jeudi 24 décembre 2020

Ivry Gitlis, violoniste universel, est mort. Il avait 98 ans. On l'espérait immortel ; il est entré dans l'Eternité ce jeudi 24 décembre

 

Ivry Gitlis (né en 1922) en son domicile parisien de Saint-Germainn-des-Prés. Photo : DR


Violoniste virtuose, personnalité particulièrement attachante pétrie d'humour et à l'éternel sourire, homme de dimension universelle (il fit même le bonheur des cinéastes, notamment de François Truffaut) qui côtoya durant trois-quarts de siècle les plus grands musiciens de son temps, et porta la musique classique dans tous les foyers sans a priori, Ivry Gitlis s'est éteint jeudi 24 décembre 2020 en son domiciles parisien de Saint-Germain-des-Prés. L'artiste israélien luttait depuis plusieurs années contre des problèmes de santé. Même s'il ne pouvait plus jouer de son violon, il l'avait toujours auprès de lui, et il recevait volontiers chez lui de jeunes violonistes à qui il aimait à prodiguer ses conseils. 
Je reprends ici un portrait du violoniste israélien brossé en mai 2010 pour le quotidien La Croix à la suite d’une interview qu’il m’avait accordée quelques jours plus tôt en son domicile parisien. Jusqu'à sa mort, il aura suivi assidûment l'actualité musicale, se plaisant à assister aux concerts de ses amis musiciens.

Ivry Gitlis enseignant à une jeune élève. Photo : DR

« Le jour où je ne jouerai plus mon violon, c’est que je serai mort. » Ivry Gitlis – le bon (gut/git en yiddish) homme de passage (Ivry, en hébreux) – a à peine prononcé un mot que son interlocuteur est happé par le charme et la liberté qui émanent de sa personnalité hors normes. Cet adolescent fougueux dans un corps de vieil homme au pessimisme pimpant - « il est important d’être pessimiste, parce que vous en ferez quelque chose, tandis que si vous êtes optimiste, tout va toujours bien » - reçoit avec chaleur malgré le froid et morne après-midi de mai (2010) en son domicile de Saint-Germain-des-Prés. Un appartement fantasque à l’insondable désordre où traînent un piano à queue, des valises de saltimbanque prêtes au départ, un nombre considérable des photos noir et blanc de grands hommes et femmes de tous horizons.

En fait, depuis sa naissance à Haiffa le 22 août 1922, Gitlis ne s’est jamais posé nulle part, en Israël, à Paris, Londres, Amsterdam, aux Etats-Unis, la musique étant partage sans frontières. « Je ne sais pas qui du violon ou de moi a choisi l’autre. Je voulais un violon, et, pour mes 5 ans, parents et amis se sont cotisés. Je ne sais pas comment je jouais, mais on s’est malheureusement vite aperçu que j’avais un certain talent… » A 8 ans, il rencontre le célèbre violoniste Bronislaw Hubermann, qui l’envoie à Paris avec l’argent collecté par des artistes pour entrer au Conservatoire dans la classe de Georges Enesco. Il a 11 ans. « Enesco est l’être qui m’a le plus marqué. Il était toute la musique et un homme unique. Il se mettait au piano et jouait tout avec moi. C’était une expérience de vie, pas une leçon de violon. Quand un éclair vous atteint, vous ne vous en remettez pas. L’adolescent que j’étais ne s’est pas rebellé contre cette autorité, je cheminais avec lui. » En 1951, alors qu’il est favori du Concours Thibaud, il ne se voit attribué que le Cinquième Prix. « Je n’ai pas raté le concours, c’est le concours qui m’a raté. Ce prix n’est pas un accident : on a accusé ma mère, qui était déjà morte à l’époque, d’avoir vendu pour survivre pendant la guerre un violon qui m’avait été prêté. Or, ce cinquième Prix était précisément un violon (rires). »

Ivry Gitlis. Photo : DR

Son intelligence ravageuse, sa virtuosité légendaire, sa sensibilité à fleur de peau, les contrastes saisissants de son jeu âpre et sensuel ont fait de Gitlis non seulement un immense artiste mais aussi un homme de la rue, des gens, de la vie. Un homme qui n’a de cesse de répéter que « pour être un bon violoniste, il faut aussi être autre chose. » D’où cette liberté qui lui aura joué de mauvais tours en un temps où l’éclectisme était condamnable. « Je ne l’ai pas fait par obligation mais parce que j’aime le faire. Je ne joue pas de la même façon dans un hôpital, dans une prison que dans une salle de concert. Peut-être que je pense plus à la prison en jouant en concert que dans la prison-même.  J’amène toujours mon violon dans les endroits qui me sont importants, à Auschwitz comme en l’abbaye de sainte-Catherine dans le désert du Sinaï. » Magnifique interprète de Berg, Beethoven, Mendelssohn, Bach, Paganini et de la musique contemporaine - « J’ai eu beaucoup d’envies, il y a beaucoup d’œuvres que j’aurais aimé jouer, mais il ne faut rien regretter » -, il a joué avec tout le monde, de Jascha Heifetz à John Lennon. Car il aime aussi s’adonner au jazz et côtoyer les pop stars, comme John Lennon et Mick Jagger… « J’étais avec eux comme je suis avec vous. La personne que j’ai le plus respecté et aimé a été le concierge de la maison où j’habitais rue Vieille du Temple. Il ressemblait au professeur Nimbus, sa culture était extraordinaire. Un soir, chez des amis, à Paris, parmi les hôtes se trouvait un certain Brian Jones, l’un des Rolling Stones. Il était adorable. Il me dit « Je veux prendre des leçons de violon chez vous. » ll n’est jamais venu, mais un jour, il m’a téléphoné de Londres pour me demander si j’accepterais de jouer avec les Stones pour un disque. J’ai accepté à la condition que l’on fasse quelque chose ensemble. « Ah, mais on n’aurait jamais osé vous demander. » Je suis allé à Londres, et j’ai improvisé avec les Stones, rejoints par John Lennon et Eric Clapton... »

C’est ainsi que Gitlis s’est retrouvé dans des films de François Truffaut, l’Histoire d’Adèle H, Volker Schlöndorff, Un amour de Swann, et Siegfried, Sansa, et dans quantité d’émissions de télévision. « Un jour, j’ai reçu un coup de téléphone de Guy Lux. Il m’a demandé si je voudrais bien jouer dans l’une de ses émissions. « Rappelle-moi dans 3 jours, lui dis-je, il faut que je vois si je suis libre. » J’en ai parlé à des amis : « Ivry, tu ne vas pas jouer dans cette cour-là ! » Quand il m’a rappelé, je lui ai demandé « Que veux-tu que je fasse ? » - « Ce que tu veux ! » - « Je peux te jouer un mouvement de Concerto de Bach » – « Comme tu veux ! » - « Une pièce de Kreisler… » L’émission était avec Claude François. Le jeune public ne m’a pas laissé partir. L’orchestre comptait les meilleurs musiciens des Orchestre de Paris, de l’Opéra, etc. Aujourd’hui, il m’arrive de rencontrer des gens dans la rue qui me disent « merci d’avoir participé à toutes ces émissions à la télévision. » Je ne l’ai pas fait pour me faire mousser et gagner de l’argent, mais pour le plaisir et apporter la musique en toute circonstance. » Aujourd’hui, les jeunes violonistes viennent du monde entier à Paris pour travailler avec lui…

Bruno Serrou

Le coffret de 5CD Universal/Decca rassemble la totalité des enregistrements qu’Ivry Gitlis a réalisés avec le label Decca entre 1966 et 1995 réunissant des concertos de Berg, Brahms, Paganini, Saint-Saëns et Wieniawski, et des œuvres de Bartók, Debussy, Dinicu, Dvorak, Falla, Kreisler, Massenet, Mendelssohn, Ravel et Sarasate (Decca 5CD 5346246). Il convient d’ajouter à cet ensemble les concertos de Bartók, Berg, Bruch, Hindemith, Mendelssohn, Sibelius, Stravinsky, Tchaïkovski (3 CD Brillant Classics). 

Mais pour découvrir Ivry Gitlis, il faut absolument commencer par son enregistrement du Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange » de Berg gravé en 1953. « Je l’ai appris en 11 jours, se souvient-il. Je suis content que l’on dise qu’il s’agit de mon meilleur disque, parce que cette œuvre est bouleversante. Je ressens la même chose quand j’entends la Symphonie n° 6 de Mahler : je fonds toujours en larmes dans le finale… »

A lire : L’âme et la corde, Editions Robert Laffont (1980, réédition 2013)

mercredi 23 décembre 2020

Portrait de Debora Waldman, directrice musicale de l’Orchestre National Avignon-Provence

Debora Waldman. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

Première directrice musicale d’un orchestre national français, Debora Waldman est une femme heureuse, bien dans sa tête et dans sa peau, si bien qu’il émane de sa personne à la fois autorité et empathie

                                       Debora Waldman. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

A 43 ans, Debora Waldman est une chef d’orchestre épanouie et maître de son art. En effet, c’est le plus naturellement du monde qu’elle exerce ce qu’elle considère comme sa vocation, la direction d’orchestre. « La seule chose que m’ait valu le fait d’être femme est que ma carrière a évolué deux fois moins vite que celle de mes collègues masculins. Mais depuis 2019, les femmes chefs d’orchestre sortent enfin du bois, alors qu’elles sont là depuis déjà pas mal de temps… Rappelons-nous Nadia Boulanger. » Il faut dire que sa mère, guitariste comme son père, avait fondé son propre orchestre en Argentine. C’est d’ailleurs elle qui mit le pied à l’étrier à sa fille, qui se destinait alors à la profession d’avocat. Elle intégra sa fille, qui pratiquait la flûte et le piano, comme bibliothécaire-régisseur-flûtiste, avant de lui donner sa chance en la faisant diriger à 17 ans un bis à la fin d’un concert public. Aujourd’hui, Debora Waldman est à la tête d’un orchestre national en région, l’Orchestre National de Région Avignon-Provence. « Il y a dix ans qu’une femme occupe un tel poste en Allemagne, remarque-t-elle. En France, il a fallu attendre 2019 ! »

       Debora Waldman et l'Orchestre National Avignon-Provence. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

Née en 1977 à Sao Paolo où son grand-père paternel s’était exilé depuis la Pologne en 1939, ayant grandi dans un kibboutz en Israël avec sa mère qu’elle suit adolescente en Argentine, où elle étudie à l’Université catholique de Buenos Aires, Debora Waldman découvre Paris en 2001 lors d’une escale entre deux avions qui la ramenaient d’Israël vers l’Argentine. Elle décide immédiatement de s’y installer, s’inscrit à l’Ecole normale de musique puis se présente au concours d’entrée au CNSM de Paris, où elle est l’élève de Michael Levinas (analyse), Janos Fürtz et François-Xavier Roth (direction). De 2006 à 2009, elle est l’assistante de Kurt Masur à l’Orchestre National de France. « Je me suis présentée au concours avec la ferme intention de le remporter. Ce que j’ai fait ! J’ai été fort bien accueillie par tout le monde, le directeur musical, le délégué artistique, les musiciens. J’étais aux côtés du maestro à toutes les répétitions. Alors que j’étais censée faire travailler l’orchestre en son absence, il était toujours là. J’ai donc appris de lui. Néanmoins, il m’a demandé deux fois de prendre en charge une répétition, la première au Théâtre des Champs-Elysées, la seconde à Athènes, afin qu’il puisse tester l’acoustique. Ce qui m’a rassurée est que les deux fois il n’a pas repris les passages que j’avais travaillés, les estimant acquis. » A l’instar de sa mère, elle fonde en 2013 son propre ensemble, l’Orchestre Idomeneo, qui joue indifféremment sur instruments anciens et modernes et avec lequel elle bâtit des programmes symphoniques et lyriques particulièrement élaborés. Elle participe également au projet Demos de la Philharmonie de Paris depuis 2010, se plaît à découvrir des œuvres de compositeurs du passé, plus particulièrement des compositrices, assurant notamment la création mondiale de la symphonie Grande Guerre de Charlotte Sohy (1887-1955) avec l’Orchestre Victor Hugo Franche Comté en 2019. Dans le domaine lyrique, elle a dirigé Rita de Donizetti au Brésil, Madame Butterfly, Aïda, la Flûte enchantée et Don Giovanni en France. Elle devrait retrouver ce dernier ouvrage cette saison à l’Opéra d’Avignon…

   Debora Waldman et l'Orchestre National Avignon-Provence. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

Debora Waldman a été choisie par la formation avignonnaise parmi cent soixante dix candidats pour prendre la succession de Samuel Jean. « Elle a présenté le meilleur projet, à la fois sur les plans artistique, pédagogique et territorial », se félicite Philippe Grison, directeur général de l’Orchestre National de Région Avignon-Provence. « Ce qui est difficile dans la direction d’orchestre, constate Debora Waldman, est de convaincre les musiciens à abonder dans notre sens en acquérant leur adhésion. Il faut avant tout s’entendre avec les musiciens, en créant une osmose autant artistique qu’humaine afin d’aller dans la même voie et de toucher ainsi la perfection. » Debora Waldman entend élargir le répertoire de l’orchestre, notamment aux compositrices. « Je souhaite inviter le public à une écoute active, avec un fil conducteur pour tout un concert voire une saison entière, des cycles de promenades musicales introduites par des conférences. J’entends aussi créer des résonances entre les nouveaux publics et le monde symphonique, développer la diffusion sur le territoire régional et les coproductions, ainsi que la création contemporaine. » 

Orchestre National Avignon-Provence. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

A la tête de cet orchestre de quarante musiciens depuis le 1er septembre 2019, sa première saison a été plombée par la pandémie de la Covid-19 qui a conduit la première des trois saisons de son contrat avignonnais réduite à peau de chagrin. Après avoir dirigé quatre concerts hors saison durant l’été, son premier concert d’abonnement a dû être diffusé en streaming sur le site Internet de l’orchestre (1) et sur son Facebook. « Sans public mais devant des caméras, on enregistre des podcasts, filmant tout un concert depuis ce qui le précède dans les coulisses. Mais notre raison d’être est devant le public vivant. Rien de comparable en effet. L’enregistrement est un témoignage, un instantané, l’expérience du concert public est unique, irremplaçable tant l'émotion est intense. Et pas seulement dans les salles de concerts, mais aussi dans les écoles, les hôpitaux, les ehpad, tout cela nous est interdit. Pour combien de temps ? En attendant, il nous faut multiplier les projets afin de créer une homogénéité, une qualité de son que j’entends avidement forger avec l’orchestre. »

Bruno Serrou

1) www.orchestre-avignon.com

vendredi 11 décembre 2020

CD : Wilhelm Kempff, la légende de la grande tradition allemande du piano romantique, en 80 CDs

Photo : (c) Universal Edition

Musicien-poète, Wilhelm Kempff est de ces pianistes qui ont forgé la légende de l’instrument-roi. Considéré comme l’un des derniers grands romantiques allemands du piano, son legs discographique est considérable. Son principal éditeur en publie la quasi-totalité en quatre-vingt CDs et quatre vingt douze heures de musique

La vogue des volumineux coffrets réunissant la somme des enregistrements d’un label confiés aux grands musiciens du passé ou en fin de carrière permet d’embrasser la totalité ou peu s’en faut l’évolution d’une personnalité artistique sur l’ensemble de sa vie. Justement considéré comme l’un des plus grands pianistes du XXe siècle, Wilhelm Kempff a mené une carrière prestigieuse sur plus de soixante ans, de 1917 à 1982, et il demeure aujourd’hui encore le modèle de l’interprétation de Bach, Beethoven et Schubert. Il est le dernier représentant de la grande tradition allemande du piano de la génération née à la toute fin du XIXe siècle, aux côtés d’Arthur Schnabel (1882-1951) et de Wilhelm Backhaus (1884-1969). Comme eux, il était à la fois pianiste et compositeur, mais, comme eux aussi, il est moins connu comme créateur que comme interprète.

Photo : (c) Universal Edition

Né le 25 novembre 1895 à Jüterbog dans le Brandebourg, mort à Positano en Italie le 23 mai 1991, fils et petit-fils d’organistes, l’orgue dont il est lui-même virtuose, Wilhelm Kempff entre à 9 ans à la Haute Ecole de Musique de Berlin, où il étudie le piano et la composition, avant de faire des études à l’Université en philosophie et histoire de la musique. En 1916, il commence sa carrière professionnelle comme pianiste-organiste accompagnateur du Chœur de la cathédrale de Berlin, et, l’année suivante, il donne son premier récital avec deux monuments du piano, la Sonate « Hammerklavier » de Beethoven et les Variations Paganini de Brahms. A l’instar de Bach qu’il a d’abord pratiqué comme organiste, Beethoven et Brahms deviendront ses compagnons de route. Le jeu de l’orgue et son tour improvisateur donnent à son jeu une liberté inouïe, avec un sens du rubato et du cantabile hors norme qui instille aux œuvres qu’il joue un onirisme saisissant, qui laisse après chaque écoute un sentiment de renouveau continu, chacune de ses lectures paraissant d’une brûlante spontanéité.

Wilhelm Kempff (1895-1991). Photo : DR

Ses Bach sonnent au piano comme s’il s’agissait de pages pour l’orgue, au point qu’il allait transcrire pour le piano plusieurs partitions pour orgue. Il gravera trois intégrales des Sonates de Beethoven entre 1925 et 1965, toutes trois réunies dans le coffret que propose DG, ainsi que plusieurs versions des sonates beethovéniennes les plus populaires. En 1970, il sera l’un des premiers pianistes à enregistrer l’intégrale des Sonates de Schubert, autre référence historique. Le coffret se subdivise en trois parties, les concertos (Beethoven [3 intégrales, la première sans le Deuxième réalisée en 1938-1943 réalisée sur pianos Bechstein, facteur auquel il sera lié en exclusivité jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avant de passer chez Steinway la marque Bechstein étant entachée par les relations étroites de la famille du facteur avec Hitler], Mozart, Schumann, Brahms, Liszt), musique de chambre de Beethoven (avec Wolfgang Schneiderhan, Yehudi Menuhin, Henryk Szeryng, Pablo Casals, Pierre Fournier, Dietrich Fischer-Dieskau), et, surtout, son legs majeur, le répertoire soliste (Bach, Haendel, Gluck, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Schumann, Liszt, Brahms), ainsi que des pièces de sa main pour orgue composées pour l’inauguration de la Cathédrale mémorielle d’Hiroshima en 1954. Malgré ses quatre-vingt CDs, ce coffret n’est pas exhaustif, et le livret qui l’accompagne est plutôt chiche en informations à l’exception des dates et des conditions d’enregistrements, mais il n’en demeure pas moins un élément capital que tout amateur de piano se doit de connaître, une référence absolue qui doit figurer en bonne place dans la discothèque de « l’Honnête Homme ». De quoi passer un joyeux Noël en dépit des circonstances…

Bruno Serrou

Coffret de 80CD « Wilhelm Kempff Edition » DG  (Universal Classics)

mardi 1 décembre 2020

CD : Adrien La Marca, l’alto héroïque

Publier un CD tandis que la vente de disques à l’instar de celle du livre est interdite tient de la gageure. C’est pourtant le défi qu'a relevé Adrien La Marca

Prodige de l’alto, instrument longtemps considéré comme mineur face à son cousin violon, Adrien La Marca, son authentique champion, voit son deuxième CD paraître en plein second confinement. « En fait, ce qui me contrarie le plus, dit le musicien, est le report des concerts que je devais donner pour la parution de ce disque. Déjà privé de concerts pendant trois mois au printemps dernier comme tous les artistes, j’ai traversé comme eux une terrible période, avant de retrouver en mai le chemin des salles, d’abord sans public, ce qui pour un musicien est le comble de la frustration, la privation de ce contact vital étant pour nous comme ne pas pouvoir boire ni manger. Mais si le premier confinement nous a spoliés de tout concert, le second permet de répéter et de nous produire avec d’autres artistes dans des salles certes vides mais pour un public qui se trouve derrière des écrans. » Adrien La Marca reste néanmoins optimiste, car après le déconfinement de mai, le public est revenu sans hésiter dans les salles, au point que, malgré les contraintes sanitaires, il a fallu doubler les concerts, « ce qui atteste de l’attente des gens ».

Né à Aix-en-Provence en 1989, frère cadet du violoncelliste Christian-Pierre La Marca avec qui il dirige le festival Les Musicales de Pommiers, proche du violoniste Renaud Capuçon avec qui il se produit en musique de chambre, Adrien La Marca a commencé le piano à quatre ans, le violon à cinq, avant de découvrir l’alto à six ans en écoutant Yuri Bashmet sur le chaîne de télévision franco-allemande Arte un dimanche après-midi, fasciné par le son chaud et feutré de l’instrument. « Tout en continuant à jouer du piano, je me suis présenté à seize ans au concours d’entrée dans la classe d’alto du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, au désespoir de ma professeur de piano. » Longtemps sous-estimé car voué aux violonistes de second rang, l’alto est devenu un instrument à part entière au XXe siècle. « Ce n’est pas tout à fait exact, corrige Adrien La Marca. Beaucoup de compositeurs ont écrit pour la viole d’amour, comme Jean-Sébastien Bach, Nicolo Paganini a su le mettre en valeur. Il a néanmoins fallu il est vrai attendre longtemps avant qu’il ait une classe au Conservatoire. Puis des virtuoses comme Paul Hindemith et William Primrose lui ont donné ses titres de noblesse. » Elève de Jean Sulem à Paris, de Tabea Zimmermann à Berlin et Tatjana Masurenko à Leipzig, il a également travaillé avec Christophe Desjardins, qui l’a ouvert à la création contemporaine et avec qui il a donné des concerts, notamment dans le Trio d’altos d’Emanuel Nunes et son arrangement pour altos de Messagesquisse de Pierre Boulez.

Après un premier CD consacré à la musique anglaise paru voilà quatre ans, Adrien La Marca, avec son deuxième disque, enregistré avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège à l’issue d’une résidence, conforte sa volonté de concevoir ses disques autour de thématiques. A l’instar du titre « Heroes », il valorise la dimension héroïque de l’alto, autour du grand Concerto que William Walton lui a consacré, et un arrangement pour alto et orchestre du chef, compositeur et orchestrateur Jean-Pierre Haeck de la suite Roméo et Juliette de Prokofiev qui encadrent une œuvre au tour hollywoodien devant autant à Korngold qu’à John Williams dédiée à Adrien La Marca, On the Reel (Sur la bobine), commande de l’orchestre liégeois au compositeur belge Gwenaël Mario Grisi (né en 1989).

Bruno Serrou

« Heroes », Walton, Grisi, Prokofiev. Adrien La Marca (alto), Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Christian Arming (direction). 1CD La dolce volta (www.ladolcevolta.com)

lundi 30 novembre 2020

Le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles face à la crise de la Covid-19

Reportage

Peter de Caluwe, directeur du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles. Photo : (c) Mireille Roobaert

L’un des théâtres lyriques les plus dynamiques et les plus primés d’Europe, le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles, traverse comme la grande majorité de ses semblables, l’une des périodes les plus délicates de son histoire. Ce qui ne l’empêche pas de se projeter dans l’avenir

Sous l’impulsion de son directeur général Peter de Caluwe, l’un des directeurs d’Opéra les plus créatifs au monde, le Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, qui compte parmi les premières scènes lyriques d’Europe et singulièrement novatrice, fourmille d’idées et d’envies. Les projets ne manquent pas. Commencée en septembre, la saison 2020-2021, à l’instar des précédentes, s’était ouverte sur une création mondiale, contrainte d’être donnée sans public pour cause de pandémie mais en streaming (1) sur le site internet de l’opéra du Belge Jean-Luc Fafchamps, Is this the end ? (2). « Après de nombreux retransmissions de spectacles des années passées pendant le confinement, et devant l’impossibilité d’accueillir du public, rappelle Caluwe, nous avons tenu à donner la création prévue dans une production CovidProof, pour reconnecter nos spectacles avec la magie du direct. » La deuxième production de la saison était elle aussi attendue, puisqu’il s’agissait pour Bruxelles de la création de la Ville Morte d’Erich Wolfgang Korngold ayant pour cadre la « Venise flamande » qu’est la ville de Bruges dans une production venue de Varsovie mais légèrement retravaillée pour l’adapter aux contraintes sanitaires du théâtre plus strictes que celles fixées par la Région de Bruxelles et par le gouvernement fédéral. « Cette fois, le public était présent, mais à mi-jauge, tandis que l’orchestre sur le plateau était limité à cinquante-sept musiciens dans une réalisation de Leonard Eröd. Mais nous avons dû interrompre les représentations après la deuxième pour cause de reconfinement. »

Institution fédérale aux côtés de l’Orchestre National de Belgique et des Bozar de Bruxelles, toutes trois subventionnés par le ministère des Affaires étrangères parce que participant à la renommée de la Belgique à travers le monde, le Théâtre de La Monnaie est fermé jusqu’à une date indéterminée,  après une première échéance fixée au 15 novembre, date qui correspondaient à la fin des vacances prolongées de Toussaint en Belgique. Si bien que si cette prolongation du confinement perdurait, toutes les productions engagées seront qui seront reportées le seront sur les saisons suivantes. « Il n’est pas question de perdre les investissements déjà engagés, surtout ceux des spectacles en coproductions, s’engage Peter de Caluwe. Chevalier à la rose, Dame de pique, Falstaff… » Le dernier opéra de Verdi, qui devait être le spectacle de fin d’année, est lui aussi repoussé. Ce qui est motivant pour nous, c’est que le public nous fait confiance non seulement pour la qualité des spectacles mais aussi sur le plan de la sécurité sanitaire, car il ne craint pas de venir à La Monnaie. Dès que la saison a été annoncée, quatre vingt douze pour cent de nos abonnements ont été remplis, et quand les jauges s’élargissent, le public en profite. Pour La Ville morte, la liste d’attente était de deux mille cinq cents personnes pour des demi-salles. Si nous avions pu aller au terme des représentations, nous aurions équilibré nos coûts. Ce sont ces pertes nous contraignent à reporter Falstaff prévu en décembre, bien avant que la prolongation de la fermeture des salles de spectacles soit décidée par le gouvernement fédéral. »

Tout en restant réaliste, La Monnaie souhaite ne pas bousculer ses prochaines saisons. Peter de Caluwe entend répartir les spectacles annulés sur plusieurs années en les intégrant aux programmations déjà engagées. « Nous pensons aujourd’hui à l’hiver et au printemps prochains, dit-il, nos projets étant plus ou moins sous contrôle d’ici le mois de juin. Si, lors du premier confinement, nous avons pu payer tous nos collaborateurs, nous sommes cette fois contraints de les mettre au chômage technique, rien n’étant prévu par notre tutelle, mais nous essayons de maintenir un maximum d’entre nous en activité. »

Les artistes engagés pour les productions reportées voient leurs contrats reconduits sur les dates futures, car ils restent liés à ces productions quelles que soient les dates fixées dans les saisons à venir. Tous ont refusé les à-valoir qui leur ont été proposés. « Nous avons dû adapter notre programmation à ce nouveau confinement, constate Peter de Caluwe, mais nous espérons qu’en janvier il sera possible de relancer une programmation qui se tient, car nous ne pouvons pas travailler à plein temps à cent pour cent de nos effectifs dans les ateliers de décors et de costumes, et nous n’avons pas l’autorisation de faire des tests Covid-19 sur des personnes qui sont asymptomatiques. Ainsi, la production prévue en janvier-février du Tour d’écrou de Britten, tous les acteurs de la production devraient être testés dans leurs pays d’origine quarante-huit heures avant d’entrer en Belgique, puis il faudrait les tester à chaque répétition et à chaque représentation… Ce qui tient de l’impossible…

Le Théâtre de La Monnaie en son entier ne pense qu’à l’avenir, sûr d’être capable de s’adapter à toutes les situations, jusqu’à deux cents places si nécessaire en janvier et février prochains, et s’il envisage bien sûr le pire, il ne cède en rien à la frustration et à l’angoisse, bien qu’il ne soit pas question d’envisager des déficits qui ont trop longtemps entravé l’activité du théâtre de la fin de l’ère Gérard Mortier jusqu’en 2013. « Nous ne touchons pas aux prochaines saisons, assure Peter de Caluwe, et nous maintenons les commandes que nous avons passées à Philippe Boesmans, On a purgé bébé de Feydeau pour Noël 2022, et à Bernard Foccroule en 2023. »

Bruno Serrou

1) www.lamonnaie.be/fr/streaming/1793-is-this-the-end. 2) Quelques heures avant la première répétition, le chef d’orchestre Patrick Davin était terrassé à 58 ans par un arrêt cardiaque le 9 septembre

 

jeudi 22 octobre 2020

A Aix-en-Provence, les jeunes musiciens tablent sur de nouveaux horizons

Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. Vendredi 16, samedi 17 et dimanche 18 octobre 2020

Aix-en-Provence, salle du Grand Théâtre de Provence. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous l’égide de Renaud Capuçon et de Gérard Caussé, dix jeunes compositeurs et quinze jeunes interprètes se sont produits Grand Théâtre de Provence du 16 au 18 octobre pour des concerts en entrée libre les premiers jours d’un couvre-feu soudain

Les jeunes instrumentistes encadrés par Gérard Caussé (à gauche) et Renaud Capuçon (à droite). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

L’intitulé de ce week-end, Horizons Nouveaux, disait bien qu’il s’agissait, en pleine période de désarrois pour les artistes et le public, de créer des perspectives d’avenir. Cet événement financé par le seul mécénat a été voulu par Dominique Bluzet, directeur du Grand Théâtre de Provence. « Au sortir du confinement, dit-il, la relation aux jeunes est capitale. Ce week-end répondait à un désir de solidarité, les jeunes étant les musiciens les plus fragilisés car en début de carrière, ils ne peuvent plus jouer à l’étranger tandis qu’en France plus des quatre-cinquièmes de leur activité a disparu. Ils sont donc socialement extrêmement fragilisés. »

Anna Egholm (violon) et Gérard Caussé (alto). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

Tandis que le monde de la culture était astreint à remettre à plat ses programmations dès le week-end dernier pour s’adapter dans l’urgence aux nouvelles contraintes sanitaires dans huit métropoles touchées par le couvre-feu, l’un des théâtres de l’agglomération Aix-Marseille a réussi à organiser dans l’urgence un festival de trois jours réunissant vingt-cinq jeunes musiciens (dix  compositeurs et quinze interprètes) autour de Renaud Capuçon et de son complice de toujours l’altiste Gérard Caussé. « Renaud et moi avons le privilège de l’âge, sourit Caussé. Nous avons pu faire des choses pendant le confinement, à la télévision, à la Philharmonie où nous avons pu donner des concerts sans publics. Pas les jeunes. Nous avions vu que Daniel Barenboïm, à Berlin, avait passé commande à dix compositeurs de renom pour des concerts à la Boulezsaal. Mais contrairement à lui, nous avons choisi de faire appel à des jeunes. On pense aux jeunes interprètes, pas aux jeunes créateurs, qui ont pourtant plus de difficultés. Nous avons demandé à des artistes références dans le domaine de la musique contemporaine qui participent à des festivals qui lui sont consacrés de nous mettre sur des pistes de compositeurs entre vingt et quarante ans, et moi-même qui m’y intéresse beaucoup ayant été des membres fondateurs de l’Ensemble Intercontemporain. Quant aux jeunes interprètes, nous en rencontrons beaucoup dans les masters classes et dans les attributions de bourses… » 

Yves Chauris (né en 1980). Photo : DR

Compositeurs et interprètes ont subi de plein fouet la crise du coronavirus, et se sont retrouvés dépourvus de toute perspective immédiate de concerts et de commandes. Si bien qu’ils se sont empressés de répondre favorablement à l’invitation de Renaud Capuçon, malgré les délais serrés qui étaient imposés aux compositeurs, trois mois pour composer chacun une œuvre nouvelle afin que leurs interprètes puissent travailler les partitions un mois en amont du concert. Les formations imposées correspondaient à celles des œuvres du répertoire programmées à l’ensemble instrumental...

Christian Mason (né en 1984). Photo : DR

Pour les jeunes compositeurs en effet cette période est particulièrement compliquée. Surtout s’ils se consacrent exclusivement à la création, les institutions reportant systématiquement les commandes à des jours espérés meilleurs. Christian Mason, compositeur britannique recommandé par son confrère français Benjamin Attahir rencontré en 2011 à l’Académie de Lucerne de Pierre Boulez, était de la sélection. « Renaud Capuçon m’a commandé une œuvre en me donnant libre choix dans l’instrumentarium qu’il souhaitait rassembler. J’ai opté pour celui de La Truite de Schubert, pour un quintette avec piano et contrebasse. Actuellement, je travaille beaucoup pour moi, sans savoir quand mes pièces seront jouées… »

Aliya Vodovozova (flûte), Renaud Capuçon (violon), Sindy Mohamed (alto), Caroline Sypniewski (violoncelle). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

Parmi les interprètes de la pièce de Mason, la violoniste Anna Engholm, élève de Renaud Capuçon. « Il m’a contactée par SMS, me demandant si j’étais libre du 13 au 18 octobre. Il ne m’a rien dit sur de plus, pas même sur l’objet de son projet. Mais sachant qu’avec lui c’est toujours super, je n’ai pas hésité une seconde. Depuis la crise de la Covid-19, tant de projets sont annulés, que dès qu’un se présente, je suis très motivée, espérant qu’il ne soit pas annulé. En plus, celui-ci était attractif, car il est extrêmement intéressant de travailler avec autant de compositeurs en une semaine. C’est un luxe d’avoir autant de temps avec eux, car ils ont chacun une façon très personnelle de travailler. Il y en a avec qui ça marche immédiatement, ils nous donnent beaucoup de liberté, changent des choses sur leur partition, avec qui on essaye des choses, d’autres qui ont une idée très claire de ce qu’ils veulent, il nous faut donc tout faire pour y arriver. Et surtout, c’est très important de faire de la création parce que c’est la musique de demain. »

Anna Egholm (violon), Gérard Caussé (alto), Julia Hagen (violoncelle), Ricardo Delgado (contrebasse), Guillaume Bellom (piano). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

Le public aixois ne s’y est d’ailleurs pas trompé en venant en nombre assister à ces trois jours hors normes. Plus de six cents spectateurs de tous âges, jusqu’aux plus jeunes enfants, pour une jauge totale de mille trois cents personnes, attirés par la gratuité de l’événement mais aussi par la programmation et par le désir de retrouver les joies de la musique jouée en direct et de la découverte. Peu de défections en cours de concerts en dépit de la témérité de certaines oeuvres qui aurait pu déconcerter ce public où se bousculent autant de mélomanes avertis que de novices. Il faut dire que les programmes étaient fort bien pensés. Car si les œuvres nouvelles alternaient avec le grand répertoire, leur enchaînement n’avait rien d’artificiel, mais se présentaient au contraire sous des formes instrumentales et structurelles comparables, créant ainsi la surprise sur un même effectif entre passé et présent. La variété des styles et des écoles était assurée, et trois œuvres sont finalement sorties du lot parmi les dix créations, car tel est le sort d’une telle opération, Shadowy Fish de Christian Mason (né en 1984), J’écrivais des silences d’Yves Chauris (né en 1980), ou Midarégami d’Aki Nakamura (née en 1975).

Bruno Serrou

A voir et à écouter sur Arte Concerts pendant 1 an, sur France Musique les 30 novembre, 2 et 9 décembre 2020 à 20h

mardi 29 septembre 2020

Picasso et la musique, superbe exposition à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Les Musiques de Picasso. Lundi 22 septembre 2020

Photo : (c) Bruno Serrou

Dans la ligne de ses grandes expositions thématiques autour de la musique, plus particulièrement de celles consacrées à Paul Klee (Paul Klee : Polyphonies) en 2011 et à Marc Chagall (Marc Chagall, le triomphe de la musique) en 2015, la Philharmonie de Paris consacre jusqu’au 3 janvier prochain une exposition sur Pablo Picasso et à ses relations à la musique, ou plutôt « ses musiques », tandis que le grand peintre andalou, à l’instar de Victor Hugo, disait à qui voulait l’entendre ne pas aimer la musique : « Au fond quand on parle d’art abstrait, on dit toujours que c’est de la musique, remarquait Picasso à Hélène Parmelin. Quand on veut en dire du bien on parle musique. Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas la musique. » 

Arlequin à la guitare, Paris, 1918. Photo : (c) Bruno Serrou

Une déclaration de Picasso qui peut surprendre quand on sait ses relations avec les compositeurs et les chorégraphes, les musiques traditionnelles, populaires et savantes, ses tableaux et sculptures où figurent musiciens, danseurs, instruments de musique qu’il se plaisait à collectionner (violons, luths, mandolines, banjo, cithares, guitares, balalaïka, clarinette, flûte de pan, diaules, tambours, tambourins, xylophone bala et tenora, épinette des Vosges, harpe, orgues de barbarie, clairons, etc.), violonistes croqués dans les rues de Barcelone, joueurs de flûte peints à Mougins, orchestres, saltimbanques, musiciens de cirques, fanfares, corridas, guitaristes et guitares cubistes, aubades, danseurs, ballets, ses amitiés avec les compositeurs comme Stravinski, Satie, Falla, Poulenc, Auric, Honegger, ses rencontres avec Rostropovitch, Manitas de Plata et sa troupe de gitans, pour le flamenco, les coplas andalous.

Joueur de diaule assis (1956), Joueur de flûte debout (1956), Joueur de diaule (1954-1956). Photo : (c) Bruno Serrou

L’importance accordée par Picasso à la musique en tant que sujet d’inspiration place l’artiste espagnol dans la tradition de l’art pictural remontant à l’antiquité, se prolongeant au Moyen Âge et à la Renaissance, pour s’épanouir au XIXe siècle et jusqu’à nos jours, avec compositions et natures mortes, et se plaçant dans l’esprit de Renoir, Degas et Toulouse-Lautrec dans ses scènes de danse et de cabaret.

Homme à la mandoline, Paris, automne 1911. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est Jean Cocteau rencontré par l’intermédiaire d’Edgar Varèse avant le départ de ce dernier pour les Etats-Unis, qui lui propose de collaborer au ballet Parade composé par Erik Satie, et qu’il fait la connaissance des compositeurs du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre) pour lequel il réalise le frontispice du livret Le Coq et l’Arlequin, ainsi qu’Igor Stravinski et Serge de Diaghilev, le directeur fondateur des Ballets Russes. Ainsi conçoit-il décors, costumes, rideaux de scène des ballets Le Tricorne de Falla, Parade de Satie, Pulcinella de Stravinski, il fréquente les compositeurs Maurice Ravel, Jean Wiéner, Virgil Thomson, René Leibowitz, Luigi Nono, les chefs d’orchestre Ernest Ansermet, Igor Markevitch, les instrumentistes Pablo Casals, Alfred Cortot, Wanda Landowska, Sviatoslav Richter, Arthur Rubinstein, Andrés Segovia, jusqu’au chanteur d’opérette Luis Mariano…

Costumes de Picasso pour le ballet Parade d'Erik Satie, Paris 1917. Photo : (c) Bruno Serrou

Présentée en neuf sections, placée sous la brillante autorité de Cécile Godefroy, commissaire du projet, sous les conseils avisés de la musicologue Elise Petit, l’exposition rassemble une vingtaine d’instruments de musique ayant appartenu à Picasso. Accueilli par l’installation intitulée Le Chant des Mondes qui réunit trois grandes sculptures représentant trois joueurs de flûte et de diaule tandis que l’on entend les sons de la nature venus des hauteurs de Cannes où vivait alors Picasso dans les années 1950, le visiteur suit un parcours qui le conduit en huit escales ; Musiques d’Espagne, où l’artiste, Andalou de naissance et Catalan de cœur, vit jusqu’en 1904 avant d'y séjourner régulièrement jusqu’en 1934, et dont il n’oubliera jamais les accents et les couleurs, assistant souvent à des corridas et aimant se plonger dans les chants et les danses flamenco et les musiques gitanes. La deuxième section, Le Musicien Arlequin, où l’on retrouve Picasso à Paris, où il fréquente les cabarets, les cafés-concerts et les salles de spectacle de la place de Clichy, se liant aux poètes Max Jacob et Guillaume Apollinaire, ainsi que la chanteuse Yvette Guilbert. La troisième section est consacrée aux Instruments cubistes, présents dans la peinture de Picasso dès 1909 qu’il décline sur une grande variété de supports et de techniques en deux et trois dimensions et dont il fera une source d’inspiration de premier plan dans l’aventure cubiste. 

Violon, Paris 1915. Photo : (c) Bruno Serrou

La section 4, Musique et Poésie, montre combien la relation de Picasso avec Guillaume Apollinaire a été déterminante, avec la guitare déclinée sous toutes les formes, et les poèmes que le peintre compose et qui renvoient aux rythmes entêtants du taconeo et des palmas du flamenco. Les sections 5 et 6 présentent la part la plus connue de la création de Picasso, puisqu’il s’agit des Ballets et de ses Amitiés musicales

Partie de la collection privée d'instruments de musique de Pablo Picasso. Photo : (c) Bruno Serrou

Intitulée Aubades, la Section 7 démontre combien Picasso dans les années 1930 était empli de l’iconographie remontant à l’Antiquité, avec bergers musiciens, muses incarnant le bonheur pastoral, la sensualité solaire. La Flûte de pan, thème de la huitième section, tient dans l’œuvre de Picasso une place centrale dans le cadre de sa période néoclassique, où la musique se fait célébration. 

L'Aubade, Mougins, 19-20 janvier 1965. Photo : (c) Bruno Serrou

L’exposition se termine sur les derniers tableaux de Picasso peints à Mougins entre 1966 et 1972, présentés sous l’intitulé Le Peintre-Musicien, l’artiste s’y incarnant sous les traits de musiciens, guitariste ou flûtiste, au sein de rondes champêtres, d’aubades et de concerts intimes à l’érotisme exacerbé, comme une ultime célébration dionysiaque avant la mort.

Danseuse et guitariste, 29 janvier 1954. Photo : (c) Bruno Serrou

Initialement prévue du 3 avril au 16 août 2020, reportée du 22 septembre 2020 au 3 janvier 2021, cette exposition remarquablement présentée (je recommande vivement au visiteur de se munir des écouteurs gracieusement mis à la disposition du public à l’entrée afin de goûter aux illustrations sonores tout aussi denses qui accompagnent l’exposition) est à voir et à revoir à satiété, riche et multiple, reflet de l’imaginaire foisonnant du plus grand, du plus prolifique et du plus protéiforme des artistes du XXe siècle.

Bruno Serrou

Les Musiques de Picasso, Musée de la Musique, Philharmonie de Paris., jusqu’au 3 janvier 2021. Du mardi au jeudi, 11h-18h, du vendredi au dimanche 11h-20h (vacances scolaires mardi, mercredi, jeudi 10h-19h, samedi, dimanche 10h-20h). Tarifs : tarif plein : 12€ ; tarifs réduits : 9 et 6€. Renseignements et réservations : (+33) (0)1.44.84.44.84. www.philharmoniedeparis.fr/expo-picasso. 221, avenue Jean-Jaurès. 75019-Paris.

Publications : Catalogue de l’exposition Les Musiques de Picasso. Sous la direction de Cécile Godefroy. Coédition Gallimard / Philharmonie de Paris. 312 pages, 45€. Pour les enfants : Cahier d’activité Les Musiques de Picasso. Editions de la Philharmonie de Paris, 13,90€. Les Musiques de Picasso, carnet d’exposition de Cécile Godefroy. Découverte Gallimard, 9,50€. Disques : Les Musiques de Picasso, 2CD Harmonia Mundi, 11,50€.

mercredi 23 septembre 2020

Pour sa 38e édition, Musica de Strasbourg tourne une page d'histoire de la création musicale

Strasbourg. Musica. Palais de la musique et des congrès, Salle de la Bourse, Opéra national de Strasbourg. Vendredi 18, samedi 19, dimanche 20 septembre 2020

Beaucoup de changements pour le plus grand festival français voué à la création musicale qui fait son entrée dans le XXIe siècle 

Stéphane Roth (à gauche), directeur de Musica, entouré de journalistes. Photo : (c) Bruno Serrou

Le monde et les temps changent, y compris dans le champ de la création musicale. En deux ans le virage est impressionnant et symptomatique. Là où il y a deux ans Musica défendait une manière de penser la création dans l’héritage des mouvements et écoles successifs des avant-gardes, l’arrivée à sa tête l’an dernier d’un nouveau directeur artistique, Stéphane Roth, fait que le festival, qui se veut le reflet de la création d’aujourd’hui, se présente pour sa trente-huitième édition comme une « borne générationnelle ». 

La casse du piano n° 2 du Piano Concerto de Simon Steen-Andersen. Photo : (c) Bruno Serrou

« Nous en sommes à la post-musique savante, avertit Stéphane Roth. Voilà vingt ans que nous sommes au XXIe siècle, le XXe est donc déjà loin, et la définition de la musique a changé de logiciel. Aujourd’hui il y a la vidéo, les technologies informatiques, l’édition papier n’a presque plus cours, les musiques populaires sont devenues inventives, à l’instar du rap, qui l’est autant sur le plan musical que poétique, il a désormais ses Verlaine et ses Rimbaud... Mon moto est “à bas les catégories”, les génies créateurs sont partout. » Et plus besoin d’avoir fait de longues études de composition pour avoir du talent. A tel point qu’en deux éditions, le public a été renouvelé à soixante pour cent, tandis que les fidèles sont tout aussi nombreux qu’auparavant, bien qu’ils s’avouent « un peu déboussolés » tout en prêtant une oreille attentive à ce souffle nouveau. « Nous restons dans la continuité du projet initial de 1983, assure néanmoins Stéphane Roth, et nous avons créé un Minimusica qui s’adresse aux enfants de trois mois à douze ans, ainsi que des programmes spécifiques pour les diverses tranches d’âge jusqu’à 27 ans, avec des spectacles adaptés reflétant la programmation générale. »

Le dispositif de Run Time Error @Opel de Simon Steen-Andersen. Photo : (c) Bruno Serrou

Musica souhaite aussi se déployer sur l’ensemble du territoire de la région Grand-Est, avec des débordements transfrontaliers, Allemagne, Belgique, Luxembourg, et développer les coproductions avec les infrastructures locales et régionales, avec théâtres comme le Théâtre National de Strasbourg (TNS), Le Maillon, l’Opéra du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, les ensembles voués à la musique contemporaines, La Manufacture de Mulhouse, etc.

Stimmung de Karlheinz Stockhausen par l'ensemble vocal Les Métaboles. Photo : (c) Bruno Serrou

L’édition 2020 subit les aléas de l’épidémie de la Covid-19, avec des programmes fixés au tout dernier moment, puisqu’ils ont fini par être cristallisés peu de jours avant l’ouverture, en fonction des normes sanitaires strictement suivies quoique en constante évolution (quinze mille spectateurs en 2019, neuf mille en 2020). Ainsi, un certain nombre d’œuvres ont été déprogrammées pour être éventuellement reportées sur les prochaines éditions.

Le Trio Catch. Photo : (c) Bruno Serrou

Le week-end d’ouverture montre combien la musique planante plus ou moins vertébrée a le vent en poupe. Les tempos lentissimes, les œuvres sans début ni fin, sécables à volonté sont systématiques. Les ruptures de rythmes, d’atmosphères, les tensions et rémissions sont fort rares. Autant en musique pour orchestre que pour chœurs ou de chambre. Au point que l’on a l’impression de rester dans la même œuvre des heures entières, malgré les changements de compositeurs et d’effectifs.

Choeurs du lycée Stanislas de Wissembourg et du Schiller Gymnasium d'Offenburg dans Teenage Lontano de Marina Rosenfeld. Photo : (c) Bruno Serrou

Le compositeur-clef du premier week-end a été le Danois Simon Steen-Andersen (né en 1976). Sa musique use fréquemment d’instruments acoustiques amplifiés combinés à des samplers, de la vidéo, des objets courants ou de construction artisanale. Les œuvres qu’il a présentées se situent dans le monde industriel. Run Time Error @Opel pour orchestre (2015) est longue et monochrome, mais Piano Concerto, qui met en jeu un piano de concert jeté d’un troisième étage, séduit.


Nicolas Hodges (pianos), le Basel Sinfonietta et Baldur Brönnimann (direction) dans Piano Concerto de Simon Steen-Andersen. Photo : (c) Bruno Serrou

Le pianiste joue de deux claviers, celui de son grand-queue au-dessus duquel est posé un clavier électronique chargé d’incarner le son du piano en lambeaux que le soliste préalablement filmé en noir et blanc joue simultanément. Une pluie de clusters (au sens musical du terme, pas celui des néfastes « foyers » de covid-19) joués avec des gants noirs, découle du combat titanesque et ludique entre le double-pianiste et l’orchestre, et qui reprend à la fin une citation du Concerto n° 1 de Tchaïkovski, qui tente une percée. Ce combat dantesque particulièrement réjouissant entre deux pianos est joué avec panache par Nicolas Hodges et le Basel Sinfonietta réduit à soixante-dix musiciens au lieu des quatre vingt quinze prévus par la partition, à cause de la distanciation contrainte par le covid-19. Précédent cette oeuvre, le Teenage Lontano pour choeur amateur d'adolescents a capella de Marina Rosenfeld (née en 1968) préludait à Joshua Tree de Georg Friedrich Haas (né en 1953), les deux partitions semblant sortir du même moule, la seconde apparaissant comme la version orchestrale de la première...

Amélie Grould et Alexandre Babel dans Telegraph Music de Ryoji Ikeda. Photo : (c) Bruno Serrou

La veille au soir, le programme d’ouverture avait été conséquent, avec entre autres un singulier Run Time Error du même Steen-Andersen par le somptueux Ensemble Modern, et une œuvre référence des années 1970, Stimmung de Karlheinz Stockhausen (1928-2007), interprétée de façon trop linéaire par l’ensemble vocal Les Métaboles. Le Trio Catch, après deux pièces fleurant des travaux d’élèves, a donné aux Trios pour violoncelle, clarinette et piano de Beat Furrer (né en 1954) et de Georges Aperghis (né en 1945) la dimension de classiques. Malgré son indéniable talent, le Quatuor Diotima n’a pas réussi à sortir l’auditoire d’une fatale torpeur suscitée par des musiques planantes et interminables signées Ryoji Ikeda (né en 1966) qui encadraient le sublime Quatuor op. 131 de Beethoven, où les Diotima n’ont pas été exempts de déséquilibres sonores et de légères approximations.

Quatuor Diotima. Photo : (c) Bruno Serrou

Les œuvres pour percussions du même Ryoji Ikeda n’ont pas la même ambition que ses dispositifs audiovisuels mis en jeu dans ses Body Music et Metal Music donnés la veille par les percussionnistes Alexandre Babel et Stéphane Garin. A l’exception de Ball Music, qui joue avec le rebond de balles de ping-pong, les autres pièces relèvent des farces et attrapes, notamment un interminable duo, Telegraph Music, de morse digne du S.O.S. lancé par le Titanic en train de couler...

Edvard Grieg, Solveig [L'Attente], conception et mise en scène de Calixro Bieito. Photo : (c) Bruno Serrou

En préfiguration de ses futures collaborations avec l’Opéra du Rhin, Musica a intégré une production nouvelle de l’Opéra de Strasbourg loin de ses standards, puisqu’il s’est agi d’un spectacle de Calixto Bieito, Solveig [L’Attente] tiré de la musique de scène de Peer Gynt d’Edvard Grieg (1843-1907), avec la superbe soprano suédoise Mari Eriksmoen, le remarquable choeur de l’Opéra strasbourgeois et un Orchestre philharmonique de Strasbourg en grande forme dirigé avec onirisme par Elvind Gullberg Jensen.

Bruno Serrou

Jusqu’au 3 octobre. Tel.: +33 (0)9 54 10 41 96. www.festivalmusica.fr

jeudi 17 septembre 2020

Olga Neuwirth, la Résistante du Festival d'Automne

 

Olga Neuwirth (née en 1968). Photo : Michael Pöhn/Wiener Staatsoper

Olga Neuwirth, aux côtés de sa consœur finlandaise Kaija Saariaho, est la compositrice la plus en vue de la création musicale contemporaine. La créatrice autrichienne est l’un des compositeurs les plus inventifs, téméraires et anticonformistes de notre temps.

A 52 ans, Olga Neuwirth est une compositrice des plus engagées dans son temps, portant un regard acéré et singulièrement vigilent sur le monde et son actualité, ainsi que sur tous les modes d’expression artistique, cinéma, littérature (elle est proche de la prix Nobel Elfriede Jelinek avec qui elle a signé plusieurs œuvres scéniques), théâtre, danse… Disciple de Tristan Murail, soutenue par Pierre Boulez, elle a toujours été attirée par la culture française dans sa diversité, autant sur le plan musical, entretenant des relations privilégiées avec l’Ircam, l’Ensemble Intercontemporain, le Festival d’Automne, que sur les plans littéraire (Georges Pérec, Raymond Roussel) et cinématographique (sa thèse de doctorat était consacrée à la musique des films d’Alain Resnais). « Je pourrais mentionner nombre d’artistes français. J’ai toujours été intriguée et inspirée par l’immensité et par la diversité de l’art et de la culture, qu’ils soient jugés nobles ou populaires, rugueux ou avenants. »

Née à Graz en 1968, Olga Neuwirth est une écorchée vive, toujours inquiète, bouillonnante, enthousiaste, déterminée. Pour elle, la crise de la Covid-19 a été une période difficile, assistant à de nombreuses annulations tandis que ses œuvres étaient programmées dans de nombreux pays. « Je n’ai pas pu me concentrer pendant toute la durée du confinement, mais j’ai beaucoup jardiné, et cuisiné au point d’avoir l’impression d’être Rossini à la fin de sa vie (rires) : au lieu de composer, j’ai cuisiné. » Olga Neuwirth a passé cette période dans la campagne autrichienne non loin de Graz, sa ville natale, où elle a terminé la commande d’une œuvre pour contre-ténor et orchestre, tandis que l’épidémie l’a empêchée de se rendre à New York où l’une de ses œuvres était initialement programmée, ainsi qu’une longue tournée aux Etats-Unis. « Après la création de mon opéra Orlando d’après Virginia Woolf à l’Opéra de Vienne en décembre 2019 et la composition de ma nouvelle pièce d’orchestre, mon activité a été réduite à zéro. N’étant ni interprète ni professeur, je ne vis qu’avec ma musique, et les temps sont durs pour moi. » En ces temps particulièrement difficiles, elle craint pour l’avenir de la création musicale et sa diffusion auprès du public : « Je ne suis pas un messie pour savoir ce qui va se passer, je peux seulement dire que la création musicale est encore plus remise en question en ces temps critiques sur les plans économiques et socio-politiques. Orchestres, opéras et grands festivals sont des institutions coûteuses et l’on constate, après leur lente réouverture que peu proposent des œuvres nouvelles. Les directeurs espèrent qu’avec la tradition, ils pourront récupérer un peu d’argent. Mais c’est un signe d’exclusion d’un public d’esprit plus ouvert. Mais les petites institutions, elles, se battent vaillamment pour obtenir des financements pour notre musique. Si quelque chose peut se maintenir, ce sera avec de petites pièces jouées avec des effectifs réduits. »

Cet automne, la musique d’Olga Neuwirth s’invite à Paris dans quatre soirées, dont trois dans le cadre du Festival d’Automne. Après une première œuvre donnée par l’Intercontemporain (Hommage à Klaus Nomi) le 16 septembre, deux autres pièces sont programmées par le Festival d’Automne (1) par les Orchestres Les Siècles et Philharmonique de Radio France.

Bruno Serrou

1) 26-27/09 Théâtre de Chaillot (Clinamen/Nodus), 20/11 Maison de la Radio (Masaot, Clocks Without Hands), www.festival-automne.com 01.53.45.17.17