mardi 18 décembre 2018

Rodelinda de Haendel somptueuse de Stefano Montanari et Claus Guth à l’Opéra de Lyon

Lyon. Opéra Nouvel. Samedi 15 décembre 2018

 Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rodelinda. Sabina Puértolas (Rodelinda), Fabian Augusto Gomez Bohorquez (Flavio), Lawrence Zazzo (Bertarido).  Photo : (c) Jean-Pierre Maurin

Régulièrement contesté à Paris, le metteur en scène allemand Claus Guth signe à Lyon une Rodelinda de très grande classe avec le soutien d’une distribution de haut vol vaillamment dirigée par Stefano Montanari.

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rodelinda. Jean-Sébastien Bou (Garibaldo), Avery Amereau (Eduige), Sabina Puértolas (Rodelinda).  Photo : (c) Jean-Pierre Maurin

Créé au King’s Theatre de Londres le 13 février 1725, Rodelinda est l’un des opéras les plus célèbres de Haendel. Il a d’ailleurs connu le succès dès sa création, à l’instar des deux autres ouvrages de la saison 1724-1725, Jules César en Egypte et Tamerlano. Comme pour ces deux derniers, Nicola Haym en signe le livret. S’inspirant de la tragédie de Pierre Corneille Pertharite, l’action se situe au VIIe siècle en Lombardie. Veuve fidèle et déterminée, courtisée par Grimoaldo, roi illégitime, ambitieux et cruel, la reine Rodelinda pleure son mari, le roi légitime Bertarido, qu’elle pense mort assassiné. A la fin, le bon monarque tuera le méchant, après quelques péripéties de trois heures qui se concluent par un très court ensemble des six chanteurs solistes.

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rodelinda.  Photo : (c) Teatro Réal de Madrid

Dans les opéras de Haendel, tous plus ou moins construits sur le même modèle, il se trouve un sommet qui tient du sublime. Dans Rodelinda, ce moment tant attendu se situe dans la dernière scène du deuxième acte. Une fois n’est pas coutume dans l’œuvre scénique du Saxon tant les ensembles sont fort rares, les protagonistes se « télégraphiant » les arie, il s’agit ici d’un duo entre l’héroïne et son mari retrouvé après l’avoir cru mort assassiné, « Io t’abbracio, E più che morte », qui fait d’autant plus regretter que Haendel n’en ait écrit davantage…

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rodelinda. Photo : (c) Teatro Real de Madrid

Avec un orchestre d’instruments anciens joués par les membres de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon passionnés du répertoire baroque, le chef italien Stefano Montanari en tenue de rocker a donné à la partition de Haendel un élan, un dynamisme qui donnent à cette suite de récitatifs et d’airs une dimension théâtrale de bon aloi. Impression confortée par la direction d’acteur de Claus Guth qui instille vie et vérité psychologique à des personnages qui enchaînent les arie da capo tous plus virtuoses les uns que les autres avec une infaillible constance. Le metteur en scène allemand ajoute des personnages difformes aux masques grotesques dignes d’un carnaval macabre. Le tout se déploie au sein d’un décor blanc unique tournant sur lui-même qui représente une gentilhommière du XVIIIe siècle éclatée sur trois niveaux, de la façade au grenier, conçu par Christian Schmidt et animé par des images et dessins vidéo au second degré d’Andi Müller.

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rodelinda. Sabina Puértolas (Rodelinda), Krystian Adam (Grimoaldo).  Photo : (c) Jean-Pierre Maurin
 
La soprano espagnole Sabina Puértolas est une Rodelinda brûlante et séduisante au timbre lumineux et aérien. Tard venu dans l’action de l’opéra, le contre-ténor Lawrence Zazzo est un Bertarido éclatant de puissance et de musicalité, ses vocalises sont d’une saisissante maîtrise. Le ténor polonais Krystian Adam est un impressionnant « méchant » Grimoaldo, toujours froid et naturel. Eduige, sœur de Bertarido complice de Grimoaldo bientôt repentante, est idéalement tenue par la mezzo-soprano Avery Amereau à la voix profonde et chaude. Ajoutez à cela un magnifique Jean-Sébastien Bou qui campe un monstre boieux en Garibaldo, qui manipule avec animosité l’enfant Flavio, rôle muet (ici le comédien colombien Fabian Augusto Gomez Bohorquez).

Bruno Serrou

Opéra de Lyon, jusqu’au 1er/01/19. Rés. : 04.69.85.54.54. www.opera-lyon.com. Diffusé sur France Musique le 20/01-20h. En coproduction avec le Teatro Réal de Madrid, le Liceu de Barcelone et l’Opéra de Francfort

jeudi 6 décembre 2018

Claude Vivier, "Kopernikus, un rituel de mort", l'opéra de l'âme humaine par Peter Sellars

Paris. Théâtre de la Ville - Espace Pierre Cardin. Mardi 4 décembre 2018

Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet

« Je suis et je serai tout le temps, immortellement et éternellement, un enfant » disait de lui-même Claude Vivier, sans doute le compositeur canadien phare du XXe siècle. Né à Montréal le 14 avril 1948 de parents inconnus, adopté à deux ans par le couple Jeanne et Armand Vivier, le jeune Claude ne parlera pas avant l’âge de six ans. Son enfance, qu’il décrira « d’un commerce très rude, musclé », et qui se déroule dans un quartier ouvrier, violé à huit ans par un oncle, il sauve sa vie par le rêve et le merveilleux. Il se destine dans un premier temps à la prêtrise, jusqu’à ce qu’il découvre la musique au juvénat de Saint-Vincent-de-Paul au cours d’une messe de minuit. Les thèmes religieux traverseront son œuvre, emplie de rituels et d’une croyance éperdue en la pérennité de l’âme. Son mysticisme se teintera rapidement d’une foi chrétienne mêlée de préceptes hindous, d’un art tentant de faire « comme les dieux », de l’assimilation de la musique à la prière, sous l’égide du choral et du psaume, jusqu’à la purification mystérieuse et incantatoire. Mais, exclu du séminaire en raison de son tempérament jugé trop sensible et nerveux, il entre en 1967 au Conservatoire de Montréal, où, dit-il, au contact de son maître Gilles Tremblay, il naît une seconde fois à la musique.

Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet

Henri Dutilleux me disait de lui, lorsque je l’interviewais en 1995 : « Claude Vivier ? Il y a de tout là-dedans, mais il y a aussi quelque chose. Il a terminé sa vie de façon dramatique, assassiné à Paris. Si je pense que sa musique est très inégale, je trouve aussi que sa création bouillonne. Il y a une pièce pour voix de femme uniquement, qui s’appelle “Chants”. Elle est très caractéristique, comme d’autres pages pour piano. C’est vrai, c’est inégal, mais c’est aussi un tempérament. Je suis intéressé par ce genre de choses, parce que c’est très loin de moi. » 

Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet 

L’éternité de l’âme habitera Claude Vivier jusqu’à son œuvre ultime, Crois-tu en l’immortalité de l’âme ? (Glaubst du an die Unterblichkeit der Seele?) dont la partition à peine achevée est retrouvée sur sa table de travail le 8 mars 1983 tandis que son corps ensanglanté git sur le seuil de la porte de son appartement parisien. Il avait entrepris cette œuvre sous le coup d’une première agression le soir du 25 janvier précédent, en commençant par les mots « Il faisait nuit, et j’avais peur », qui achève violemment une vie riche en épisodes glauques.  

Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet

Kopernikus, un rituel de mort, opéra de soixante-dix minutes pour sept chanteurs, sept instrumentistes et bande a été composé en 1979 sur un livret du compositeur. Le personnage central est Agni (mezzo-soprano), dieu-déesse du feu hindou. Il croise Lewis Carroll, Merlin l’Enchanteur, Mozart et la Reine de la nuit, Tristan et Isolde, un moine, Copernic et sa mère. Le titre emprunte à l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543) en tant que chercheur cosmique qui, en percevant le fonctionnement du système solaire, a commencé à voir plus loin que la Terre. Dans cette « féerie mystique », Vivier dit qu’il ne s’y trouve pas à proprement parler d’histoire, mais une suite de scènes qui font évoluer Agni vers la purification totale jusqu’à ce qu'il atteigne l’état de pur esprit ». La poétique de Kopernikus tient à la fois de la vive sensibilité du compositeur, de son rapport à son enfance et des différents niveaux d’articulation de ces éléments oniriques. L’œuvre est ainsi une méditation plus ou moins distanciée sur divers états poétiques, culturels et cultuels.

Claude Vivier (1948-1983), Kopernikus, un rituel de mort. Mise en scène de Peter Sellars (2018). Photo : (c) Vincent Pontet

Cet opéra autobiographique a en effet le poids d’un rituel sacré christiano-hindou autour de la vie et de la mort. Peter Sellars donne à ce cérémonial une émouvante authenticité avec des mouvements simples et d’une grande efficacité autour d’un personnage (le danseur chorégraphe Michael Schumacher) reposant mains croisées sur une couche, entouré des chanteurs, tandis que les instrumentistes - à l’exception du trompettiste positionné derrière le public - les dominent dans l’ombre sur un praticable. Tous les protagonistes sont vêtus de blanc. Sur un écran de télévision - l’étrange lucarne si chère au metteur en scène américain depuis Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen au Festival de Salzbourg -, le beau visage froid d’une récitante. Sans direction autre que la mise en scène, l’Ensemble vocal Roomful of Teeth, venu des Etats-Unis, est d’un engagement total, à l’instar de l’Ensemble L’Instant Donné, qui joue avec une précision d’orfèvre, notamment le violon plein de panache de Naaman Sluchin.

Bruno Serrou

Festival d’Automne à Paris. Rés. : 01.53.45.17.00. www.festival-automne.com. Théâtre de La Ville-Espace Cardin jusqu’au 8 décembre. Théâtre du Capitole de Toulouse/Théâtre Garonne 11-13 décembre. Rés. : 05.62.48.54.77. www.theatregaronne.com. Nouveau Théâtre de Montreuil/Festival Mesure pour Mesure 17-19 décembre. Rés. : 01.48.70.48.90. www.nouveau-theatre-montreuil.com.