samedi 25 mars 2023

Contagieuse complicité de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et Tugan Sokhiev qui a embrasé la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 22 mars 2023 

Tugan Sokhiev, Kim Jaewon (violon supersoliste), Orchestre National du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Bruno Serrou

Grand bonheur que l’écoute de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse dirigé par son ex-directeur musical russe Tugan Sokhiev, l’un et l’autre formant une entité étincelante, répandant une véritable fête sonore jubilatoire tant il émane de leur part un plaisir de jouer si contagieux qu’il emporte l’auditeur jusqu’à l’extase. Moments de grâce et de complicité qui, à la fin de chacune des deux parties, ont suscité des salves d’ovations et plusieurs rappels que pas même un bis de l’orchestre entier n’a pu réfréner, ont fusé de toute part dans la Salle Pierre Boulez quasi pleine, attestant d’un enthousiasme irrépressible devant la performance de l’orchestre et de son chef. Une fructueuse union de dix-sept ans de toute évidence pérenne qu’ont brisée les incompréhensions des édiles à l’égard du chef russe qu’ils ont sottement suspecté de collusion avec la politique d’agression du Kremlin à l’encontre de l’Ukraine…

Edgar Moreau, Tugan Sokhiev, Orchestre National du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Bruno Serrou

Deux œuvres slaves étaient au programme. L’une tchèque, l’autre russe. Pour la première, il s’est agi de l’une des œuvres concertantes pour violoncelle les plus justement célèbres, le Concerto n° 2 pour violoncelle et orchestre en si mineur op. 104 B 191 d’Antonin Dvořák. Composé aux Etats-Unis pendant l’hiver 1894-1895, complété en Tchécoslovaquie avec, dans le finale, une citation de l’un des Quatre Chants op. 82 que le compositeur a dédiés à la mémoire de sa belle-sœur qui venait de mourir, ce concerto est l’ultime œuvre que Dvořák a composée au cours de son séjour aux Etats-Unis. Sa popularité est comparable à celle de la Symphonie « du Nouveau Monde » et des Danses slaves de son auteur. Si, contrairement à la symphonie, il ne s’y trouve aucune trace d’influence états-unienne, le concerto est tout aussi nostalgique, Dvořák, séparé depuis trois ans de ses amis et de ses sources vitales, éprouvant plus intensément que jamais le mal du pays. 

Tugan Sokhiev, Orchestre National du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Bruno Serrou

L’ONCT y a brillé de ses couleurs irradiantes et la chatoyance des sonorités de l’ensemble de ses pupitres, la beauté de son chant polychrome, la tendre mélancolie de son expression. Le tout a rejailli sur le violoncelle un rien pâteux d’Edgar Moreau, dont l’archet plus ou moins lourd comme collé aux cordes n’a pas laissé beaucoup de place à l’expression, le nuancier du soliste étonnamment étroit venant peut-être d’un jeu trop serré empêchant la musique de respirer.

Tugan Sokhiev et l'Orchestre National du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Bruno Serrou

En seconde partie du concert, la Symphonie n° 9 en mi bémol majeur op. 70. Composée en août 1945, créée à Saint-Pétersbourg le 3 novembre de la même année sous la direction d’Evgueni Mravinski, cette partition de moins d’une trentaine de minutes est l’une des plus insouciantes et joyeuses de Chostakovitch, qui, quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, a pris le régime communiste à contre-pied, au grand dam de Joseph Staline, qui en a conçu une profonde et irrévocable amertume. Le « petit père des peuples » attendait en effet une œuvre grandiose avec solistes, chœur et grand orchestre digne de la Symphonie n° 9 en ré mineur de Beethoven et à la hauteur de sa glorieuse stature de sauveur de l’humanité toute entière et célébrant la victoire de l’armée rouge sur le nazisme. Or, il n’en fut rien, le compositeur saisissant au contraire l’opportunité tant espérée pour déjouer les attentes du régime communiste. Tant et si bien que l’œuvre reçut un accueil pour le moins mitigé. Chostakovitch avait en effet décidé d’éviter la grandiloquence et la pompe au profit de la bonne humeur et de l’exaltation, sans parvenir pour autant à masquer son inquiétude personnelle sous l’éclat circonstancié de sa musique. Néanmoins, seul le Largo est d’essence dramatique, avec de graves sonneries de trompettes et de magnifiques récitatifs de basson qui sont les moments les plus significatifs de cette partition. 

Tugan Sokhiev, Orchestre National du Capitole de Toulouse. Photo : (c) Bruno Serrou

Cette jubilation a été somptueusement mise en valeur par Tugan Sokhiev, qui a laissé une contagieuse liberté de jeu comme s’il encourageait ses musiciens à improviser, se contentant d’indiquer départs et intentions, émoustillant l’humour et l’ironie qui rendirent l’œuvre haïssable pour Staline, les bois de l’ONCT, surtout le basson mais aussi petite flûte, flûte en ut, hautbois et clarinette, ainsi que les cors et les cuivres, sans évoquer les pupitres d’altos parmi les cordes. Grand plaisir aussi de regarder diriger Tugan Sokhiev, magistral tout au long de la soirée… trop courte hélas malgré les bis du soliste et de l’orchestre.

Bruno Serrou


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