Paris. Opéra national
de Paris - Bastille. Samedi 25 mars 2023
John Adams (né en 1947), Nixon in China. Joshua Bloom (Henry Kissinger), Thomas Hampson (Richard Nixon), John Matthew Myers (Mao Tsé-Toung), Xiaomeng Zhang (Chou En-Lai), Yajie Zhang, Ning Liang, Emanuela Pascu (les trois secrétaires de Mao). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
Voilà trente et un an et quatre mois, le
public parisien découvrait à la MC 93 de Bobigny Nixon in China de John
Adams dans la production princeps de Peter Sellars dans le cadre du Festival d’Automne.
Vingt ans plus tard, le Théâtre du Châtelet reprenait l’ouvrage dans une nouvelle
production mise en scène par le Chinois Chen Shi-Zheng et dirigée par Alexander Briger. Onze années supplémentaires auront été nécessaires pour que cet ouvrage
reçoive la consécration française en entrant au répertoire de l’Opéra de Paris,
trente-cinq ans et cinq mois après sa création, soit à peine moins que Wozzeck
d’Alban Berg, qui dut pour sa part patienter trente-sept ans et onze mois…
John Adams (né en 1947), Nixon in China. Aigle "Spirit of America" et tables de ping-pong. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
Lors de sa création le 22 octobre 1987 au
Grand Opera de Houston, Nixon in China fit grand bruit. Pour son
premier opéra, à l’instar de Robert Wilson onze ans plus tôt pour son Einstein on the Beach composé en
association avec Robert Wilson, John Adams (né en 1947) s’était lui aussi adjoint
un metteur en scène, Peter Sellars, de dix ans son cadet, qui eut l’idée du
sujet puisé dans l’histoire immédiate des Etats-Unis, la première visite officielle
d’un président des Etats-Unis, en l’occurrence Richard Nixon, en Chine
communiste, du 21 au 28 février 1972, sept mois après que son Conseiller pour
la sécurité nationale Henry Kissinger se soit rendu secrètement à Pékin à l’occasion
d’un voyage au Pakistan. Cette rencontre, qui mettait un terme à près d’un quart
de siècle de rupture et de tensions diplomatiques entre les deux pays, dont le
rapprochement avait commencé deux ans plus tôt avec l’instauration de la
« diplomatie du ping-pong », aura été « la semaine qui a changé
le monde », selon la formule de Nixon à son retour à Washington, qui
précisait : « parce que ce que nous avons dit n'est presque pas aussi
important que ce que nous ferons dans les années à venir pour construire un
pont au-dessus de seize mille miles et vingt-deux ans d’hostilités, qui nous
ont divisés dans le passé. Et ce que nous avons dit aujourd'hui, c'est que nous
allons construire ce pont. »
.jpg)
John Adams (né en 1947), Nixon in China. Tournoi de ping-pong. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
Aussi, l’arrivée samedi 25 mars à
l’affiche de cet ouvrage à l’Opéra de Paris est d’autant plus signifiante en
cette période de tensions qui font craindre un conflit entre les deux nations
dû aux visées de la Chine sur l’île de Taïwan, d’autant plus que l’invasion de
l’Ukraine par la Russie pourrait si elle venait à réussir mettre un terme aux
hésitations chinoises…
John Adams (né en 1947), Nixon in China. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
De là à faire de cet événement un sujet universel digne d’être mis en
musique, il y avait un pas a priori infranchissable que John Adams n’a pourtant
pas hésité à contourner grâce au livret d’Alice Goodman, entièrement versifié
et rimé avec précisément le même nombre de pieds que la poésie et le théâtre
chinois qui ajoute au contexte politique international de l’époque de la Guerre
froide intrigues sentimentales, philosophiques et humaines à travers des
réminiscences chez chacun des personnages de son propre passé. Commandée par la
Brooklyn Academy of Music, le John F. Kennedy Center for the Performing Arts et
le Houston Grand Opera, l’œuvre a été créée dans une production de Peter
Sellars dirigée par Edo de Waart à la tête de
l’Orchestra of St. Luke’s in the Fields, avec une chorégraphie de Mark
Morris. L’intrigue se focalise sur les personnalités et les histoires
personnelles des six personnages principaux : Richard Nixon et sa femme
Pat, Mao Zedong et son épouse Jiang Qing, et les deux conseillers personnels
des deux parties, Henry Kissinger et Zhou Enlai. Le premier des trois actes
détaille l’attente fébrile des Chinois sur le tarmac de l’aéroport de Pékin,
l'arrivée de Nixon et de sa suite, la première rencontre et la première soirée
en Chine du couple présidentiel états-unien. La première des deux scènes du
deuxième acte se concentre plus particulièrement sur Pat Nixon, alors qu'elle
visite la campagne chinoise jusque dans une ferme à cochons, tandis que la
seconde scène est axée sur une représentation d’une pièce de propagande
communiste durant laquelle interviennent tour à tour Henry Kissinger, puis Pat
Nixon, suivie de son mari et enfin Jiang Qing.
.jpg)
John Adams, Nixon in China. Thomas Hampson (Richard Nixon), Renée Fleming (Pat Nixon), Xiaomeng Zhang (Chou En-Lai). Photo ! (c) Christophe Pelé / OnP
L’acte final conte la dernière
nuit de Nixon en Chine, où l’on voit les protagonistes danser un foxtrot et
penser à leurs passés respectifs. Côté musique, contrairement au texte, l’opéra
ne contient aucune allusion à la Chine, qu’elle soit traditionnelle - il est
vrai que la Révolution chinoise interdisait toute allusion à la culture
ancestrale - ou conforme à l’esprit populaire du temps, et s’avère
essentiellement fondée sur la musique minimaliste initiée par Steve Reich, La
Monte Young et consort, et de bigband des années 1930, Adams allant jusqu’à
agrémenter le thème du foxtrot du troisième acte de ses Chairman Dances
composées en 1985 comme « une sorte d’échauffement avant la composition de
l’opéra entier », de l’aveu même du compositeur. La partition reste d’une
pauvreté d’inspiration patente, mais l’orchestration est plutôt riche et
l’harmonie fouillée, malgré un matériau thématique indigent. D’essence répétitive, mais avec un sens de la modulation et de la variation
inconnu de Philip Glass, la musique est d'une pauvreté d'inspiration emplie de citations et de réminiscences
de Richard Wagner, en premier lieu, mais aussi de Giacomo Puccini, Richard
Strauss, Gustav Mahler et Igor Stravinski période néoclassique, et l’écriture vocale est plus riche et variée que ce que la partie instrumentale donne à entendre.
.jpg)
John Adams, Nixon in China. John Matthew Myers (Mao Tsé-Toung), Joshua Bloom (Henry Kissinger), Xiaomeng Zhang (Chou En-Lai). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
Ce que donne à voir la metteur en
scène argentine Valentina Carrasco, qui a fait ses classes pendant vingt ans au
sein du collectif La Fura dels Baus et qui signe ici son premier spectacle à l’Opéra
de Paris, est globalement une réussite, d’autant qu’elle n’est pas dénuée d’humour.
L’action plonge dans la politique de ping-pong instaurée au début des années
1970 entre les deux pays, avec des rencontres et d’échanges entre les équipes
de pongistes sino-étatsuniennes qui se déroulaient des deux côtés de l’océan
Pacifique et qui suscitent ici les ensembles choraux et des ballets, l’un de
ces derniers évoquant longuement les violences du régime communiste chinois
devant le couple Nixon et le ministre Henry Kissinger qui ne bougent pas. L’ouverture
de l’opéra se fait sur des projections vidéos de films noir et blanc qui évoquent
l’histoire de la Chine populaire dont les images se feront au cours de l’opéra
de plus en plus dures, avec les déportations de citadins dans les campagnes et
des paysans dans les villes, les tortures, les procès, les exécutions d’intellectuels
et d’opposants réfractaires, et jusqu’au témoignage déchirant entre les deux
derniers actes tiré du film « De Mao
à Mozart : Isaac Stern en Chine » tourné par Murray Lerner en
1979 (voir https://www.youtube.com/watch?v=SlDJ2aE7iGs)
d’un professeur de violon condamné aux travaux forcés pour avoir enseigné un
art considéré comme fourvoyé par la Révolution culturelle de 1966, la musique, parce
qu'émanation de l’Occident. Mais les horreurs de l’armée US au Vietnam ne sont pas
négligées, et leur font écho dans le cours de ces mêmes projections.
.jpg)
John Adams (né en 1947), Nixon in China. Renée Fleming (Pat Nixon). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
Si l’on ne
voit pas plus arriver Air Force One que dans la production du Châtelet en 2012,
le Boeing 707 « Spirit of America » de la présidence des Etats-Unis, remplacé ici par un aigle géant
aux ailes et aux serres largement déployées et aux yeux clignotant, le tapis
rouge est bel et bien déployé après qu’une quarantaine de tables de ping-pong
sur lesquelles les choristes-pongistes échangent joyeusement des sets, se
soient effacées à son profit pour accueillir le couple Nixon et sa suite. La
scène la plus puissante de cette production est celle de la bibliothèque de Mao
où discutent les présidents et leurs entourages tandis qu’en dessous se déroule
un gigantesque autodafé. Autre moment fort, la poétique scène d’introspection
du monologue de Pat Nixon consolée par un dragon rouge particulièrement
attentionné, et celle de la visite d’une porcherie industrielle modèle où le chœur
chante le rythmique « Pig, pig, pig ».
.jpg)
John Adams, Nixon in China. Yajie Zhang, Ning Liang, Emanuela Pascu (les trois secrétaires de Mao), John Matthew Myers (Mao Tsé-Toung). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
Gustavo Dudamel donne à
cette partition qu’il aime de toute évidence fluidité, énergie, transparence,
mais aussi onirisme et sensualité, soutenu par un Orchestre de l’Opéra de Paris
éblouissant, à l’instar du Chœur de l’Opéra remarquablement préparé par sa chef
taïwanaise Ching-Lien Wu. La distribution est excellente. La soprano
états-unienne Renée Fleming campe une touchante et élégante Pat Nixon perdue
dans ses rêves des temps passés, Kathleen Kim est une remarquable Jiang-Qing, ex-actrice
et quatrième Madame Mao surnommée « l’Impératrice Rouge » qui finit
ses jours en prison, aux folles vocalises, le baryton états-unien Thomas
Hampson est un Nixon nostalgique dont la voix, qui tend à se faire plus fragile
et moins longue, humanise le président future victime du Watergate, affaire
dont les ramifications politiques commencent cette même année 1972.
John Adams (né en 1947), Nixon in China. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP
L’excellent
baryton chinois Xiaomong Zhang incarne un impressionnant Chou En-Laï (Zhou
Enlai), la basse australienne Joshua Bloom excelle dans le personnage-clef qu’est
Henry Kissinger fier de son action et sûr de ses pensées, le ténor californien John
Matthew Myers est un Mao Tsé Toung (Mao Zedong) déjanté, les trois secrétaires
du Grand Timonier (les mezzo-sopranos chinoise Yajie Zhang, sino-étatsunienne Ning
Liang et roumaine Emanuela Pascu) forment un inénarrable trio de soeurs siamoises.
Bruno Serrou