samedi 20 juin 2020

Avec la série "Le temps retrouvé", les orchestres de Radio France ont repris leur activité dans leur superbe Auditorium après trois mois d'interruption forcée

Paris. Maison de la Radio. Auditorium de Radio France. Jeudi 18 juin 2020

L'Orchestre Philharmonique de Radio France réduit à vingt-neuf instruments à cordes et dirigé par Daniel Harding. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Après trois mois de silence, l’Auditorium de la Maison de la Radio a recommencé à résonner le 28 mai des sonorités des orchestres de Radio France, le National de France et le Philharmonique de Radio France. Ces deux formations symphoniques ont en effet retrouvé le chemin des concerts après trois mois d’inactivité déprimante dans le cadre d’une série imaginée pour l’occasion, Le temps retrouvé (1).

Ji Yoon Park (premier violon de l'Orchestre Philharmonique de Radio France). Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Radio France, c’est trois cents trente musiciens, instrumentistes et choristes, qui se sont brutalement retrouvés sans plus pouvoir exercer leur métier et se produire en public pendant un trimestre entier. « Le temps retrouvé est le septième et dernier volume de A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, rappelle Michel Orier, directeur de la Musique et de la Création à Radio France. Que de temps perdu en effet, que de notes disparues au gré des annulations qui ont jalonné la saison 2019-2020, entre les grèves de fin 2019-début 2020 et la covid-19. Du coup, dans le contexte actuel il était nécessaire de se réinventer. » Il a aussi fallu alterner d’une semaine sur l’autre les deux formations pour éviter les croisements des musiciens des deux orchestres, réduire les effectifs à trente instrumentistes, et les masquer pour satisfaire aux consignes sanitaires de distanciations, qui sont pourtant contraires à l’essence-même de la musique, qui est l’acte de communication par excellence.

Daniel Harding et l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Si l’Orchestre Philharmonique a été le premier à donner de nouveau un concert public à l'Auditorim de Radio France, suivi le 11 juin par le National, le 18 juin l’Orchestre Philharmonique exécutait son deuxoième concert de faire dans l’Auditorium du premier producteur de concerts de France. « Nous sommes vraiment heureux de nous retrouver, se félicite Ji Yoon Park, premier violon du Philharmonique. Trois mois sans jouer ensemble n’a pas été une sinécure. Tout a été annulé sans préavis, et nous nous sommes retrouvés désemparés sans contacts avec le public, ni avec nos collègues, et sans savoir jusqu’à quand. » Un certain nombre de musiciens ont néanmoins pu participer à des vidéos diffusées sur Internet avec un réel succès d’audience dans des œuvres grand public (Boléro de Maurice Ravel, Les Temps modernes de Charles Chaplin, la Valse de Dimitri Chostakovitch).

Daniel Harding. Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Inaugurée le 6 juin à l'Auditorium de Radio Frabce par le Philharmonique dirigé par Kent Nagano puis par le National avec son ex-directeur musical Daniele Gatti, Daniel Harding pour le retour du Philharmonique à la tête du Philharmonique le 18 juin, la série Le temps retrouvé se poursuit avec le National François-Xavier Roth puis Renaud Capuçon, enfin Cristian Macelaru, son directeur musical désigné, Leonardo Garcia Alarcon puis Barbara Hannigan avec le Philharmonique, tandis que Pascal Rophé dirigera les percussionnistes des deux formations réunies. « Convaincre ces chefs a été facile, reconnaît Michel Orier. Beaucoup vivent à Paris, et sans perspectives immédiates ils ont accepté de se ’’dérouiller’’ avec nos orchestres dans des programmes sortant de l’ordinaire. » Car il a fallu satisfaire au protocole sanitaire, mais fort heureusement les distanciations s’assouplissent de nouveau, favorisant la cohésion sonore au sein des orchestres. « Pour éviter les décalages et assurer l’homogénéité du son, convient Ji Yoon Park, le rôle du chef et l’ouverture des oreilles sont plus importants que jamais. » Les programmes élaborés conjointement par les délégués artistiques des deux orchestres, se sont concentrés sur des œuvres pour cordes, instruments à vent et chœurs étant bannis. « Cette contrainte a permis de programmer des pièces rarement jouées, se félicite Michel Orier, et qui sont pourtant magnifiques, comme Mystère de l’instant d’Henri Dutilleux, les Métamorphoses de Richard Strauss, la Symphonie n° 2 d’Arthur Honegger, Apollon musagète d’Igor Stravinski… » Néanmoins, le concert du 18 juin a vu la participation d’un instrumentiste à vent qui a dû jouer isolé du groupe, l’orchestre lui étant encore inaccessible à ce jour. Il s’agit du clarinette-solo Jérôme Voisin, qui avait choisi le mouvement pour clarinette seule du Quatuor pour la fin du Temps (Abîme des oiseaux) d’Olivier Messiaen. « C’est à tort que les instruments à vent sont encore bannis, s’insurge Jérôme Voisin, car des études faites notamment en Hollande démontrent que nous n’émettons pas de postillons, ces derniers étant réputés susceptibles de propager le virus. Seule la flûte est peut-être plus sensible. Nous espérons tous reprendre notre activité en septembre. En tout cas, nous le souhaitons vivement, car l’orchestre nous manque terriblement. »

Jérôme Voisin (clarinette solo de l'Orchestre Philharmonique de Radio France). Photo : (c) Christophe Abramowitz / Radio France

Jusqu’au 18 juin, les concerts ont été donnés sans public - celui du 18 juin sans masques, ce qui a permis une meilleure communication entre les pupitres -,  qui a créé un climat irréel pour les musiciens qui n’ont pas eu de retour sur leur prestation et qui ont terminé le concert dans un silence oppressant. Mais le 25 juin, l’Auditorium rouvre ses portes au public (2) à mi- jauge, soit six cents places. Les musiciens vont ainsi pouvoir retrouver leurs marques et partager l’émotion musicale avec des auditeurs dans la salle.

Bruno Serrou

1) Concerts en direct sur France Musique, ARTE-ConcertFR et les pages Facebook de Radio France et ses orchestres. 2) Prix unique 10 € en vente exclusivement sur www.maisondelaradio.fr


mercredi 17 juin 2020

CD : Jaan-Eik Tulve chef de chœur estonien spécialiste du chant grégorien célèbre avec ses 14 chanteurs Vox Clamantis la musique chorale de son compatriote Cyrillus Kreek



Spécialiste du chant grégorien dans un pays où les catholiques représentent moins de un pour cent de la population, l’ensemble vocal estonien Vox Clamantis publie un CD ensorcelant d’inspiration populaire d’un compositeur estonien méconnu en France formé à Saint-Pétersbourg, Cyrillus Kreek

« A l’époque soviétique, la spiritualité était interdite, se souvient Jaan-Eik Tulve, directeur fondateur de Vox Clamantis. Pourtant, peu à peu j’ai découvert la musique baroque, puis médiévale, enfin le chant grégorien. Cela représentait pour moi une possibilité de me protéger de la réalité politique. » Tulve a découvert cette musique dans les églises, au point de vouloir la chanter durant les offices, les grand-messes étant souvent dites dans son pays en latin. Catholique dans un pays de 1,4 million d’habitants à quatre vingt quinze pour cent luthériens, Tulve est devenu l’un des spécialistes les plus éminents du chant grégorien dans le monde qu’il enseigne dans de nombreux monastères et couvents. Après avoir passé sept ans en France, où il a étudié au Conservatoire de Paris avec Louis Marie Vigne et au sein du Chœur grégorien de Paris, il est retourné à Tallin en 1996 pour y fonder l’ensemble Vox Clamantis, qui réunit quatorze chanteurs, des compositeurs, dont sa femme Helena, des instrumentistes et des chefs de chœur. Car outre le grégorien, l’activité de l’association est vouée à la polyphonie non seulement ancienne mais aussi contemporaine, entretenant des relations privilégiées avec les compositeurs estoniens Arvo Pärt et Erkki-Sven Tüür, et l’Italien Marco Ambrosini.

Jaan-Eik Tulve et Vox Clamantis. Photo : DR

Comme tous les musiciens d’Europe, les estoniens ont été les premiers à subir les aléas de la covid-19. Confinés pendant trois mois, ne pouvant toujours pas se produire en public ni se réunir pour répéter jusqu’au lundi 15 juin, les chanteurs de Vox Clamantis ont travaillé seuls chez eux, tout en maintenant le lien les uns les autres, mais sans même pouvoir télé-travailler en raison des décalages suscités par une technologie allant à l’encontre de la cohésion d’ensemble, regrette Tulve. « Le 15 juin nous allons enfin pouvoir nous retrouver pour une première répétition après trois mois d’isolement, se félicite Tulve. Nous sommes restés sagement à la maison, et nous avons célébré ensemble via Internet la parution de notre nouveau CD. » La première répétition de Vox Clamantis sera consacrée au programme marial du concert de chant grégorien prévu le 15 août prochain en l’abbaye de Fontevraud.

Il faut écouter ce septième CD de Vox Clamantis qui vient de paraître chez ECM sous le titre The Suspended Harp of Babel (La harpe suspendue de Babel) consacré à des œuvres spirituelles d’inspiration populaire peu courues en dehors de l’Estonie du compositeur postromantique Cyrillus Kreek (1889-1960) qui, à l’instar de Bartók et Kodaly en Hongrie, collecta les chansons populaires de sa région natale à l’aide d’un phonographe avant de les harmoniser sa vie durant. Une musique méditative ponctuée d’intermèdes pour trio d’instruments traditionnels suédois du compositeur italien Marco Ambrosini (né en 1964) qui fait écho à l’élan spirituel du programme. « J’ai fait appel à Ambrosini pour colorer la musique de Kreek qui l’a beaucoup touché. Une musicalité qui est très proche de moi pour cette musique à 50% d’inspiration folklorique. » Il convient d’ajouter la prochaine parution d’un CD de chant grégorien enregistré en l’abbaye Sainte-Anne de Kergonan en Bretagne à la demande des moines bénédictins.

Bruno Serrou

1CD ECM NEW SERIES 2620 4819041 (distribution Universal Classics). 1h16mn01s. Enregistré en 2018