jeudi 22 octobre 2020

A Aix-en-Provence, les jeunes musiciens tablent sur de nouveaux horizons

Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. Vendredi 16, samedi 17 et dimanche 18 octobre 2020

Aix-en-Provence, salle du Grand Théâtre de Provence. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous l’égide de Renaud Capuçon et de Gérard Caussé, dix jeunes compositeurs et quinze jeunes interprètes se sont produits Grand Théâtre de Provence du 16 au 18 octobre pour des concerts en entrée libre les premiers jours d’un couvre-feu soudain

Les jeunes instrumentistes encadrés par Gérard Caussé (à gauche) et Renaud Capuçon (à droite). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

L’intitulé de ce week-end, Horizons Nouveaux, disait bien qu’il s’agissait, en pleine période de désarrois pour les artistes et le public, de créer des perspectives d’avenir. Cet événement financé par le seul mécénat a été voulu par Dominique Bluzet, directeur du Grand Théâtre de Provence. « Au sortir du confinement, dit-il, la relation aux jeunes est capitale. Ce week-end répondait à un désir de solidarité, les jeunes étant les musiciens les plus fragilisés car en début de carrière, ils ne peuvent plus jouer à l’étranger tandis qu’en France plus des quatre-cinquièmes de leur activité a disparu. Ils sont donc socialement extrêmement fragilisés. »

Anna Egholm (violon) et Gérard Caussé (alto). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

Tandis que le monde de la culture était astreint à remettre à plat ses programmations dès le week-end dernier pour s’adapter dans l’urgence aux nouvelles contraintes sanitaires dans huit métropoles touchées par le couvre-feu, l’un des théâtres de l’agglomération Aix-Marseille a réussi à organiser dans l’urgence un festival de trois jours réunissant vingt-cinq jeunes musiciens (dix  compositeurs et quinze interprètes) autour de Renaud Capuçon et de son complice de toujours l’altiste Gérard Caussé. « Renaud et moi avons le privilège de l’âge, sourit Caussé. Nous avons pu faire des choses pendant le confinement, à la télévision, à la Philharmonie où nous avons pu donner des concerts sans publics. Pas les jeunes. Nous avions vu que Daniel Barenboïm, à Berlin, avait passé commande à dix compositeurs de renom pour des concerts à la Boulezsaal. Mais contrairement à lui, nous avons choisi de faire appel à des jeunes. On pense aux jeunes interprètes, pas aux jeunes créateurs, qui ont pourtant plus de difficultés. Nous avons demandé à des artistes références dans le domaine de la musique contemporaine qui participent à des festivals qui lui sont consacrés de nous mettre sur des pistes de compositeurs entre vingt et quarante ans, et moi-même qui m’y intéresse beaucoup ayant été des membres fondateurs de l’Ensemble Intercontemporain. Quant aux jeunes interprètes, nous en rencontrons beaucoup dans les masters classes et dans les attributions de bourses… » 

Yves Chauris (né en 1980). Photo : DR

Compositeurs et interprètes ont subi de plein fouet la crise du coronavirus, et se sont retrouvés dépourvus de toute perspective immédiate de concerts et de commandes. Si bien qu’ils se sont empressés de répondre favorablement à l’invitation de Renaud Capuçon, malgré les délais serrés qui étaient imposés aux compositeurs, trois mois pour composer chacun une œuvre nouvelle afin que leurs interprètes puissent travailler les partitions un mois en amont du concert. Les formations imposées correspondaient à celles des œuvres du répertoire programmées à l’ensemble instrumental...

Christian Mason (né en 1984). Photo : DR

Pour les jeunes compositeurs en effet cette période est particulièrement compliquée. Surtout s’ils se consacrent exclusivement à la création, les institutions reportant systématiquement les commandes à des jours espérés meilleurs. Christian Mason, compositeur britannique recommandé par son confrère français Benjamin Attahir rencontré en 2011 à l’Académie de Lucerne de Pierre Boulez, était de la sélection. « Renaud Capuçon m’a commandé une œuvre en me donnant libre choix dans l’instrumentarium qu’il souhaitait rassembler. J’ai opté pour celui de La Truite de Schubert, pour un quintette avec piano et contrebasse. Actuellement, je travaille beaucoup pour moi, sans savoir quand mes pièces seront jouées… »

Aliya Vodovozova (flûte), Renaud Capuçon (violon), Sindy Mohamed (alto), Caroline Sypniewski (violoncelle). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

Parmi les interprètes de la pièce de Mason, la violoniste Anna Engholm, élève de Renaud Capuçon. « Il m’a contactée par SMS, me demandant si j’étais libre du 13 au 18 octobre. Il ne m’a rien dit sur de plus, pas même sur l’objet de son projet. Mais sachant qu’avec lui c’est toujours super, je n’ai pas hésité une seconde. Depuis la crise de la Covid-19, tant de projets sont annulés, que dès qu’un se présente, je suis très motivée, espérant qu’il ne soit pas annulé. En plus, celui-ci était attractif, car il est extrêmement intéressant de travailler avec autant de compositeurs en une semaine. C’est un luxe d’avoir autant de temps avec eux, car ils ont chacun une façon très personnelle de travailler. Il y en a avec qui ça marche immédiatement, ils nous donnent beaucoup de liberté, changent des choses sur leur partition, avec qui on essaye des choses, d’autres qui ont une idée très claire de ce qu’ils veulent, il nous faut donc tout faire pour y arriver. Et surtout, c’est très important de faire de la création parce que c’est la musique de demain. »

Anna Egholm (violon), Gérard Caussé (alto), Julia Hagen (violoncelle), Ricardo Delgado (contrebasse), Guillaume Bellom (piano). Photo : (c) Grand Théâtre de Provence

Le public aixois ne s’y est d’ailleurs pas trompé en venant en nombre assister à ces trois jours hors normes. Plus de six cents spectateurs de tous âges, jusqu’aux plus jeunes enfants, pour une jauge totale de mille trois cents personnes, attirés par la gratuité de l’événement mais aussi par la programmation et par le désir de retrouver les joies de la musique jouée en direct et de la découverte. Peu de défections en cours de concerts en dépit de la témérité de certaines oeuvres qui aurait pu déconcerter ce public où se bousculent autant de mélomanes avertis que de novices. Il faut dire que les programmes étaient fort bien pensés. Car si les œuvres nouvelles alternaient avec le grand répertoire, leur enchaînement n’avait rien d’artificiel, mais se présentaient au contraire sous des formes instrumentales et structurelles comparables, créant ainsi la surprise sur un même effectif entre passé et présent. La variété des styles et des écoles était assurée, et trois œuvres sont finalement sorties du lot parmi les dix créations, car tel est le sort d’une telle opération, Shadowy Fish de Christian Mason (né en 1984), J’écrivais des silences d’Yves Chauris (né en 1980), ou Midarégami d’Aki Nakamura (née en 1975).

Bruno Serrou

A voir et à écouter sur Arte Concerts pendant 1 an, sur France Musique les 30 novembre, 2 et 9 décembre 2020 à 20h