dimanche 26 mars 2023

Entrée par la grande porte de "Nixon in China" de John Adams, premier opéra-actualité minimaliste à l’affiche de l’Opéra de Paris

Paris. Opéra national de Paris - Bastille. Samedi 25 mars 2023 

John Adams (né en 1947), Nixon in China. Joshua Bloom (Henry Kissinger), Thomas Hampson (Richard Nixon), John Matthew Myers (Mao Tsé-Toung), Xiaomeng Zhang (Chou En-Lai), Yajie Zhang, Ning Liang, Emanuela Pascu (les trois secrétaires de Mao). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

Voilà trente et un an et quatre mois, le public parisien découvrait à la MC 93 de Bobigny Nixon in China de John Adams dans la production princeps de Peter Sellars dans le cadre du Festival d’Automne. Vingt ans plus tard, le Théâtre du Châtelet reprenait l’ouvrage dans une nouvelle production mise en scène par le Chinois Chen Shi-Zheng et dirigée par Alexander Briger. Onze années supplémentaires auront été nécessaires pour que cet ouvrage reçoive la consécration française en entrant au répertoire de l’Opéra de Paris, trente-cinq ans et cinq mois après sa création, soit à peine moins que Wozzeck d’Alban Berg, qui dut pour sa part patienter trente-sept ans et onze mois…

John Adams (né en 1947), Nixon in China. Aigle "Spirit of America" et tables de ping-pong. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

Lors de sa création le 22 octobre 1987 au Grand Opera de Houston, Nixon in China fit grand bruit. Pour son premier opéra, à l’instar de Robert Wilson onze ans plus tôt pour son Einstein on the Beach composé en association avec Robert Wilson, John Adams (né en 1947) s’était lui aussi adjoint un metteur en scène, Peter Sellars, de dix ans son cadet, qui eut l’idée du sujet puisé dans l’histoire immédiate des Etats-Unis, la première visite officielle d’un président des Etats-Unis, en l’occurrence Richard Nixon, en Chine communiste, du 21 au 28 février 1972, sept mois après que son Conseiller pour la sécurité nationale Henry Kissinger se soit rendu secrètement à Pékin à l’occasion d’un voyage au Pakistan. Cette rencontre, qui mettait un terme à près d’un quart de siècle de rupture et de tensions diplomatiques entre les deux pays, dont le rapprochement avait commencé deux ans plus tôt avec l’instauration de la « diplomatie du ping-pong », aura été « la semaine qui a changé le monde », selon la formule de Nixon à son retour à Washington, qui précisait : « parce que ce que nous avons dit n'est presque pas aussi important que ce que nous ferons dans les années à venir pour construire un pont au-dessus de seize mille miles et vingt-deux ans d’hostilités, qui nous ont divisés dans le passé. Et ce que nous avons dit aujourd'hui, c'est que nous allons construire ce pont. »

John Adams (né en 1947), Nixon in China. Tournoi de ping-pong. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

Aussi, l’arrivée samedi 25 mars à l’affiche de cet ouvrage à l’Opéra de Paris est d’autant plus signifiante en cette période de tensions qui font craindre un conflit entre les deux nations dû aux visées de la Chine sur l’île de Taïwan, d’autant plus que l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait si elle venait à réussir mettre un terme aux hésitations chinoises…

John Adams (né en 1947), Nixon in China. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

De là à faire de cet événement un sujet universel digne d’être mis en musique, il y avait un pas a priori infranchissable que John Adams n’a pourtant pas hésité à contourner grâce au livret d’Alice Goodman, entièrement versifié et rimé avec précisément le même nombre de pieds que la poésie et le théâtre chinois qui ajoute au contexte politique international de l’époque de la Guerre froide intrigues sentimentales, philosophiques et humaines à travers des réminiscences chez chacun des personnages de son propre passé. Commandée par la Brooklyn Academy of Music, le John F. Kennedy Center for the Performing Arts et le Houston Grand Opera, l’œuvre a été créée dans une production de Peter Sellars dirigée par Edo de Waart à la tête de  l’Orchestra of St. Luke’s in the Fields, avec une chorégraphie de Mark Morris. L’intrigue se focalise sur les personnalités et les histoires personnelles des six personnages principaux : Richard Nixon et sa femme Pat, Mao Zedong et son épouse Jiang Qing, et les deux conseillers personnels des deux parties, Henry Kissinger et Zhou Enlai. Le premier des trois actes détaille l’attente fébrile des Chinois sur le tarmac de l’aéroport de Pékin, l'arrivée de Nixon et de sa suite, la première rencontre et la première soirée en Chine du couple présidentiel états-unien. La première des deux scènes du deuxième acte se concentre plus particulièrement sur Pat Nixon, alors qu'elle visite la campagne chinoise jusque dans une ferme à cochons, tandis que la seconde scène est axée sur une représentation d’une pièce de propagande communiste durant laquelle interviennent tour à tour Henry Kissinger, puis Pat Nixon, suivie de son mari et enfin Jiang Qing. 

John Adams, Nixon in China. Thomas Hampson (Richard Nixon), Renée Fleming (Pat Nixon), Xiaomeng Zhang (Chou En-Lai). Photo ! (c) Christophe Pelé / OnP

L’acte final conte la dernière nuit de Nixon en Chine, où l’on voit les protagonistes danser un foxtrot et penser à leurs passés respectifs. Côté musique, contrairement au texte, l’opéra ne contient aucune allusion à la Chine, qu’elle soit traditionnelle - il est vrai que la Révolution chinoise interdisait toute allusion à la culture ancestrale - ou conforme à l’esprit populaire du temps, et s’avère essentiellement fondée sur la musique minimaliste initiée par Steve Reich, La Monte Young et consort, et de bigband des années 1930, Adams allant jusqu’à agrémenter le thème du foxtrot du troisième acte de ses Chairman Dances composées en 1985 comme « une sorte d’échauffement avant la composition de l’opéra entier », de l’aveu même du compositeur. La partition reste d’une pauvreté d’inspiration patente, mais l’orchestration est plutôt riche et l’harmonie fouillée, malgré un matériau thématique indigent. D’essence répétitive, mais avec un sens de la modulation et de la variation inconnu de Philip Glass, la musique est d'une pauvreté d'inspiration emplie de citations et de réminiscences de Richard Wagner, en premier lieu, mais aussi de Giacomo Puccini, Richard Strauss, Gustav Mahler et Igor Stravinski période néoclassique, et l’écriture vocale est plus riche et variée que ce que la partie instrumentale donne à entendre.

John Adams, Nixon in China. John Matthew Myers (Mao Tsé-Toung), Joshua Bloom (Henry Kissinger), Xiaomeng Zhang (Chou En-Lai). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

Ce que donne à voir la metteur en scène argentine Valentina Carrasco, qui a fait ses classes pendant vingt ans au sein du collectif La Fura dels Baus et qui signe ici son premier spectacle à l’Opéra de Paris, est globalement une réussite, d’autant qu’elle n’est pas dénuée d’humour. L’action plonge dans la politique de ping-pong instaurée au début des années 1970 entre les deux pays, avec des rencontres et d’échanges entre les équipes de pongistes sino-étatsuniennes qui se déroulaient des deux côtés de l’océan Pacifique et qui suscitent ici les ensembles choraux et des ballets, l’un de ces derniers évoquant longuement les violences du régime communiste chinois devant le couple Nixon et le ministre Henry Kissinger qui ne bougent pas. L’ouverture de l’opéra se fait sur des projections vidéos de films noir et blanc qui évoquent l’histoire de la Chine populaire dont les images se feront au cours de l’opéra de plus en plus dures, avec les déportations de citadins dans les campagnes et des paysans dans les villes, les tortures, les procès, les exécutions d’intellectuels et d’opposants réfractaires, et jusqu’au témoignage déchirant entre les deux derniers actes tiré du film « De Mao à Mozart : Isaac Stern en Chine » tourné par Murray Lerner en 1979 (voir https://www.youtube.com/watch?v=SlDJ2aE7iGs) d’un professeur de violon condamné aux travaux forcés pour avoir enseigné un art considéré comme fourvoyé par la Révolution culturelle de 1966, la musique, parce qu'émanation de l’Occident. Mais les horreurs de l’armée US au Vietnam ne sont pas négligées, et leur font écho dans le cours de ces mêmes projections. 

John Adams (né en 1947), Nixon in China. Renée Fleming (Pat Nixon). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

Si l’on ne voit pas plus arriver Air Force One que dans la production du Châtelet en 2012, le Boeing 707 « Spirit of America » de la présidence des Etats-Unis, remplacé ici par un aigle géant aux ailes et aux serres largement déployées et aux yeux clignotant, le tapis rouge est bel et bien déployé après qu’une quarantaine de tables de ping-pong sur lesquelles les choristes-pongistes échangent joyeusement des sets, se soient effacées à son profit pour accueillir le couple Nixon et sa suite. La scène la plus puissante de cette production est celle de la bibliothèque de Mao où discutent les présidents et leurs entourages tandis qu’en dessous se déroule un gigantesque autodafé. Autre moment fort, la poétique scène d’introspection du monologue de Pat Nixon consolée par un dragon rouge particulièrement attentionné, et celle de la visite d’une porcherie industrielle modèle où le chœur chante le rythmique « Pig, pig, pig ».

John Adams, Nixon in China. Yajie Zhang, Ning Liang, Emanuela Pascu (les trois secrétaires de Mao), John Matthew Myers (Mao Tsé-Toung). Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

Gustavo Dudamel donne à cette partition qu’il aime de toute évidence fluidité, énergie, transparence, mais aussi onirisme et sensualité, soutenu par un Orchestre de l’Opéra de Paris éblouissant, à l’instar du Chœur de l’Opéra remarquablement préparé par sa chef taïwanaise Ching-Lien Wu. La distribution est excellente. La soprano états-unienne Renée Fleming campe une touchante et élégante Pat Nixon perdue dans ses rêves des temps passés, Kathleen Kim est une remarquable Jiang-Qing, ex-actrice et quatrième Madame Mao surnommée « l’Impératrice Rouge » qui finit ses jours en prison, aux folles vocalises, le baryton états-unien Thomas Hampson est un Nixon nostalgique dont la voix, qui tend à se faire plus fragile et moins longue, humanise le président future victime du Watergate, affaire dont les ramifications politiques commencent cette même année 1972. 

John Adams (né en 1947), Nixon in China. Photo : (c) Christophe Pelé / OnP

L’excellent baryton chinois Xiaomong Zhang incarne un impressionnant Chou En-Laï (Zhou Enlai), la basse australienne Joshua Bloom excelle dans le personnage-clef qu’est Henry Kissinger fier de son action et sûr de ses pensées, le ténor californien John Matthew Myers est un Mao Tsé Toung (Mao Zedong) déjanté, les trois secrétaires du Grand Timonier (les mezzo-sopranos chinoise Yajie Zhang, sino-étatsunienne Ning Liang et roumaine Emanuela Pascu) forment un inénarrable trio de soeurs siamoises.

Bruno Serrou

 

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