le Prince Igor. Ildar Abdrazakov (Prince Igor). Photo : (c) Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Une violence corroborée par la bestialité de la chorégraphie d’Otto Pichler des Danses polovtsiennes qui entrent en résonance _avec le Sacre du printemps. Pourtant, deux beaux moments pouvaient laisser espérer un bonheur total, le premier placé au début du prologue, où l’on voit le Prince Igor encore au pouvoir s’exprimer sur un trône creusé dans le chœur d’une église entièrement dorée, et le segment de route perdu dans la brume qui clôt le troisième acte qui symbolise la défaite d’un monde qui a tout perdu à l’exception de la notion d’amour.

Bruno Serrou

dimanche 1 décembre 2019

Mariss Jansons (1943-2019) est mort

Mariss Jansons (1943-2019). Photo : (c) Bruno Serrou

Un très grand nom de la direction d’orchestre vient de disparaître, le chef letton Mariss Jansons. Il est mort des suites de complications coronariennes en son domicile de Saint-Pétersbourg dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre. Il avait 76 ans.

Ces derniers mois, le chef letton avait annulé plusieurs concerts pour raison de santé. Ceux qui ont eu la chance de le voir diriger son Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise voilà tout juste un mois, le 31 octobre dernier à la Philharmonie de Paris, où il aimait à se produire, se souviendront toujours de l’extraordinaire Symphonie n° 10 de Chostakovitch, dont il était un éminent spécialiste, comme disciple d’Evgueni Mravinski à Saint-Pétersbourg, précédée d’une onirique ouverture d’Euryanthe de Weber et d’un Concerto n° 2 de Beethoven dans lequel il avait donné la réplique au pianiste allemand Rudolf Buchbinder…

Cet ultime concert à Paris l’avait vu fatigué, marchant d’un pas lent, le buste penché en avant, le visage blême, pour rejoindre le podium avant de retourner, épuisé, vers les coulisses et en revenir pour saluer à plusieurs reprises, avant de diriger à la fin un bis inattendu, comme pour dire un dernier adieu à son public français.

Eminent spécialiste de la musique russe et viennoise, s’illustrant notamment dans Tchaïkovski, Chostakovitch, Beethoven, Brahms, Dvorak, Mahler, Richard Strauss, Sibelius, ainsi que la dynastie viennoise des Strauss, mais aussi dans Bartók, il avait été directeur musical de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo de 1979 à 2002, de l’Orchestre du Royal Concertgebouw d’Amsterdam de 2004 à 2015, puis de l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise depuis 2015. Ces phalanges parmi les plus illustres de la planète ont toutes été magnifiées par l’extraordinaire magicien du son et du rythme qu’a été Jansons. Ainsi, le fabuleux Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise a été sublimé par ce chef élégant, charmeur, précis, profond, virtuose. Artiste exigeant et rigoureux, il était aussi apprécié des musiciens pour sa gentillesse, sa bonhomie et sa joie de vivre. Rarement un chef d’orchestre a réuni autour de sa personne un tel consensus auprès des professionnels et du public, que ce soit pour ses concerts ou pour ses enregistrements.

Mariss Jansons (1943-2019). Photo : DR/Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam

Né à Riga le 14 janvier 1943, dans le ghetto juif de la capitale lettone, fils du chef d’orchestre Arvids Jansons dont il sera très tôt l’assistant et qui le soutiendra jusqu’à sa mort en 1984 à la suite lui aussi de problèmes cardiaques lors d’un concert à Manchester, le jeune Marris Jansons apprend très tôt le violon et l’alto, avant le piano et la direction d’orchestre au Conservatoire de Leningrad. Il se perfectionne auprès d’Evgueni Mravinski dont il est l’assistant à l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, puis auprès d’Herbert von Karajan à Salzbourg après avoir remporté la deuxième place du concours Karajan. Le chef autrichien le voulait à ses côtés comme chef assistant à Berlin, mais les autorités soviétiques ont assuré que Jansons n’avait jamais reçu l’invitation…

Après un premier concert en 1973 avec le Philharmonique de Saint-Pétersbourg, son premier poste important a été celui de directeur musical de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo, en 1979. C’est à l’Opéra d’Oslo qu’il subit sa première alerte cardiaque en 1996 en dirigeant à l’Opéra La bohème de Puccini. Il démissionne en 2000 en réaction contre le refus de la capitale suédoise de résoudre l’acoustique de sa salle de concert. En 1997, il est chef principal invité de London Philharmonic, et la même année il devient directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Pittsburgh jusqu’en 2004.

L’Orchestre Philharmonique de Vienne, où il fit ses débuts en avril 1992 dans un programme Bartók/Tchaïkovski, l’avait nommé Membre honoraire. Il dirigera l’orchestre autrichien dans plusieurs tournées et au Festival de Salzbourg où il devait diriger l’été prochain Boris Godounov de Moussorgski dans le cadre du centième anniversaire de la fondation de la manifestation estivale, ainsi que trois Concerts du Nouvel An, en 2006, 2012 et 2016.

Le legs discographique de Mariss Jansons est considérable. Sa carrière discographique a commencé chez Chandos alors qu’il était à la tête du Philharmonique d’Oslo. C’est avec une intégrale des symphonies de Tchaïkovski qu’il établit sa réputation mondiale, ainsi que chez Warner (EMI) également dans le répertoire russe, notamment Chostakovitch. Il a également enregistré pour le label du Royal Concertgebouw d’Amsterdam, notamment les symphonies de Bruckner et de Mahler, puis pour le label de la Radio Bavaroise dont un cycle extraordinaire des symphonies de Beethoven.

Attentif aux carrières de ses jeunes confrères, il a soutenu et encouragé son jeune compatriote Andris Nelsons, actuel directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Boston qui dirigera la prochaine édition du Concert du Nouvel An à Vienne.

Bruno Serrou