vendredi 30 août 2019

Le Festival Ravel de Saint-Jean-de-Luz, rendez-vous majeur de la musique en Côte Basque sous la dynamique impulsion de Jean-François Heisser

Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées atlantiques). Dimanche 24 et lundi 25 août 2019

Saint-Jean-de-Luz. Eglise Saint-Jean-Baptiste. Le retable. Photo : (c) Bruno Serrou

Deux grandes manifestations estivales ont fusionné en 2016 au Pays basque côté français, le Festival Musique en Côte basque et l’Académie internationale Maurice Ravel. Toutes deux se sont longtemps fait concurrence, alors-même qu’elles étaient complémentaires : le festival invitait des musiciens consacrés, l'académie s’était donné pour mission la découverte et la formation de jeunes talents forgés par les institutions de pédagogie musicale parmi les plus courues dans le monde.

L'affiche du Festival Ravel 2019. Photo : (c) Bruno Serrou

A Saint-Jean-de-Luz, face à la maison natale de Maurice Ravel plantée de l’autre côté du port, à Ciboure, dans la demeure qu’avait occupé le cardinal Mazarin lors du mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne, tout rappelle Maurice Ravel, qui y habita dans plusieurs maisons successives durant ses vacances jusqu’à sa mort en 1937. Je m’étais rendu dans cette célèbre station balnéaire pour des reportages dans chacune des manifestations, qui se déroulaient quasi au même moment. La dernière fois, c’était pour Musique en Côte basque début septembre 2010. Ce festival fêtait cette année-là son demi-siècle. Pierre Larramendy, alors premier adjoint et futur maire de Saint-Jean-de-Luz, fondait ce festival à l’occasion du trois-centième anniversaire du mariage de Louis XIV dans cette même ville avec Marie-Thérèse d’Autriche. Pérennisé pour renforcer l’attractivité de la station balnéaire au-delà des deux mois d’été, Musique en Côte Basque a été l’un des rendez-vous majeurs de l’arrière-saison des festivals.

La plage de Saint-Jean-de-Luz le dernier lundi matin d'août 2019. Photo : (c) Bruno Serrou

L’Académie internationale Maurice Ravel a été quant à elle initiée quelques années plus tard, en 1967. Sa mission est d’accueillir des élèves de l’enseignement supérieur qui souhaitent se familiariser avec les chefs-d’œuvre de la musique française et à la création contemporaine, avec chaque année un compositeur en résidence. Cette année, Philippe Manoury.

Ciboure, la maison natale de Maurice Ravel qu'avait précédemment occupée le cardinal Mazarin pour le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche. Elle est vue ici depuis le quai du port de Saint-Jean-de-Luz. Photo : (c) Bruno Serrou

Si le festival commençait en août et se terminait première semaine de septembre, l’académie occupait et occupe toujours la première quinzaine de septembre. Elle est destinée à des jeunes talents qui cherchent à s’aguerrir à la musique française, ses chefs-d’œuvre comme son répertoire le moins couru, ainsi qu’à la création contemporaine, avec chaque année un compositeur en résidence. Pianistes, violonistes, altistes, violoncellistes, ensembles de musique de chambre sont issus des classes de perfectionnement des grands conservatoires et écoles supérieures qui réunissent une soixantaine de jeunes musiciens de dix-sept nationalités venant d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Dispensés par des solistes et pédagogues de renommée mondiale, ces cours d’interprétation sont publics, ce qui la spécificité de l’académie. Ils offrent ainsi à un large public, qui a libre accès à ces cours, une approche originale et conviviale de la musique classique au contact direct avec de grands artistes et peuvent suivre ainsi l’évolution du travail interprétatif qui aboutit durant la seconde quinzaine à des concerts.

Jean-François Heisser, directeur du Festival Ravel. Photo : (c) Bruno Serrou

L’Académie, se flatte le directeur du Festival Ravel Jean-François Heisser, a vu pour professeurs des musiciens comme Aldo Ciccolini, Maurice Gendron, Christian Ferras, Vlado Perlemutter, Manuel Rosenthal, Pierre Barnac… Cette année, ce sont Michel Beroff, Philippe Graffin, Marc Coppey, Miguel da Silva, Claire Désert qui dispensent leur expérience, tandis que Philippe Manoury est le compositeur en résidence, succédant à Pascal Dusapin, Philippe Hersant, Bruno Mantovani, Gilbert Amy, Bernard Cavanna, Félix Ibarrando, Ramon Lazkano…

Saint-Jean-de-Luz, le port et  quelques filets de pêche, vue sur Ciboure. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour la troisième année, les deux manifestations se confondent. La synergie les a conduites à fusionner et à se dérouler conjointement, créant ainsi un nouvel événement, le Festival Ravel en Nouvelle Aquitaine. « Ce festival entend représenter la musique et l’esprit de Ravel, son humanité, se félicite Jean-François Heisser. Il s’inspire de sa personnalité universelle dans sa programmation en s’ouvrant sur les cultures du monde, particulièrement l’Espagne, le Pays Basque, l’Amérique avec le jazz, l’extrême Orient, les musiques russe et viennoise, mais aussi l’attirance de Ravel pour la musique baroque française, sa grande ouverture d’esprit, sa tolérance, sa très grande exigence vis-à-vis de sa musique, ce qui lui permettait d’être très exigeant avec ses interprètes. Pourtant, Ravel était un homme plutôt timide, en retrait de la société, vivant à l’écart du monde, et restant d’une rare fidélité à sa terre natale jusqu’à la fin de sa vie. » 

Saint-Jean-de-Luz. La maison de l'Infante Marie-Thérèse d'Autriche les jours qui ont précédé son mariage avec Louis XIV. Photo : (c) Bruno Serrou

Le festival Ravel se veut désormais le rendez-vous des formations de la région Nouvelle Aquitaine, l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine (ONBA), l’Orchestre de Pau, l’Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine basé à Poitiers et dirigé par Heisser (seul orchestre itinérant d’Aquitaine), l’Opéra de Limoges, l’Orchestre des Champs-Elysées, l’Ensemble Pygmalion. A cette diversité régionale s’ajoute la venue chaque été d’orchestres invités, comme Les Siècles et l’Orchestre Français des Jeunes cet été. « La montée en puissance de l’orchestre dans le festival, dit Heisser, est un appui pour pérenniser le public, qui venait jusqu’à présent soit pour Musique en Côte Basque soit pour l’Académie Ravel, et pour entrer progressivement dans un processus ambitieux en résonnance avec les festivals à caractère patrimonial, le protectionnisme artistique étant moindre en France que dans les pays anglo-saxons, afin de se fondre ainsi dans ce qui fait l’identité française identifiable par la couleur de l’orchestre, comme le Festival Berlioz de La Côte Saint André et le Festival Messiaen au Pays de La Meije. »

Saint-Jean-de-Luz, une partie de la baie au crépuscule. Photo : (c) Bruno Serrou

A ces concerts s’ajoutent ceux des étudiants de l’Académie, dont l’opéra-comique La Périchole de Jacques Offenbach. « Ces concerts sous l’égide du Festival Ravel, précise Heisser offrent aux jeunes musiciens de l’Académie l’assurance de se produire sur l’ensemble du territoire régional, grâce au réseau de diffusion que nous avons construits avec les organisateurs de concerts et autres institutions de Nouvelle Aquitaine, avec trente concerts en 2019. » Le tout avec un budget assez modeste de 650.000 €, dont 332.000 € (160.000 € de billetterie) de recettes propres, et 269.000 € de subventions de la région Nouvelle Aquitaine, de la Ville de Saint-Jean-de-Luz et de six communes de Côte Basque.

Saint-Jean-de-Luz, église Saint-Jean-Baptiste, buffet de l'orgue de Gérard Brunel, 1659. Photo : (c) Bruno Serrou

Le concert d’ouverture a réuni cinq solistes de notoriété qui se plaisent à se produire régulièrement ensemble sous la férule du violoniste Renaud Capuçon, leur premier violon, son confrère Guillaume Chilemme en second violon, les altistes Gérard Caussé et Adrien La Marca, et le violoncelliste Edgar Moreau. Cinq noms qui ont attiré les foules en l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz, là-même où le roi Louis XIV a épousé l’infante d’Espagne Marie-Thérèse d’Autriche le 9 juin 1660. Une église somptueuse rendue célèbre par son monumental retable de XVIIe siècle en bois doré sculpté qui occupe toute la hauteur du mur du fond de l’abside et les deux ailes qui l’entourent, et par son orgue construit en 1659 par Gérard Brunel.

Saint-Jean-de-Luz, église Saint-Jean-Baptiste. De gauche à droite : Renaud Capuçon et Guillaume Chilemme (violons), Adrien La Marca (alto), Edgar Moreau (violoncelle)

Installés au pied de l’autel, dos au retable, ce quintette a donné les deux quintettes de Johannes Brahms, précédés chacun d’un extrait des Sept dernières Paroles du Christ en croix de Joseph Haydn. D’abord l’Introduction en guise de prologue au premier quintette à cordes de Brahms, puis en début de seconde partie, la sixième Parole, Es ist vollbracht (Tout est accompli). Gérard Caussé ne participait pas au quatuor, la partie d’alto revenant dans les deux cas à Adrien La Marca. L’idée d’une partition de Haydn en complément d’une œuvre de Brahms est des plus classiques, les deux compositeurs ayant plus d’un rapport entre eux, Brahms ayant tellement de respect pour Haydn qu’il est allé jusqu’à écrire les Variations sur un thème de Haydn pour orchestre ou pour deux pianos op. 56, dont le thème est tiré du choral de Saint-Antoine de la Feldpartie en si bémol majeur Hob. II/46 de Haydn. Certes, le curé de la paroisse a mis les organisateurs du festival au pied du mur en les obligeant à programmer à chaque concert dans son église une page d’inspiration religieuse, mais cette fois la contrainte a fait bon usage, puisque l’esprit de Haydn et celui de Brahms ont fusionné.

Saint-Jean-de-Luz, église Saint-Jean-Baptiste. De gauche à droite : Renaud Capuçon et Guillaume Chilemme (violons), Gérard Caussé et Adrien La Marca (altos), Edgar Moreau (violoncelle)

Dans les deux Quintettes à cordes op. 88 et op. 111 de Brahms, les cinq solistes ont su transcender leurs talents et leurs styles propres pour jouer avec autant d’engagement dans le jeu en équipiers que s’ils étaient un authentique ensemble chambriste constitué. Adrien La Marca et Gérard Caussé ont alterné la position de premier alto, la partie la plus flatteuse et exposée étant réservée au second, celle du Quintette à cordes n° 2 en sol majeur op. 111 qui a conclu le concert. Concert donné devant une salle si enthousiaste qu’elle n’a pu contenir ses applaudissements entre chaque mouvement. Renaud Capuçon a impulsé une dynamique, une densité particulièrement convaincante, avec un jeu d’une tenue irréprochable, tandis que le violoncelle d’Edgar Moreau a installé avec son violoncelle de David Tecchler de 1711 une assise de basse aussi intense que s’il s’était agi des fameuses timbales qui font les couleurs caractéristiques de l’écriture brahmsienne, alors que Gérard Caussé a introduit des sonorités de velours au sein de l’ensemble avec son magnifique alto Gasparo da Salo de 1560.

Bruno Serrou

Le festival Ravel se poursuit jusqu’au 15 septembre, et l’Académie du 2 au 15 septembre, https://festivalravel.fr

lundi 19 août 2019

Le Festival Menuhin de Gstaad, l'un des trois grands festivals d'été helvétiques

Gstaad (Suisse). Gstaad Menuhin Festival & Academy. Eglise de Zweisimmen, Festival-Zelt Gstaad, Chapelle de Gstaad. Jeudi 15, vendredi 16 et samedi 17 août 2019

Photo : (c) Bruno Serrou

Créé en 1957 dans une station huppée des Alpes bernoises par le violoniste Yehudi Menuhin, le Festival de Gstaad est après celui de Lucerne la plus ancienne manifestation estivale helvétique

Gstaad vu du téléphérique. Photo : (c) Bruno Serrou

Avec plus de soixante-cinq concerts en sept semaines, le Festival de Gstaad couvre à lui seul la durée de ses deux grandes émules suisses, les festivals de Verbier et de Lucerne. Créé dix-neuf ans après Lucerne (1938) et trente-sept ans avant Verbier (1994), le Festival de Gstaad porte le nom de son fondateur, le violoniste Yehudi Menuhin qui l’a dirigé pendant quarante ans.

Eglise de Zweisimmen, L'Arpeggiata et Giuseppina Bridelli (mezzo-soprano). Photo : (c) Bruno Serrou

Les deux premiers concerts ont été donnés les 4 et 6 août 1957 par Yehudi Menuhin en l’église de Saanen. Les premières années, récitals et concerts de musique de chambre sont programmés, avant que les concerts symphoniques s’y ajoutent. En 1976, la préoccupation pédagogique du fondateur s’impose à Gstaad, avec la venue de jeunes musiciens de l’Académie Menuhin de Londres. En 1998, Menuhin passe le témoin à son condisciple Gidon Kremer, qui ne reste que deux ans, puis ce sont trois années d’intérim.

Festival-Zelt Gstaad. Finale du Concours Neeme Järvi. Photo : (c) Bruno Serrou

Depuis 2002 Christoph Müller, ex-violoncelliste et manager de l’Orchestre de chambre de Bâle, prend la direction du festival. Sa programmation pérennise les trois piliers du festival, la musique de chambre, les répertoires symphonique et lyrique concertant. Passionné de création, animant une biennale de composition à Bâle, il ouvre Gstaad à la musique contemporaine, commandant des œuvres nouvelles à des compositeurs, cette année à Tristan Murail, avec la création par l’Orchestre National de Lyon de Reflections/Reflets IV dont le compositeur français a eu l’idée directrice alors qu’il survolait les Alpes en avion… « J’ai voulu définir une conception originale pour ce festival aujourd’hui âgé de soixante-deux ans, dit Müller. Avec Verbier et Lucerne au même moment, il fallait trouver de nouvelles clefs. J’ai commencé en 2008 par une académie de jeunes musiciens dans l’esprit de Yehudi Menuhin, puis j’ai fondé l’orchestre du festival en 2010, l’académie de chefs d’orchestre en 2014... Quant aux cycles de musique de chambre et d’orchestre symphonique, il était nécessaire d’obtenir une haute qualité d’offre. Ainsi, la mise en résidence d’Alfred Brendel et du Symphonique de Londres avec Colin Davis, nous a permis d’engager de grands orchestres internationaux par la suite. »

Eglise de Zweisimmen, Christina Pluhar et son Arpeggiata. Photo : (c) Bruno Serrou 

Autre nouveauté, le Festival Menuhin propose depuis deux étés des thématiques qui donnent une unité aux sept semaines de programmation. Pour Christoph Müller, « Paris » ouvre la perspective d’une approche de la culture française. « Ici, dit-il, nous ne sommes pas habitués à la musique française, la langue française est un peu bizarre, elle est chic mais étrange. J’ai voulu rapprocher les cultures francophones et germanophones qui en fait se côtoient peu. Les programmes de musique de chambre marchent bien mais moins les concerts symphoniques, y compris le Stravinski de Petrouchka. Le pianiste Bertrand Chamayou a présenté cinq programmes de musique française qui ont fait le plein. » Tout cela avec un budget de 7,2 millions de francs suisses dont 1,2 million pour l’Académie, Les ressources proviennent à trente pour cent de la billetterie (trente mille spectateurs environ), à douze pour cent de la commune et du canton de Berne, le reste provenant du mécénat de fondations et du privé. « Il nous faut donc obtenir l’adhésion de notre public », conclut Christoph Müller.

Manfred Honeck dirigeant une répétition de l'Orchestre du Festival Menuhin. Photo : (c) Bruno Serrou

Dirigée tout d’abord par Neeme Järvi, qui a donné son nom au concours qui est organisé en fin de session, l’Académie de direction d’orchestre réunit trois semaines durant une douzaine de jeunes professionnels qui participent en fin de stage audit Concours Neeme Järvi. Depuis cet été, c’est le chef autrichien Manfred Honeck, directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Pittsburgh, qui en est l’animateur. « J’ai toujours refusé d’enseigner la direction. C’est trop de responsabilité ! Mais j’ai acquis une expérience que je peux maintenant partager avec des jeunes. Je suis un fan de Carlos Kleiber. J’ai souvent joué sous sa direction, à l’Opéra et en concerts alors que j’étais violoniste au sein des Wiener Philharmoniker. J’ai analysé en détail sa technique, et je veux la transmettre pour qu’elle ne soit pas oubliée. Il travaillait chaque détail avec l’orchestre. C'est ce que je cherche à inculquer aux étudiants, qui ont la chance de travailler ici avec un orchestre de musiciens professionnels. » Cette année, ce sont le Coréen Hankyeol Yoon et l'Austro-Espagnole Teresa Riveiro Böhm qui ont remporté le concours ex-aequo.

Festival-Zelt Gstaad. Khatia Buniatishvili. Photo : (c) Bruno Serrou

Les concerts sont donnés en divers lieux, investissant les églises des villages environnants. Le point central d’activité du festival est néanmoins un chapiteau de mille deux cents places installé à la lisière de Gstaad et visible depuis les cimes. Le concert de L’Arpeggiata de la luthiste Christina Pluhar a été donné dans le cadre champêtre de l’église de Zweisimmen. La mezzo-soprano Giuseppina Bridelli a imposé sa voix de velours dans un programme monographique consacré à la musique étincelante de Luigi Rossi (1597-1653) devant un public de connaisseurs. Sous le grand chapiteau, en revanche, devant un public acquis d’avance, la pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili s’est montrée sous son pire aspect, cognant comme une sauvage les Trois Mouvements de Petrouchka de Stravinski, vidant de tout sens les Impromptus Op. 90 de Schubert, noyant sous un flot de pédales les pages de Liszt qu’elle avait sélectionnées, confondant en outre vitesse et précipitation... 

Chapelle de Gstaad. Timothy Chooi (violon) et Akane Marsumura (piano). Photo : (c) Bruno Serrou

Consolation le lendemain matin, en la chapelle de Gstaad où le jeune violoniste canadien Timothy Chooi accompagné au piano par Akane Marsumura a brillé dans des œuvres de Saint-Saëns, Prokofiev, Dvorak et Wieniawski…

Bruno Serrou

Jusqu’au 6 septembre. Rés. : (+41) 33 748 81 82. www.gstaadmenuhinfestival.ch/fr

samedi 3 août 2019

Don Giovanni de Mozart iconoclaste pour les 150 ans des Chorégies d’Orange

Orange (Vaucluse). Chorégies d’Orange. Théâtre Antique d’Orange. Vendredi 2 août 2019

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour leurs 150 ans, les Chorégies d’Orange n’ont pas choisi la facilité, sortant des inoxydables Donizetti-Verdi-Puccini

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Erwin Schrott (Don Giovanni). Photo : (c) Bernateau

Créées en 1869, les Chorégies d’Orange sont le plus ancien des festivals européens. Il a néanmoins fallu plusieurs années pour que les éditions se succèdent à un rythme régulier, puisqu’elles ont eu à souffrir dès la deuxième année des aléas de la Guerre de 1870. La manifestation provençale a été initiée dans le but de revaloriser un patrimoine édifié au premier siècle de notre ère, à l’époque de l’empereur César Auguste, qui veille en majesté sur le mur gigantesque du théâtre antique et que Louis XIV considérait comme la plus belle muraille de son royaume (103m de long, 1,80m de large, 37m de haut), ce qui en fait l’acoustique exceptionnelle. Le théâtre antique a été restauré à partir de 1825 sous l’égide de Prospère Mérimée.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Stanislas de Barbeyrac (Don Ottavio). Photo : (c) Bernateau

C’est avec une représentation de l’opéra de Méhul, Joseph, qu’a été inauguré le festival d’Orange, d’abord intitulé Fêtes romaines, avant de prendre le nom de chorégies en 1902 tirant son nom d’une taxe romaine prélevée sur les plus fortunés pour financer les théâtres. Y seront présentés des opéras, comme le Méphistophélès d’Arrigo Boito, des pièces de Jean Racine, dont une Phèdre avec Sarah Berhnard. La Comédie française y prendra ses quartiers d’été, jusqu’à la naissance du Festival d’Avignon. La vocation lyrique du festival devient prépondérante en 1971 sous l’égide du ministre de la Culture de l’époque, Jacques Duhamel, qui en confie la direction artistique à Jacques Bourgeois et Jean Darnel. S’ensuit une décennie prodigieuse, avec des productions qui ont façonné l’histoire de l’art lyrique du XXe siècle, avec entre autres des Tristan et Isolde, Salomé, La Walkyrie, Parsifal, Fidelio, Norma, Otello, Moïse en Egypte particulièrement mémorables avec rien moins que Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Leonie Rysanek, Theo Adam, Jon Vickers, James King, René Kollo, Karl Böhm, Rudolf Kempe, Charles Mackerras, Colin Davis, Zubin Mehta, Lorin Maazel… Jusqu’au coup d’Etat fomenté par Henri Duffaut, alors maire d’Avignon, qui fit placer son fils Raymond à la tête des Chorégies sur lesquelles ce dernier règnera pendant trente-six ans, jusqu’en 2017, où, obligé à  l’autofinancement à hauteur de quatre vingt dix pour cent, il enchaînera les titres les plus populaires au risque de tourner en rond, tout en continuant à faire appel aux plus grands chanteurs du temps.  

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Adrian Sâmpetrean (Leporello), Karine Deshayes (Donna Elvira). Photo : (c) Bernateau

Pour la troisième production en France de l’ouvrage en deux mois, après Paris et Strasbourg, Don Giovanni de Mozart a été retenu pour les 150 ans des chorégies, à l’instar de Guillaume Tell de Rossini, deux ouvrages qui ne sont pas des plus courus dans la production de ces compositeurs pourtant populaires. Absent d’Orange depuis 1996, Don Giovanni est pourtant l’un des joyaux du théâtre lyrique, malgré sa renommée. Les Chorégies présentent un spectacle qui sort de l’ordinaire in situ, exploitant le moindre recoin du mur pour y projeter des vidéos plus ou moins claires et souvent bienvenues, voire carrément humoristiques, comme l’ascenseur qui emporte Don Giovanni jusqu’à la hauteur de la statue du Commandeur/César Auguste, les fleurs lancées à dix mètres de hauteur par Leporello à Elvira, le nom Benedictus XIV sur le socle d’Auguste le pape des Lumières mort deux ans après la naissance de Mozart, dont les dates de naissances et de mort sont parmi les graffitis qui parsèment le mur antique, un Commandeur chef mafieux qui se confronte à un Giovanni iconoclaste libertaire… 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mariangela Sicilia (Donna Anna). Photo : (c) Bernateau

Cette mise-en-scène de Davide Livermore, qui fait appel aux technologies des projections d’images en trois dimensions qui métamorphosent le théâtre en château vivant, désarme certains spectateurs, qui, habitués à des productions sans éclat, manifestent bruyamment leur incompréhension lors des saluts. Les anachronismes ne manquent pas en effet, comme ces voitures, un taxi Renault Mégane des années 1990 pour Don Giovanni et Leporello, un SUV BMW dernier cri aux vitres opaques pour le Commandeur, tandis que les costumes mélangent mode actuelle et habits d’époque… Ces décalages reflètent la lutte des classes entre un Giovanni qui a besoin des règles pour les détruire et un Commandeur qui cherche le chaos… Ce dernier représente le caractère dominant de notre société, tandis que Giovanni est l’humaniste du siècle des Lumières et de la Révolution.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Annalisa Stroppa (Zerlina), Igor Bakan (Masetto). Photo : (c) Bernateau

La distribution est dominée par un Don Giovanni de feu campé par Erwin Schrott, qui aura tenu tous les rôles de basse de cet opéra, l’époustouflant Don Ottavio de Stanislas de Barbeyrac, l’extraordinaire Donna Elvira de Karine Deshayes, et le Commandeur vindicatif d’Alexeï Tikhomirov. Mariangela Sicilia (Donna Anna), Adrian Sâmpetrean (Leporello) et Igor Bakan (Masetto qui court beaucoup sur le vaste plateau d’Orange) sont légèrement en retrait, tandis qu’Annalisa Stroppa déçoit en Zerline. A la tête de l’Orchestre de l'Opéra de Lyon, Frédéric Chaslin dirige un Don Giovanni haletant, fébrile, ce qui suscite des décalages, y compris entre les chanteurs, et l’on regrette que les musiques de scène soient jouées depuis la fosse plutôt que sur le plateau, ce qui suscite un tassement des effets sonores voulus par Mozart. 

Bruno Serrou

Seconde représentation 6/08 à 21h30. www.choregies.fr. Rés. : 04.90.34.24.24