samedi 3 août 2019

Don Giovanni de Mozart iconoclaste pour les 150 ans des Chorégies d’Orange

Orange (Vaucluse). Chorégies d’Orange. Théâtre Antique d’Orange. Vendredi 2 août 2019

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour leurs 150 ans, les Chorégies d’Orange n’ont pas choisi la facilité, sortant des inoxydables Donizetti-Verdi-Puccini

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Erwin Schrott (Don Giovanni). Photo : (c) Bernateau

Créées en 1869, les Chorégies d’Orange sont le plus ancien des festivals européens. Il a néanmoins fallu plusieurs années pour que les éditions se succèdent à un rythme régulier, puisqu’elles ont eu à souffrir dès la deuxième année des aléas de la Guerre de 1870. La manifestation provençale a été initiée dans le but de revaloriser un patrimoine édifié au premier siècle de notre ère, à l’époque de l’empereur César Auguste, qui veille en majesté sur le mur gigantesque du théâtre antique et que Louis XIV considérait comme la plus belle muraille de son royaume (103m de long, 1,80m de large, 37m de haut), ce qui en fait l’acoustique exceptionnelle. Le théâtre antique a été restauré à partir de 1825 sous l’égide de Prospère Mérimée.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Stanislas de Barbeyrac (Don Ottavio). Photo : (c) Bernateau

C’est avec une représentation de l’opéra de Méhul, Joseph, qu’a été inauguré le festival d’Orange, d’abord intitulé Fêtes romaines, avant de prendre le nom de chorégies en 1902 tirant son nom d’une taxe romaine prélevée sur les plus fortunés pour financer les théâtres. Y seront présentés des opéras, comme le Méphistophélès d’Arrigo Boito, des pièces de Jean Racine, dont une Phèdre avec Sarah Berhnard. La Comédie française y prendra ses quartiers d’été, jusqu’à la naissance du Festival d’Avignon. La vocation lyrique du festival devient prépondérante en 1971 sous l’égide du ministre de la Culture de l’époque, Jacques Duhamel, qui en confie la direction artistique à Jacques Bourgeois et Jean Darnel. S’ensuit une décennie prodigieuse, avec des productions qui ont façonné l’histoire de l’art lyrique du XXe siècle, avec entre autres des Tristan et Isolde, Salomé, La Walkyrie, Parsifal, Fidelio, Norma, Otello, Moïse en Egypte particulièrement mémorables avec rien moins que Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Leonie Rysanek, Theo Adam, Jon Vickers, James King, René Kollo, Karl Böhm, Rudolf Kempe, Charles Mackerras, Colin Davis, Zubin Mehta, Lorin Maazel… Jusqu’au coup d’Etat fomenté par Henri Duffaut, alors maire d’Avignon, qui fit placer son fils Raymond à la tête des Chorégies sur lesquelles ce dernier règnera pendant trente-six ans, jusqu’en 2017, où, obligé à  l’autofinancement à hauteur de quatre vingt dix pour cent, il enchaînera les titres les plus populaires au risque de tourner en rond, tout en continuant à faire appel aux plus grands chanteurs du temps.  

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Adrian Sâmpetrean (Leporello), Karine Deshayes (Donna Elvira). Photo : (c) Bernateau

Pour la troisième production en France de l’ouvrage en deux mois, après Paris et Strasbourg, Don Giovanni de Mozart a été retenu pour les 150 ans des chorégies, à l’instar de Guillaume Tell de Rossini, deux ouvrages qui ne sont pas des plus courus dans la production de ces compositeurs pourtant populaires. Absent d’Orange depuis 1996, Don Giovanni est pourtant l’un des joyaux du théâtre lyrique, malgré sa renommée. Les Chorégies présentent un spectacle qui sort de l’ordinaire in situ, exploitant le moindre recoin du mur pour y projeter des vidéos plus ou moins claires et souvent bienvenues, voire carrément humoristiques, comme l’ascenseur qui emporte Don Giovanni jusqu’à la hauteur de la statue du Commandeur/César Auguste, les fleurs lancées à dix mètres de hauteur par Leporello à Elvira, le nom Benedictus XIV sur le socle d’Auguste le pape des Lumières mort deux ans après la naissance de Mozart, dont les dates de naissances et de mort sont parmi les graffitis qui parsèment le mur antique, un Commandeur chef mafieux qui se confronte à un Giovanni iconoclaste libertaire… 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mariangela Sicilia (Donna Anna). Photo : (c) Bernateau

Cette mise-en-scène de Davide Livermore, qui fait appel aux technologies des projections d’images en trois dimensions qui métamorphosent le théâtre en château vivant, désarme certains spectateurs, qui, habitués à des productions sans éclat, manifestent bruyamment leur incompréhension lors des saluts. Les anachronismes ne manquent pas en effet, comme ces voitures, un taxi Renault Mégane des années 1990 pour Don Giovanni et Leporello, un SUV BMW dernier cri aux vitres opaques pour le Commandeur, tandis que les costumes mélangent mode actuelle et habits d’époque… Ces décalages reflètent la lutte des classes entre un Giovanni qui a besoin des règles pour les détruire et un Commandeur qui cherche le chaos… Ce dernier représente le caractère dominant de notre société, tandis que Giovanni est l’humaniste du siècle des Lumières et de la Révolution.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Annalisa Stroppa (Zerlina), Igor Bakan (Masetto). Photo : (c) Bernateau

La distribution est dominée par un Don Giovanni de feu campé par Erwin Schrott, qui aura tenu tous les rôles de basse de cet opéra, l’époustouflant Don Ottavio de Stanislas de Barbeyrac, l’extraordinaire Donna Elvira de Karine Deshayes, et le Commandeur vindicatif d’Alexeï Tikhomirov. Mariangela Sicilia (Donna Anna), Adrian Sâmpetrean (Leporello) et Igor Bakan (Masetto qui court beaucoup sur le vaste plateau d’Orange) sont légèrement en retrait, tandis qu’Annalisa Stroppa déçoit en Zerline. A la tête de l’Orchestre de l'Opéra de Lyon, Frédéric Chaslin dirige un Don Giovanni haletant, fébrile, ce qui suscite des décalages, y compris entre les chanteurs, et l’on regrette que les musiques de scène soient jouées depuis la fosse plutôt que sur le plateau, ce qui suscite un tassement des effets sonores voulus par Mozart. 

Bruno Serrou

Seconde représentation 6/08 à 21h30. www.choregies.fr. Rés. : 04.90.34.24.24             

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