mardi 21 mars 2023

Inattendu mais fortuné diptyque Le Rossignol de Stravinski / Les Mamelles de Tirésias de Poulenc par François-Xavier Roth et Olivier Py au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Dimanche 19 mars 2023

Francis Poulenc (1899-1963), Les Mamelles de Tirésias. Photo : (c) Bruno Serrou

Après de remarquables Dialogues des Carmélites en décembre 2013 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2013/12/olivier-py-et-jeremie-rohrer-offrent.html) et La Voix humaine, en mars 2021, les deux productions avec Jérémie Rohrer, Olivier Py parachève son cycle des opéras de Francis Poulenc en ce même théâtre des Champs-Elysées, cette fois avec François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles actuellement en résidence du théâtre de l'avenue Montaigne. 

Igor Stravinski (1882-1971), Le Rossignol. Photo : (c) Vincent Pontet / TCE

Assister à des dernières représentations est souvent festif. Tel a été le cas cet après-midi Théâtre des Champs-Elysées pour l’ultime de la production poétiquement (Le Rossignol) et jovialement (Tirésias façon casino) mise en scène par Olivier Py du diptyque peu usité Le Rossignol d’Igor Stravinski / Les Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc.

Igor Stravinski (1882-1971), Le Rossignol. Jean-Sébastien Bou (l(Empereur), Sabine Devieilhe (le Rossignol). Photo : (c) Vincent Pontet / TCE

Popularisé par les salles de concerts grâce au poème symphonique réalisé en 1917 pour le Ballet russe Le Chant du Rossignol qui en reprend pour l’essentiel les deuxième et troisième actes, Le Rossignol est le premier opéra d’Igor Stravinski. Conçu en Russie en 1908 alors que Stravinski était encore l’élève de Nikolaï Rimski-Korsakov, d’après le conte d’Andersen Le Rossignol et l’Empereur de Chine, l’ouvrage sera créé à l’Opéra de Paris le 26 mai 1914 dans le cadre de la saison organisée par Serge Diaghilev sous la direction de Pierre Monteux dans des décors et des costumes d’Alexandre Benois. Dans l’intervalle, le compositeur aura donné le jour à trois grands ballets qui devaient révolutionner la création musicale du XXe siècle et au-delà, l’Oiseau de feu, le Sacre du printemps et Petrouchka. Il s’agit d’une fable qui conte l’histoire d’un empereur de Chine à qui est fait le cadeau d’un rossignol enchanteur rapidement concurrencé par un autre volatile, mécanique cette fois, offert par le souverain du Japon. Le personnage de la Mort est omniprésent, celle-ci menaçant d’emporter l’empereur jusqu’à ce que le Rossignol que ce dernier a banni, revienne chanter, ramenant son propriétaire à la vie à la surprise des courtisans qui le croyaient mort.

Francis Poulenc (1899-1963), Les Mamelles de Tirésias. Sabine Devieihe (Thérèse-Tirésias). Photo : (c) Vincent Pontet / TCE

Composé en 1944 d’après la pièce éponyme de Guillaume Apollinaire de 1917, créé à l’Opéra Comique le 3 juin 1947, alors que la IVe République mettait en place une politique incitative à la natalité, les Mamelles de Tirésias est un petit opéra bouffe féministe en un prologue et deux actes dont le personnage central est Thérèse qui, lassée de sa vie de femme soumise à l’autorité de son mari, décide de vivre en homme en prenant le nom de Tirésias et de prôner la fin des enfants. « Je suis féministe, chante-t-elle elle, et je ne reconnais pas l’autorité de l’homme. » Humilié, surtout quand elle l’attache et l’habille en femme, son mari fait le vœu de procréer seul, craignant de voir la France se stériliser… La morale de la fable est tirée à la fin, la troupe entière harangue le public : « Ecoutez, ô Français, les leçons de la guerre, et faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère. Cher public : faites des enfants ! » Musicalement, Poulenc signe une partition de style néo-classique d’opéra à numéros pour douze voix solistes, chœur et orchestre avec bois et cuivres par deux (trois clarinettes, un tuba), piano, timbales, percussionniste, harpe et cordes.

Francis Poulenc (1899-1963), Les Mamelles de Tirésias. Photo : (c) Vincent Pontet / TCE

Le sujet, qui interroge sur l’identité des genres et qui renvoie à la nécessité d’assurer la succession des générations pour assurer l’existence des précédentes, sont d’une substantielle actualité. Ce qui ne pouvait que donner du grain à moudre à l’ingénieux Olivier Py. Ces deux ouvrages qui n’ont en commun que la durée relative, la structure en trois actes et une inspiration musicale plus ou moins classique à quarante ans de distance, mais chacun trahissant de toute évidence les spécificités de chacun des compositeurs, ont été réunifiés par le metteur en scène et son scénographe Pierre-André Weitz en l’intégrant à un même lieu, côté pile pour l’opéra de Stravinsky, les coulisses du cabaret le Zanzibar, côté face pour celui de Poulenc, avec la scène flashy et son grand escalier, des velours rouges, des cotillons et des flonflons du spectacle de casino, le tout éclairé par les lumières aveuglantes et froides de néons. Le problème est que l’on ne saisit pas immédiatement cette structure dramatique, et l’on ne distingue guère les rouages de l’action de la première partie, qui se déroule sous un éclairage trop sombre, tandis que Py fait de l’Empereur un vieillard par trop sénile constamment étendu anéanti dans un lit, tandis que la mise en regard du rossignol-femelle refusant de se soumettre à l’empereur-mâle annonce l’aspect socio-politique qui sera développé dans le second opéra, tandis que les allusions sexuelles se déploient constamment plus ou moins clairement. Si bien que ce conte oriental, déjà obscur, devient plus abstrait encore, et n’éclaire en rien ni l’œuvre elle-même ni ce qui va suivre, si ce n’était la personnification de la mort, qui revient dans le second volet du diptyque.

Francis Poulenc (1899-1963), Les Mamelles de Tirésias. Laurent Naouri (le Directeur de théâtre). Photo : (c) Vincent Pontet / TCE

En revanche, le sujet de l’opéra de Poulenc correspond parfaitement à l’esprit festif et flamboyant d’Olivier Py. En outre, le cabaret, le casino sont des constantes chez le dramaturge, qui excelle dans la satire mordante qui prête aux travestissements en tous genres, seins ballons qui s’envolent, prothèses, danseurs en strings de dentelles, attributs sexuels féminin et masculin en exergue lumineux de néons donnent le sentiment d’un catalogue des obsessions du metteur en scène nouvellement nommé directeur du Théâtre du Châtelet.

Francis Poulenc (1899-1963), Les Mamelles de Tirésias. Photo : (c) Vincent Pontet / TCE

Commune aux deux ouvrages du diptyque proposé par le Théâtre des Champs-Elysées, la distribution enthousiasmante, sous la houlette de la flamboyante Sabine Devielhe, voix charnue, solide, riche, onctueuse sur la totalité de sa tessiture, la diction claire jusqu’aux vocalises les plus acrobatiques, qui endosse trois rôles dans une même production, le Rossignol, Thérèse-Tirésias et la Cartomancienne, dont la perruque rousse renvoie à l’une de ses illustres consœurs qui fut la Lulu de Py, la tonique Chantal Santon Jeffrey, le sémillant Jean-Sébastien Bou, le puissant Laurent Naouri à la diction impeccable, et l’ensemble Aedes complète à la perfection ce plateau étincelant.

Dans la fosse, sous l’impulsion énergique, chaleureuse et poétique de son directeur fondateur François-Xavier Roth, l’orchestre Les Siècles réussit la gageure de mettre en valeur les spécificités de chacune des partitions et de leur auteur respectif. Leur interprétation du Rossignol l’attache judicieusement à la période fauve de Stravinski, en sollicitant pleinement les frictions, tensions et rythmes, laissant le soin à l’orchestre d’ancrer l’œuvre dans le néo-classicisme par de voluptueuses sonorités. Dans les Mamelles de Tirésias, c’est toute la gourmandise suave et voluptueuse qui est présente, grâce aux timbres feutrés et sans stridences de l’orchestre qui donnent tout son charme à cette œuvre pleine de sucreries mais non dénuée de mordant.

Bruno Serrou 


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