jeudi 23 décembre 2021

Mozart une Flûte enchantée de commedia dell’arte à Nancy

Nancy. Opéra national de Lorraine. Vendredi 17 décembre 2020

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), La Flûte enchantée. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra National de Lorraine

Pour clore joyeusement l’an 2021 de tous les dangers, l'Opéra national de Lorraine propose à Nancy une Flûte enchantée de Mozart délicieusement onirique

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), La Flûte enchantée. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra National de Lorraine

Pensée par ses concepteurs, Mozart son compositeur, et Schikaneder son librettiste, pour le théâtre populaire, la Flûte enchantée ouvre à toutes les fantaisies, des plus chargées en symboles plus ou moins abscons jusqu’aux plus délirantes. Alliant poésie, rêve, effroi, légèreté, profondeur, vie et mort intimement imbriquées, cette œuvre est aussi trop souvent rattachée à l’ésotérisme.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), La Flûte enchantée. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra National de Lorraine

Ce que donne à voir et entendre l’Opéra national de Lorraine déleste l’œuvre la plus prisée de Mozart de son fatras néo-maçonnique dans une mise en scène d’Anna Bernreitner d’esprit naïf hérité des tréteaux de commedia dell’arte s’avère à la fois souriant et grave. Au sein de décors tournants dignes du Douanier Rousseau d’Hannah Oellinger et Manfred Rainer, qui signent également costumes et animations murales d’animaux géants tandis que les trois enfants s’égayent sur un toboggan de square, le spectacle proposé par la directrice fondatrice du groupe Oper rund um basé à Vienne investit le monde de l’enfance, avec son optimisme éclatant, ses angoisses incontrôlables, son onirisme primesautier. « Remettant au goût du jour » le livret selon ce qu’elle entend démontrer, la metteuse en scène autrichienne, pour sa première production en France, défait adroitement la Flûte enchantée de ses attributs ésotériques pour se focaliser sur l’humanisme merveilleux, le féerique candide en proposant une méditation à la fois métaphysique et ingénue sur la vie et la mort pour tous, enfants et adultes, à l’instar de l’élan populaire qui a gouverné les concepteurs de l’œuvre.    

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), La Flûte enchantée. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez/Opéra National de Lorraine

Sous la direction moirée du chef hollandais Bas Wiegers connu pour son engagement pour la musique contemporaine, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Lorraine souple aux sonorités flatteuses, ainsi qu’un chœur cohérant, cette Flûte enchantée séduit musicalement. Au sein d’une distribution homogène, seule la Pamina de Christina Gansch déçoit. Christina Pulitsi est une Reine de la Nuit à la voix flexible qui impressionne par l’aisance dont elle témoigne constamment suspendue dans le vide, David Leigh est un excellent Sarastro, Jack Swanson un Tamino élégant et serein, Michael Nagl un Papageno juvénile au timbre clair, Anita Rosati une Papagena primesautière, Mark Omvlee un Monostatos solide, Christian Immler un noble orateur, Susanna Hurrell, Ramya Roy et Gala El Hadidi constituent un brillant trio de Dames, à l’instar des deux hommes d’armes d’Ill Ju Lee et Benjamin Colin. Mais il faut surtout saluer trois femmes du chœur qui ont sauvé in extremis la représentation substituant leur chant côté cour à celui des trois enfants prévus décelés positifs au Coviod-19 remplacés sur le plateau par autant de jeunes mimes…

Bruno Serrou

Opéra de Nancy, jusqu’au 28/12/21. Rés. : 03.83.85.33.11. www.opera-national-lorraine.fr/fr/

dimanche 19 décembre 2021

CD : 30 ANS D’EXCELLENCE DU LABEL CLASSIQUE « PRAGA DIGITALS » EN 30 CDs

Pour célébrer le retour du label Praga créé en 1991 et après trois ans d’absence, son repreneur Little Trebica publie un coffret de trente CDs d’enregistrements qui ont forgé le renom de cet éditeur. Une occasion à ne pas manquer pour les mélomanes en cette période de fêtes

Membre du jury du Concours de quatuors à cordes d’Evian (désormais à Bordeaux sous la direction artistique du Quatuor Modigliani) 1978, le journaliste critique musical Pierre-Emile Barbier découvrait le jeune Quatuor Pražák, vainqueur de cette édition. Fils d’altiste professionnelle, ingénieur électronicien parachevant ses études par la musicologie pour assouvir sa passion, membre de l’Académie Charles Cros, acteur passionné de la Tribune des Critiques de Disques de France Musique de l’épique époque des controverses enflammées, organisateur de concerts, éminent connaisseur des instruments à cordes, épris de culture slave, plus particulièrement de musique tchèque, Pierre-Emile Barbier décidait à la demande de ses amis musiciens tchèques de les produire en se substituant au label Supraphon emporté dans le tourbillon de la Révolution de Velours en 1989. D’autant qu’à cette époque prolifèraient quantité d’ensembles de chambre à Prague et dans les régions tchèques. C’est ainsi que Barbier se prend à produire non seulement le Quatuor Pražák, mais aussi les Quatuors Kocian, Párkányi, Zemlinsky, les Trios Guarneri et Kinsky de Prague, le Prague Piano Duo, les solistes Michal Kaňka, Slávka Pěchočová qu’il enregistre dans un studio de Prague et qu’il met en perspective avec d’illustres aînés des Quatuors Végh et Smetana et du Trio David Oïstrakh notamment. Parallèlement à la musique de chambre enregistrée avec les moyens techniques de pointe, le fondateur directeur artistique de Praga crée au sein de son label la collection Réminiscences où il reprend des captations de grands concerts pragois, comme ceux de Sviatoslav Richter, Arturo Benedetti Michelangeli, Vaclav Neumann, la Philharmonie Tchèque, et des enregistrements connus dans des transferts techniques de très grande qualité qui magnifient l’essence artistique exceptionnelle de ces gravures, entre autres de la contralto canadienne Maureen Forrester, et des chefs d'orchestre comme Wilhelm Furtwängler, Ferenc Fricsay, André Cluytens, Ernest Ansermet, Igor Markevitch, Manuel Rosenthal…

Il est bien évident que ce coffret est loin d’être exhaustif des trente ans d’histoire d’un label dont le fondateur est mort en avril 2018 et qui compte un nombre phénoménal d’enregistrements de référence parmi les quelques quatre cent cinquante productions du catalogue, mais la totalité de ceux qui ont été réunis pour la circonstance sont des merveilles absolues, avec des chefs-d'œuvre de Smetana, Dvořák, Janáček, Suk, Martinů, Fišer, Schulhoff, Sibelius, Debussy, Ravel, Bartók, Chostakovitch, Schönberg, Schubert, Beethoven, Moussorgski, Mozart, Weber, Haydn, Brahms, Mendelssohn, Honegger, Stravinski, Prokofiev, Tchaïkovski, Mahler, R. Strauss, Rachmaninov, du solo à l’orchestre symphonique. Trente-cinq heures de musique fabuleuse sur trente CDs jouée par les interprètes les plus éblouissants de trente décennies proposés dans des restitutions sonores les plus somptueuses. Une sorte de bilan à garder précieusement tel un trésor présageant du retour de quantité de disques de premier choix et de la pérennité de l’esprit d’exigence et de quête artistique absolue d’un label élaboré avec amour par un fou de musique.

Bruno Serrou

30 CDs Praga Digitals PRD 250421/Little Trebica (article paru dans le quotidien La Croix du 19 décembre 2021)

mardi 7 décembre 2021

Avec Turandot de Puccini, Gustavo Dudamel prend promptement possession de l’Opéra Bastille

Paris. Opéra national de Paris-Bastille. Samedi 4 décembre 2021

Giacomo Puccini (1858-1924), TurandotAlessio Arduini, Jinxu Xiahou, Matthew Newlin (Ping, Pang, Pong). Photo : (c) Charles Duprat/OnP

Pour sa première apparition dans la fosse de l’Opéra de Paris, Gustavo Dudamel, son nouveau directeur musical, électrise le public avec un Turandot de Puccini de feu

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot. Carlo Bosi (Altoum), Elena Pankratova (Turandot), Jinxu Xiahou, Matthew Newlin (Pang, Pong). Photo : (c) Charles Duprat/OnP

Voilà près de vingt ans que Paris n’avait pas vu sur scène le chef-d’œuvre de Giacomo Puccini, qui avait été présenté pour la dernière fois dans une mise en scène de Francesca Zambello. Ultime opéra de Puccini, qui ne parvint pas au terme de sa genèse, la mort l’emportant le 29 novembre 1924 avant qu’il en entreprenne le duo final, Turandot n’en est pas moins l’un des phares de l’opéra du XXe siècle. Loin de l’esprit du théâtre de tréteaux de l’opéra que Ferruccio Busoni adapta du même Carlo Gozzi en 1917, la partition de Puccini est un drame violent et sanguinaire, plongeant dans l’exotisme d’Épinal d’une Chine médiévale réputée barbare, avec nombre d’emprunts aux modes musicaux.

Giacomo Puccini (1858-1924), TurandotAlessio Arduini, Jinxu Xiahou, Matthew Newlin (Ping, Pang, Pong), Gwyn Hughes Jones (Calaf). Photo : (c) Charles Duprat/OnP

La production de l’Opéra de Paris éblouit par ce que donne à entendre Gustavo Dudamel. Orchestre fluide, cristallin, d’une variété de coloris au nuancier illimité, ne saturant jamais l’espace auquel il donne au contraire une profondeur de champ phénoménale, comme s’il connaissait la fosse de l’Opéra Bastille depuis toujours, telle est la portée de la vision du chef vénézuélien. Seul regret, qu’il n’ait pas utilisé la version de Luciano Berio de la scène finale, mieux ciselée, plus fine et contrastée que celle traditionnellement utilisée de Franco Alfano, il est vrai élève de Puccini et dont les droits sont désormais dans le domaine public. Sous la direction de Dudamel, l’Orchestre de l’Opéra jubile, transporté par la vision chatoyante, au lyrisme ardent, du chef sud-américain qui ménage de somptueux moments de grâce poétique alternant avec une puissance et des tensions dramatiques inouïes. Dudamel aura su prendre sans attendre toute la mesure de la fosse de Bastille. 

Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot. Photo : (c) Charles Duprat/OnP

La production de Robert Wilson, créée en 2018 à l’Opéra de Madrid, ici secondé pour l’entrée à Bastille par Nicola Panzer, est une incontestable réussite esthétique et dramaturgique, associant beauté plastique, psychologie, humour. Plus encore que les deux héros, la princesse chinoise Turandot et son prétendant princier déchu tartare Calaf, ce sont les ministres impériaux Ping, Pang, Pong 
que Wilson érige ici en principaux protagonistes d’une œuvre dont ils sont les deus ex machina, se projetant dans toutes les strates de l’action, bougeant, dansant, mimant à l’envi, unissant intrigue et protagonistes, qui n’en sont pas moins engoncés dans leurs propres univers, leurs propres obsessions.

Giacomo Puccini (1858-1924), TurandotGwyn Hughes Jones (Calaf), Guanqun Yu (Liù). Photo : (c) Charles Duprat/OnP

Prise dans son ensemble, la distribution est homogène, malgré quelques faiblesses de la part des deux protagonistes centraux qui sont assez longs à trouver leurs marques, la soprano russe Elena Pankratova, pourtant habituée du rôle de Turandot, dont la voix s’épanouit pleinement dans la scène finale, comme si elle se réservait à cette fin, et le ténor gallois Gwyn Hughes Jones, qui a des difficultés dans le haut du spectre. La soprano chinoise Guanqun Yu est une Liù un rien trop mûre, la basse ukrainienne Vitalij Kowaljow (Timur) et le ténor italien Carlo Bosi (Altoum) sont impeccables. Mais c’est le trio de ministres qui emporte l’adhésion totale, les ténors (Alessio Arduini, Jinxu Xiahou, Matthew Newlin) triomphant autant vocalement que chorégraphiquement.

Bruno Serrou

Jusqu’au 30 décembre 2021. Rés. : 08.92.89.90.90. www.operadeparis.fr

 

 

mardi 16 novembre 2021

A Perpignan, Aujourd’hui Musiques 2021 au carrefour des modes d’expression musicale contemporains

Perpignan (Pyrénées-Orientales). Théâtre de l'Archipel. Vendredi 12, samedi 13, dimanche 14 novembre 2021

Photo : (c) Bruno Serrou

Après une annulation peu avant son premier concert mi-novembre 2020 pour cause de Covid-19, Aujourd’hui Musiques s’ouvre de plus en plus depuis 10 ans à tous les styles d’expressions musicales

Théâtre de l'Archipel de Perpignan. Photo : (c) Bruno Serrou

A 12 mois de ses trente ans, le festival de création contemporaine Aujourd’hui Musiques s’impose à la fois comme l’un des plus ouverts et des plus proches du public. Légèrement à la marge au début, il se révèle désormais précurseur de l’esprit des festivals de musique contemporaine, se délaissant l’œuvre écrite pour se projeter dans l’univers de l’électronique improvisée, acteur des évolutions technologiques. Malgré la pandémie, ce rendez-vous automnal attire un large public, du plus jeune au plus âgé avide de découvertes.

Prologue de concert dans le hall-foyer du Théâtre de l'Archipel. Photo : (c) Bruno Serrou

Disposant d’une enveloppe propre de trois cents mille euros au sein du budget du Théâtre de l’Archipel de Perpignan qui l’a intégré à sa programmation dès son ouverture en 2011, Aujourd’hui Musiques présente la diversité de la recherche technologique contemporaine. « Les machines ne sont plus cantonnées dans le secret des laboratoires, s’enthousiasme Jackie Surjus-Collet directrice artistique du festival, elles sont entrées dans nos vies et participent à notre vision du monde. Le public le sait et il entend l’expérimenter avec nous. » 

Groupe Aquaserge « Perdu dans un étui de guitare ». Photo : (c) Bruno Serrou

Performances, improvisation, œuvres interactives, déambulations électroniques associant corps et sensations, deviennent dans ce festival désormais suivi par beaucoup de ses congénères, particulièrement le festival Musica de Strasbourg, un instrument de création image et son, aux confluences des musiques « actuelles » et « savantes », des plus anciennes (Bach, Haendel) aux plus accessibles du XXe siècle (Satie).

La Muse en Circuit, « Fake ». Photo : (c) Bruno Serrou

Cette édition 2021 a débuté le week-end dernier et se conclura le prochain week-end. La balade Fake proposée par le collectif La Muse en Circuit créé par Luc Ferrari et dirigé aujourd’hui par Wilfried Wendling, est une adaptation pour une promenade dans le centre de Perpignan de celle de septembre 2020 à Musica de Strasbourg. 

Sceniscome, « Cyclic ». Photo : (c) Bruno Serrou 

En prélude au spectacle du soir, Cristal Baschet par Michel Deneuve jouant de sculptures sonores des frères Baschet qu’il a présentées sans rire comme étant « aussi difficiles à jouer qu’un violon », suivi par de déambulations interactives sensorielles La Maison sensible et Cyclic de Sceniscome, et GeKiPe de l’Ensemble Flashback, en prologue du spectacle sensoriel LIBER de la Compagnie Intensités de Maguelone Vidal, avec un mixeur sonore aux limites de la saturation et qui se termine sur un chaste strip-tease… Toutes expériences qui se ressemblent terriblement quant aux résultats sonores…

Compagnie Intensités / Maguelone Vidal, « LIBER ». Photo : (c) Bruno Serrou

Un programme voué à des compositrices du XVIIe et du XXIe siècles a été offert par le magnifique Chœur de Chambre Spirito de Nicole Corti a clôt le premier week-end du festival, prouvant que les musiques écrites et acoustiques restent pérennes et d’une force créatrice inégalable qui, avec le couple d’accordéonistes Jean-Etienne Sotty et Fanny Vicens. 

Chœur de Chambre Spirito, Jean-Etienne Sotty et Fanny Vicens (accordéons), Nicole Corti (direction). Photo : (c) Bruno Serrou

Cet ensemble vocal enrichi de deux accordéonniste a enthousiasmé le public, particulièrement le créatif Paradiso pour douze voix et deux accordéons microtonals (2018) d’Edith Canat de Chizy, et deux autres de ses œuvres, Amore pour cinq voix de femmes et Vega pour deux accordéons microtonals à côté de deux chants pour voix seule de Betsy Jolas et du charmant Bruyères à l’automne pour douze voix mixtes a capella de Gracian Finzi, mis en regard de pages d’Elizabeth Jacquet de Guerre et de Barbara Strozzi.

Bruno Serrou

Original paru dans le quotidien La Croix daté lundi 15 novembre 2021

jeudi 11 novembre 2021

Le sobre mais lumineux Eugène Onéguine de Tchaïkovski du Théâtre des Champs-Elysées

 Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mercredi 10 novembre 2021

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), Eugène Onéguine. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Adapté par le compositeur et Constantin Chilovski du roman éponyme d’Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine de Piotr Illitch Tchaïkovski est l’un des opéras les plus populaires du répertoire. Pourtant, il y a longtemps qu’il n’était pas réapparu sur une scène lyrique parisienne. C’est dire combien son retour était attendu.

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), Eugène Onéguine. Gelena Gaskarova (Tatiana), Jean-Sébastien Bou (Onéguine). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

De cette histoire au romantisme exacerbé, Stéphane Braunschweig tire sans jamais en trahir l’essence une action de toute éternité, celle d’un héros (Onéguine) sans but et d’un égoïsme indifférent à tout ce qui l’entoure, à commencer par l’amour d’une jeune fille (Tatiana), se plaît à susciter la jalousie de son meilleur ami (Lenski) qu’il pousse au duel en charmant lourdement sa fiancée (Olga) et qu’il tue, mais finira par regretter d’avoir rejeté la femme qui l’aimait et qui a fini par épouser un prince (Grémine) sans pour autant l’oublier, et à qui il essaye vainement de l’arracher…

                         Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), Eugène Onéguine. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Dans sa scénographie quasi nue plus symboliste que réaliste, permettant une grande liberté dans l’espace pour le développement de l’action, qui s’exprime sur la totalité du plateau du Théâtre des Champs-Elysées parfois resserrée par un cadre mural rectangulaire à trois côté orné de deux jeux de deux fois trente chaises, de tables de casino et d’une chambre s’y intégrant par le dessous de scène, un décor uniformément blanc, ornementé par les seuls tissus colorés des élégants costumes de Thibault Vancraenenbroeck, Stéphane Braunschweig, en véritable homme de théâtre, sait ce que direction d’acteur signifie. Il donne en effet à chacun de ses protagonistes une humanité et une authenticité remarquable, y compris dans les chœurs, qu’il sait faire bouger comme trop peu de metteurs en scène d’opéra, jusqu’à les faire danser avec art. Braunschweig a réussi cette gageure dans un opéra pourtant réputé réfractaire au théâtre, remarquablement servi il est vrai par la cohésion totale entre solistes, chœur et orchestre.

                  Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), Eugène Onéguine. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Gelena Gaskarova, Tatiana déjà en 2010 à Pleyel dans une version concertante de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse sous la direction de Tugan Sokhiev. La soprano pétersbourgeoise a campé une magnifique et touchante Tatiana, et sa présence rayonnante, la grâce infinie de sa ligne de chant, le vif argent de son timbre ont transcendé certaines duretés dans l’aigu et des fortissimos légèrement décolorés. Jean-Sébastien Bou, s’impose en campant un Onéguine complexe, dur et froid puis ardent et suppliant. Autre chanteur impressionnant, le brûlant Lenski de Jean-François Borras, ténor puissant, solide, à la voix vif-argent, tandis que Jean Tietgen est un Prince Gémine de noble stature. Mireille Delunsch excelle en Madame Larina dont elle fait un personnage touchant, Alisa Kolosova gratifie Olga de sa voix pleine au mezzo de velours, Delphine Haidan est une généreuse nourrice, Marcel Beekmann - qui ne fait pas oublier le Triquet de Michel Sénéchal ni celui de Jean-Paul Fouchécourt - et Yuri Kissin complètent l’ensemble à la perfection, tandis que le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux est impressionnant de volume et d’homogénéité. Souple et onctueux, l’Orchestre National de France fait un sans faute sous la direction déliée, expressive et délicate de la violoniste chef d’orchestre états-unienne Karina Canellakis.

Bruno Serrou

Jusqu’au 19 novembre. Coproduction du Théâtre des Champs-Elysées et de l’Opéra National de Bordeaux, cet Eugène Onéguine sera bientôt repris dans la capitale aquitaine

 


vendredi 5 novembre 2021

Commande de l’Opéra Comique, « Les Eclairs » de Philippe Hersant cumule les archétypes de l’opéra états-unien

Paris. Opéra Comique. Mercredi 4 novembre 2021

Jean-Christophe Lanièce (Gregor), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Ethel Axelrod). Photo : (c) S. Brion

Pour son troisième opéra après Le château des Carpathes créé à l’Opéra de Montpellier en 1992, et Le Moine noir, commande de l’Opéra de Leipzig en 2006, tous deux nés sous l’impulsion d’Henri Mayer directeur de ces deux institutions, Philippe Hersant (né en 1948) s’est vu confier par Olivier Mantei, alors qu’il était encore directeur de la salle Favart, la mise en musique d’un livret du romancier Jean Echenoz, Prix Goncourt 1999, tiré de sa nouvelle Des Eclairs paru en 2010 inspiré de la vie de Nikola Tesla (1856-1943), ingénieur électricien états-unien d’origine serbe inventeur du courant alternatif qui a inspiré à Martien Eberhard et Marc Tarpenning Elon Musk le nom de leur entreprise d’automobiles électriques Tesla qu’ils ont fondée en 2003.

Jean-Christophe Lanièce (Gregor). Photo : (c) S. Brion 

Romancée par Jean Echenoz, la vie de Tesla devenu Gregor commence dans l’opéra après son arrivée aux Etats-Unis en 1882, et conte ses mésaventures face à son rival Thomas Edison, qui fait tout son possible pour l’acculer à l’échec dans son appétence à sauver le monde. En brossant ce voyage dans le temps, Jean Echenoz peint cette Amérique de la fin du XIXe siècle jusqu’au début des années 1940 où tout était possible à condition de prendre des risques, et s’interroge sur la nécessité du progrès pour le bien de l’humanité mais aussi ses dangers face à l’argent. L’utopie de Gregor/Tesla, qui aura cherché à la toute fin de sa vie à communiquer avec les Martiens, se confronte violemment au pragmatisme d’Edison, qui accule son rival à opter pour l’isolement dans un ermitage du Colorado et lui rendra de nouveau la vie impossible après son retour à New York. L’indifférence de son héros à l’égard des femmes au profit de la nature et plus particulièrement des oiseaux, conduit le compositeur à user et à abuser de chants et de cris de volatiles, autant au synthétiseur qu’aux instruments à vent de l’orchestre, mais sans le génie d’un Olivier Messiaen.

Jean-Christophe Lanièce (Gregor), membres de l’ensemble Aedes. Photo : (c) S. Brion

A l’écoute de cette partition, l’on reste dubitatif tant il s’y trouve de références à l’histoire de l’opéra nord-américain, de Scott Joplin à Philip Glass, de Samuel Barber à Carlisle Floyd, de George Gershwin à John Wiliams. L’on y trouve aussi Antonin Dvořák et sa mélodie indienne de la Symphonie « du Nouveau Monde », le jazz d’Errol Garner et Chet Baker, des renvois aux sonorités des Balkans à l’aide d’un clavier électronique, le tout orchestré avec talent, il faut en convenir, chaque protagoniste étant incarné par un instrument spécifique, Les Eclairs sont remarquables tant il s’y trouve peu d’apports personnels, ces derniers étant écrasés par citations, collages, imitations qui frisent parfois le pot-pourri, ce qui situe Hersant très loin de ce qu’offre à entendre par exemple un Philippe Boesmans, qui pour sa part sait se faire original jusque dans la façon dont il puise dans le passé. Comme pour mieux étayer la thèse de la peur face au progrès, centre de ce « drame joyeux » selon le sous-titre de l’œuvre, et qui semble terroriser Philippe Hersant à tel point qu'il conçoit une musique inexorablement ancrée dans le passé, sans une once de créativité, car même l’usage d’une série dodécaphonique renvoie à l’histoire de la musique...

Jean-Christophe Lanièce (Gregor), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Ethel Axelrod). Photo : (c) S. Brion

Autant que j’ai pu en juger depuis la place de côté que m’avait attribuée le service de presse (je découvre une partie de la scénographie en intégrant les photos dans le cours de ce compte-rendu), la mise en scène de Clément Hervieu-Léger sert au plus près l’action et ses nombreux changements de décors signés Aurélie Maestre, judicieusement éclairés par des lumières glaciales et métalliques de Bertrand Couderc, effectués à vue par de nombreux mouvements de praticables déplacés par des techniciens aguerris vêtus de noir, et évoque de façon simple mais claire l’Amérique du début du XXe siècle, avec les gratte-ciels de New York ou les montagnes du Colorado, et jusqu’au tableau reconstituant la première exécution de l’Histoire par la chaise électrique « mise au point » par Edison qui rappelle combien cet appareil de torture est une abomination dans une scène qui est le nœud de l’œuvre rappelant combien les avancées scientifiques et technologiques ont de corolaires négatifs dans l’horreur et l’inhumanité.

François Rougier (Norman Axelrod), Jean-Christophe Lanièce (Gregor), André Heyboer (Edison), Elsa Benoit (Betty). Photo : (c) S. Brion

Gregor/Tesla est brillamment interprété par le baryton Jean-Christophe Lanièce, qui campe de sa voix soyeuse tous les aspects de la personnalité du personnage, idéaliste naïf et inconstant mais tout en élégance. Son admiratrice inconditionnelle Ethel Axelrod est incarnée avec exaltation par la mezzo-soprano Marie-Andrée Bouchant-Lesieur à la voix pleine et chaude, le ténor François Rougier est un Norman Axelford au caractère raffiné, la journaliste du New York Herald Betty est campée avec délicatesse par la soprano au timbre délicieux Elsa Benoît, le baryton Jérôme Boutillier impose sa voix de bronze et sa diction parfaite dans le rôle de Parker/George Westinghouse, le baryton-basse André Heyboer donne toute la noirceur du méchant de service, Thomas Edison, seul protagoniste de l’opéra à avoir gardé son vrai nom. L’excellent Chœur Aedes de Mathieu Romano commente et participe activement à l’action, autant individuellement que collectivement.

Jean-Christophe Lanièce (Gregor). Photo : S. Brion

L’orchestration de la partition d’Hersant offre aux pupitres solistes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France l’occasion de briller, particulièrement les cuivres (malgré quelques approximations dans les attaques des cors), jusqu’au tuba, mais aussi les cordes, surtout l’alto, et la percussion. Ariane Matiakh dirige le tout avec conviction et enthousiasme, donnant avec allant l’impulsion dramatique à l’ensemble de l’orchestre, des chanteurs solistes et du chœur, se délectant clairement de l’écriture du compositeur.

Bruno Serrou

mercredi 3 novembre 2021

Pour le centenaire de la naissance de l’immense pianiste hongrois GYÖRGY CZIFFRA, le compositeur PETER EÖTVÖS rend hommage à son compatriote dans un concerto rhapsodique « Cziffra Psodia » pour piano et orchestre

Péter Eötvös (né en 1944). Photo : DR

Ce n’est pas un hasard si Péter Eötvös a été choisi par la Hongrie et par la France pour composer une œuvre-hommage à György (Georges) Cziffra pour le centenaire de sa naissance. Tous deux Hongrois, le compositeur est en effet lié au pianiste virtuose à la fois par sa mère et par ses propres souvenirs, ainsi que par l’exil à Paris, Péter Eötvös (1) ne retournant vivre à Budapest qu’après la chute du Rideau de fer, à l’instar de György Cziffra, qui y effectuera des séjours à partir de 1983.

György Cziffra avait choisi la France comme terre d’asile après avoir fui la dictature communiste dont il avait subi la répression avant même l’insurrection de Budapest à l’automne 1956, s’installant cette année-là à Paris avec sa femme et son fils pour y passer les trente-huit dernières années de sa vie. Péter Eötvös, de vingt-trois ans son cadet mais qui fit ses études dans la même Académie Franz Liszt de Budapest où sa mère avait été élève dans la même classe que Cziffra, travailla pendant dix ans à Paris, entre 1979 et 1989, comme directeur musical de l’Ensemble InterContemporain, sans pouvoir côtoyer pour autant son compatriote. Pourtant, ce n’était pas faute d’une certaine proximité, puisqu’il l’avait rencontré enfant, sa mère envisageant même de confier son jeune fils à Cziffra lorsqu’il est sorti du bagne pour lui enseigner le piano. Ce que Cziffra refusa, ayant perdu la maîtrise de ses mains qu’il avait usées comme forçat voué à casser des cailloux. Mais les destinées de chacun, l’un vivant à Paris l’autre à Senlis, et, surtout, Cziffra s’isolant totalement à la mort accidentelle de son fils en 1981, le chef d’orchestre György Cziffra Jr., sombrant alors dans de douloureux problèmes psychologiques jusqu’en 1985 - un peu plus tard, le compositeur sera confronté à son tour à une tragédie plus violente encore avec la mort de son propre fils.

Le Müpa de Budapest et la direction de la Musique de Radio France, en association avec l’Orchestre de la Suisse Romande et le Stavanger Symphony Orchestra, ont commandé à Péter Eötvös, à l’instigation du pianiste hongrois János Balázs qui en est le dédicataire et le soliste, le concerto rhapsodie Cziffra Psodia pour piano, cymbalum et orchestre que l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui en donne la création mondiale le 5 novembre, cent ans jour pour jour après la naissance du grand virtuose tzigane, dans la magnifique salle Béla Bartók du Müpa de Budapest, deux jours avant la première française par les mêmes protagonistes, à Radio France, dimanche 7 novembre 2021.

C’est dans cette perspective que Péter Eötvös m’a accordé l’entretien qui suit.

Bruno Serrou 

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György (Georges) Cziffra (1921-1994) à Senlis en 1985. Photo : (c) Jean-Pierre Gilles

Entretien avec Péter Eötvös

« CZIFFRA PSODIA », CONCERTO POUR PIANO, CYMBALUM ET ORCHESTRE (2021)

Hommage au pianiste hongrois György Cziffra (1921-1994) pour le centenaire de sa naissance

 

Bruno Serrou : Quand avez-vous fait la connaissance de György Cziffra ?

Péter Eötvös : Je le connais depuis mon enfance. Un peu par hasard… Ma mère a étudié dans la même classe de piano que lui à l’Académie Franz Liszt de Budapest, dans les années 1930, chez Imre Keéri-Szántó (1884-1940). Plus tard, en 1950, Cziffra a été condamné, parce qu’il cherchait à quitter la Hongrie. Il a été arrêté par la police politique et condamné aux travaux forcés, cassant les pierres pour bâtir l’université à Miskolc, où nous habitions alors. Après un an et demi de ce régime, il a été libéré en 1953. Ma mère l’a recontacté pour lui proposer de me prendre pour élève, mais il a refusé, lui disant qu’il ne pouvait pas m’enseigner parce qu’il n’avait pas pu jouer pendant plusieurs années et que ses mains avaient beaucoup souffert. Du coup, ma mère l’a aidé à jouer du piano dans des bars, l’après-midi, parce qu’il a jugé que cela lui permettait de faire travailler ses mains. C’est ainsi qu’il a fait du café-concert en jouant la musique qu’il voulait, Schubert, Liszt, Chopin, et en improvisant plus ou moins. C’est ainsi que chaque après-midi il a pu travailler ses mains et retrouver ses marques. C’est là que j’ai pu l’entendre jouer.

 

B. S. : Comme travailleur de force, ses mains devaient être très abimées

P. E. : Il a fini par quitter Miskolc pour s’installer à Budapest. Il a joué dans plusieurs bars pour continuer de vivre avec le piano. Mais en même temps, nous savions que nous avions affaire à un génie, et nous avons essayé de lui trouver des concerts, ce qui s’est avéré impossible, jusqu’à ce que finalement, le 22 octobre 1956, la veille de la révolution, il a pu donner un concert, avec le Concerto n° 2 de Bartók. Il l’a si bien joué que le concert a fait l’objet d’un disque qui a été diffusé dans le commerce. Il était accompagné par l’Orchestre National de Hongrie, et il a joué en bis la Marche de Rákóczy de Berlioz. Le public était ravi, il l’a donc reprise une deuxième fois, puis une troisième, et le lendemain la révolution éclatait. Nous lui avons rendu visite, chez lui dans la banlieue de Budapest. J’avais 11 ans, en 1956, lorsque je l’ai rencontré. Il avait déjà son fils qu’il avait aussi appelé György, et sa femme Soleilka. C’est la dernière fois que je l’ai vu, mais je ne l’ai jamais vraiment entendu jouer en dehors des disques - j’ai tous ses disques. Après, il a quitté la Hongrie, et comme la vie est vraiment étonnante, ma femme Marika, qui a travaillé avec Cziffra dont elle organisait les cours à Senlis où il avait acheté en 1975 la chapelle royale Saint-Frambourg. Elle supervisait aussi les masters classes que Cziffra donnait en Hongrie sur les rives du lac Balaton en 1986 et 1987, trois ans après son premier retour en Hongrie en 1983. Si bien que ma future femme a eu beaucoup plus de contacts avec lui que moi. Cziffra est retourné en Hongrie dans les années 1980 sans pour autant s’y réinstaller, et lorsque j’ai reçu la commande d'un concerto en sa mémoire par le pianiste János Balázs, qui a également proposé à Radio France de participer à la commande aux côtés du Müpa Budapest, j’ai tout de suite accepté.

 

B. S. : Est-ce votre premier concerto pour piano ?

P. E. : J’en ai déjà écrit un, en 2005, pour le soixantième anniversaire de la mort de Béla Bartók. Il a pour titre Cap-ko. C’est Pierre-Laurent Aimard qui l’a créé, sur deux pianos, l’un acoustique l’autre électronique. Jugeant ce dispositif trop compliqué, je l’ai retravaillé dans une version pour deux pianos. Cette deuxième œuvre concertante pour piano n’est pas qualifiée de concerto mais son titre Cziffra Psodia, renvoie à la rhapsodie.

 

B. S. : Cette œuvre a donc la forme rhapsodique ?

P. E. : Oui, mais une rhapsodie-biographie, puisqu’elle conte la vie de Cziffra. Ici, ce n’est pas la virtuosité qui m’intéresse, mais l’aspect dramatique.

 

B. S. : Que conte donc cette Cziffra Psodia ?

P. E. : J’ai voulu transmettre les conflits, les vicissitudes, les combats, les souffrances de Cziffra. L’œuvre dure une vingtaine de minutes réparties en quatre mouvements, alors que la rhapsodie traditionnelle est en un seul mouvement. Cette structure m’est venue petit à petit, dans le fil de la composition. Quand j’ai fini le premier mouvement, la partition était vraiment terminée, dans mon esprit. Mais je me suis dit que non, que j’avais encore quelque chose à dire. J’ai décidé de continuer. Quand j’ai fini le deuxième, même chose. Toute la vie de Cziffra est marquée par le succès et la tragédie. C’est précisément l’atmosphère que j’ai essayé d’intégrer dans mon concerto, associant le rhapsodique et le dramatique.

 

B. S. : Quatre mouvements comme le Concerto n° 2 pour piano et orchestre de Johannes Brahms…

P. E. : Ah, toujours cette référence au XIXe siècle ! Mon concerto n'a rien à voir avec Brahms. Si ce n’est le drame. J’utilise certains éléments de la vie de Cziffra. Par exemple le bruit du marteau quand il cassait les cailloux que j’expose à la percussion. J’essaye d’éviter tous les éléments coloristes de sa virtuosité, bien que j’y mette une certaine virtuosité nécessaire mais elle est en fonction du contexte musical. L’orchestre est normalement pourvu. J’ai participé à une première répétition aujourd’hui [lundi 1er novembre 2021], ça commence pas mal mais je vais réduire le nuancier de l’orchestre. C’est trop fort. La première lecture est toujours trop forte. Ce doit être plus transparent à l’orchestre. Le pianiste est très bien préparé, il joue bien, alors la pièce me plaît. L’orchestration est de formation classique, bois par deux, quatre cors, tous les cuivres sont représentés, y compris le tuba, deux percussionnistes, plus le cymbalum. Cet instrument caractéristique de la Hongrie est important parce que le père de Cziffra avait été cymbaliste à Paris. C’est pour cette raison que fuyant la Hongrie il est venu à Paris après être passé par Vienne. Plus tard, il a reçu Senlis en cadeau où il a créé sa Fondation. Je connaissais aussi son fils, il est devenu chef d’orchestre, il a dirigé à Cologne, je l’ai contacté, mais il est mort brûlé vif dans l’incendie de sa maison. Après cette affreuse tragédie, Cziffra a arrêté de donner des concerts. Sa vie a vraiment été un drame, il a sombré dans l’alcool avant de reprendre le piano à la toute fin de sa vie.

 

B. S. : Que représente pour vous Cziffra ?

P. E. : Il est pour moi le successeur direct de Franz Liszt. Il en est même assez proche. Non pas comme compositeur, ce qu’il n’était pas, mais comme improvisateur. Dans ses capacités techniques, sa façon de jouer le piano était très proche de la façon lisztienne. Toutes ses transcriptions démontrent qu’il était même encore plus virtuose que Liszt. Ce n’était pas seulement la virtuosité mais la qualité de cette virtuosité. C’était d’un très haut niveau. C’est-à-dire non pas la vitesse, pas même la vélocité, mais la virtuosité au sens propre du terme.

 

B. S. : Sur le plan sonore, il avait une plénitude hors du commun…

P. E. : Sa sonorité est incroyable, en effet. Comme s’il jouait à quatre mains. C’était extraordinaire.

 

B. S. : Avez-vous mis des éléments des compositeurs qu’il aimait jouer ?

P. E. : Non, seulement des éléments biographiques. Quoique… J’en ai un peu mis dans les cadences. J’ai écrit quatre cadences. Une par mouvement. Car je pouvais enfin dire tout ce que je voulais. Ces cadences sont plus signifiantes que les passages avec l’orchestre. Le piano joue en permanence, du début à la fin. Il émet la première note et la dernière. J’ai intégré son prénom dans le matériau thématique, G-E-(Ö)-R-G-E-S (Sol-mi-ré-sol-mi-mi bémol), ce qui engendre une très belle mélodie, bien qu’elle soit courte. Elle est exposée par le cymbalum, je me suis fait plaisir à jouer avec ce thème. Il y a quelques dialogues entre le piano et le cymbalum, et j’ai la chance d’avoir ici le meilleur cymbaliste du monde, le Hongrois Miklós Lukács.

 

B. S. : Est-ce votre premier vrai concerto pour piano, alors que vous en avez écrit plusieurs pour les cordes ?

P. E. : J’ai en effet écrit trois concertos pour le violon, un pour le violoncelle, un pour alto, un pour trompette, un pour percussion…

 

B. S. : N’avez-vous pas envisagé un vrai concerto pour piano en raison de la densité du répertoire concertant pour cet instrument ?

P. E. : J’insiste sur le fait que Cziffra Psodia n’est pas un concerto mais une rhapsodie. Parce que l’œuvre est tellement thématisée sur la vie du pianiste tzigane. Si je concevais un concerto pour piano j’utiliserais un matériel différent.

 

B. S. : En avez-vous envie, de ce concerto ?

P. E. : Pas pour l’instant. Non. Je viens de terminer un concerto pour saxophone, qui va être créé à Cologne en janvier par Marcus Weiss, qui enseigne à Bâle, le suivant est pour harpe. Le genre concerto me plaît parce qu’il est populaire, et chaque concerto est pour moi le portrait de quelqu’un. C’est un peu comme si l’instrument soliste était un personnage d’opéra ou de monodrame.

 

B. S. : Vous avez très peu écrit pour orchestre seul…

P. E. : Oui. J’écris en ce moment une pièce qui s’intitule Silent Song, une autre qui a pour titre L’Aigle plane dans le ciel destinée à l’Orchestre de San Sebastian, et une troisième que j’aime particulièrement, A la victime sans nom qui a pour sujet le drame des migrants qui sont morts.

 

B. S. : György Cziffra est-il encore quelqu’un dont on parle en Hongrie ?

P. E. : Oui, il est omniprésent. Désormais, il est considéré de façon très positive. Il n’y a plus aucune difficulté dans le fait qu’il était tzigane, il est devenu quelqu’un qui représente la culture hongroise. En son temps, il y avait des obstacles contre le fait qu’il entre dans le domaine artistique parce qu’il était un peu à côté de la société hongroise dans le fait qu’il était tzigane, il était donc considéré avant tout comme un improvisateur. Mes deux solistes aussi sont tziganes. Aujourd’hui, la vie en Hongrie est meilleure pour les tziganes qu’elle l’était il y a dix ans.

 

B. S. : Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce concerto ?

P. E. : A peu près six mois. C’était durant la Covid-19, qui aura été le meilleur moment imaginable pour composer. J’ai beaucoup écrit, notamment un opéra, Sleepless, qui est créé le mois prochain à l’Opéra « Unter den Linden » de Berlin, et qui sera donné en mars prochain au Grand Théâtre de Genève. J’ai également écrit pendant la Covid-19 un concerto pour saxophone, une pièce pour ensemble, Cziffra Psodia… Beaucoup de choses. Parce que j'ai pu travailler tous les jours chez moi, n’ayant pas de voyages à faire. Ma Fondation a continué à recevoir des jeunes musiciens, mais je n’avais pas de déplacements, pas de restaurants, pas d’hôtels…

Recueilli par Bruno Serrou

Paris, Maison de la Radio, lundi 1er novembre 2021

1) Vient de paraître aux Editions MF un livre d'entretiens de Péter Eötvös avec Pedro Amaral consacré aux dix premiers ouvrages lyriques du compositeur chef d'orchestre hongrois, Parlando Rubato (368 pages, 18,00 €)

lundi 1 novembre 2021

Mort d'un géant : NELSON FREIRE, entré de son vivant dans la légende du piano, nous a quittés ce 1er novembre 2021

Nelson Freire (1944-2021). Photo : DR

NELSON FREIRE, l'un des plus grands pianistes de la seconde moitié du XXe siècle, est mort dans la nuit de dimanche 31 octobre à lundi 1er novembre en son domicile de Rio de Janeiro. Né à Rio de Janeiro le 18 octobre 1944, il venait de célébrer ses 77 ans. Fin octobre 2019, il s'était fracturé l'humérus au cours d'une chute dans une rue de sa ville natale, dans le quartier de Barra da Tijuca où il habitait. Cet accident dont il ne s'est jamais remis l'a contraint à annuler quantité de concerts, ainsi que sa participation au jury du XVIIIe Concours International de Piano Frédéric Chopin de Varsovie cet automne 2021. Son amie et complice de toujours, Martha Argerich, avait par solidarité renoncé à son tour à faire partie de ce même jury. 

En 2004, le magazine musical espagnol Scherzo me confiait une interview de Nelson Freire, qui était alors dans sa soixantième année. Le pianiste brésilien m’avait reçu en son domicile parisien, entre Champs-Elysées et Seine, dans la maison jumelle de celle de Martha Argerich, sa voisine, à qui une amitié complice le lie depuis de nombreuses années. Une amitié qu’il a évoquée avec plaisir, autant que son enfance brésilienne, ses études à Vienne, ses rencontres, son répertoire, sa façon de travailler, sa carrière... Malgré ses dix-sept ans, cet entretien reste d’actualité, bien que nous y évoquions des concerts, notamment la tournée qu’il s’apprêtait à effectuer en Espagne, et des enregistrements parus ou à paraître en ces années 2000-2005. 

Je la reprends ci-dessous.


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ENTRETIEN AVEC NELSON FREIRE


Bruno Serrou : Nelson Freire, comment fait-on pour être jeune pianiste au pays de la Samba, du Carnaval et du football ?

Nelson Freire : Le Brésil est un pays de grande tradition pianistique. Pensez à Magda Tagliaferro, notamment. Les musiciens brésiliens travaillent beaucoup en Europe, mon professeur, Lucia Branco, a étudié avec un élève de Franz Liszt. Les Brésiliens aiment énormément le piano. Il suffit de compulser affiches et programmes des saisons 1920-1930 pour s'apercevoir que tous les pianistes du monde sont venus au Brésil. Arthur Rubinstein y a donné dix-sept récitals de suite. Je dirai même qu’après le football, le piano est la deuxième passion du Brésil (rires).

B. S. : Le piano serait-il omniprésent, quels que soient les milieux familiaux et sociaux ?

N. F. : Il en était en tout cas ainsi dans ma jeunesse. Maintenant cela a un peu changé. Je suis né dans une petite ville où il n’y avait que deux pianos, un chez moi et un autre chez un voisin. Je suis devenu pianiste par hasard, car s’il n’y avait pas eu de piano chez moi, peut-être serais-je encore à Boa Esperanza (Bonne Espérance), où l’on a donné mon nom à une rue alors que j’avais tout juste dix ans. Ma famille y vit encore. J’étais le cinquième et dernier enfant de ma fratrie, et celui qui me précède a neuf ans de plus que moi. Mais j’ai bouleversé le destin de ma famille… A six ans, dès mes premiers essais, on a remarqué que j’étais doué. Ma sœur aînée jouait elle-même du piano, et j’ai très vite commencé à jouer d’oreille. On m'a cherché un professeur, mais il n’y en avait que dans la ville voisine qui était à quatre heures de route par autobus, les chaussées n’étant pas bitumées à l’époque. Cela faisait quatre heures aller, quatre heures retour. J’avais quatre ans à cette époque-là, et après douze leçons, ce professeur a appelé mon père pour lui dire qu’elle n’avait plus rien à m’apprendre, qu’il fallait prendre une décision : déménager ou tout autre choix qui me permette de continuer. C’est ainsi que ma famille s’est transportée à Rio de Janeiro, ce qui a changé la vie de tout le monde. A commencer par celle de mon père, qui, à l’origine, était pharmacien, et qui est devenu banquier.

B. S. : A Rio de Janeiro, vous êtes devenu l’élève de Lucia Branco…

N. F. : Elle était elle-même l’élève d’un élève de Franz Liszt et de Camille Saint-Saëns, le pianiste belge Arthur de Greef. Elle avait fait ses études à Bruxelles. Mais je ne l’ai pas eue pour professeur dès mon installation à Rio. Enfant prodige, je jouais tout, n’importe comment. Je jouais à ma façon. J’étais très rebelle ; je n’étais pas très communicatif, plutôt introverti. Tant et si bien qu’il n’était pas évident de me trouver un professeur. Nous sommes allés partout, et cela ne marchait pas. Au bout de deux ans, je suis tombé chez Lucia Branco. Elle m’a écouté...

B. S. : Pourquoi n’avez-vous pas été inscrit dans un conservatoire ?

N. F. : Je n’avais pas l’âge minimum requis. Et, bien que l’école de piano brésilienne soit magnifique, les conservatoires n’avaient pas bonne réputation, à juste titre, d’ailleurs. Les professeurs n’étaient pas brillants…

B. S. : Que représente pour vous le fait d’avoir été un enfant prodige ?

N. F. : Tout dépend des parents, des professeurs, de l’orientation que l’on veut prendre, etc. Je ne me considère pas prodige mais plutôt précoce. J’ai tout commencé très tôt, pas seulement la musique, mais aussi dans tous les domaines j’ai toujours été un peu en avance [rires]. J’ai appris à écrire à la machine avant d’écrire à la main, c’était donc déjà le clavier qui m’attirait [rires]. Mais le cas des enfants prodiges est toujours un peu triste, parce qu’ils sont mis un peu à part. J’étais déjà légèrement différent de tout le monde, mais on ne m’a pas traité en prodige. J’ai eu la même éducation que les autres enfants, on m’a mis au collège, on ne m’a pas forcé à travailler le piano, je devais lui consacrer deux heures par jour, pas davantage. Quand je vois les enfants qui passent quotidiennement huit à dix heures par jour sur leur clavier, je les plains, car on leur vole leur enfance. Le samedi et le dimanche je ne jouais pas, j’allais au cinéma ou à la plage.

B. S. : Le piano était donc naturel…

N. F. : Complètement !

B. S. : … Comme les autres matières ?

N. F. : Non, les autres matières ne m’étaient pas tellement naturelles ! Le piano, oui. Je m’y mettais sans qu’il soit nécessaire de me le demander.

B. S. : Sur le plan création musicale, il n’y a pas beaucoup de compositeurs, à l’exception notable de Heitor Villa-Lobos, contrairement à l’Argentine ?

N. F. : Il y a beaucoup de compositeurs brésiliens, comme Camargo Guanieri. Mais on le connaît très peu. Il est pourtant beaucoup venu en France. Il y a aussi Francisco Mignone, Carlos Gomez, Antonio Carlos Jobim, Jacob Do Bandolim, Baden Powell, Pixinguinba, Gismonti, Assad, Azevedo, etc. Même Heitor Villa-Lobos, son nom est connu mais son œuvre beaucoup moins.

B. S. : A quel âge avez-vous trouvé Lucia Branco ?

N. F. : J’avais sept ans. Elle m’écoutait, elle était très impressionnée. Elle a dit : « Ecoutez, l’enfant est très doué, c’est quelque chose de très spécial. » Elle a donc remarqué sur le champ que j’étais un peu bizarre parce que, sitôt après avoir joué, je me suis caché derrière le piano, sans un mot. Elle a alors dit : « Je connais quelqu’un, une élève, Nise Obino, qui commence à enseigner. Elle a trente-deux ans, elle est divorcée, elle est un peu bizarre aussi, et si cela marche, cela peut aller à merveille. » Et ça a très bien marché : ce fut le coup de foudre. Et là, j’ai recommencé à zéro. Madame Obino m’a tout appris, depuis le début, à poser chaque doigt sur les touches, etc. Après trois mois de ce régime, j’étais prêt. Je suis resté avec ce professeur puis avec les deux, Nise Obino étant devenue l’assistante de Lucia Branco. Je ne les ai quittées que lorsque je suis parti pour l'Europe, à l’âge de quatorze ans.

B. S. : Comment avez-vous appris la théorie ?

N. F. : J’ai tout appris enfant, presque seul. La clef de sol avec des religieuses, puis j’ai constaté qu’il existait une autre clef, ce qui m’a conduit à demander à ma mère comment la lire, et elle m’a répondu : « Il faut sauter une note. » Et je m’y suis mis.

B. S. : Vos deux premiers professeurs, toutes deux héritières de l’école Franz Liszt, que vous ont-elles apporté de particulier ? Vous ont-elles parlé de Liszt ? Vous qui vous réclamez de l’école de Liszt, que représente cette appartenance ?

N. F. : Je me souviens qu’à l’époque il y avait au Brésil beaucoup de l’école française. Elles me disaient quant à elles ; « Pour nous, cette école n’existe pas, seule existe l’école moderne, celle de Liszt ». Toute ma base vient de là. Ces professeurs étaient remarquables, très intelligentes et ouvertes.

B. S. : Qu’est-ce qui particularise la formation que vous avez reçue ?

N. F. : Tout était mélangé. Ce n’était pas seulement la technique, l’interprétation, le style, le son, le touché, legatostaccato. Tout était très important. Ce n’était pas faire des gammes à tout bout de champ pendant des heures, bêtement. Jamais. Toujours des choses très concentrées. Alors, comme je travaillais deux heures par jour, il fallait faire beaucoup de choses en peu de temps, approfondir nombre de styles différents. Pour mes premiers récitals, mon répertoire allait de Mozart à Chostakovitch. Chaque année, je donnais un récital différent. A onze ans, je me suis produit pour la première fois avec un orchestre. C’était dans le Jeunehomme de Mozart. A douze ans, je jouais l’Empereur de Beethoven.


B. S. : le Jeunehomme de Mozart, il y faut certes de la sensibilité, mais sa structure est plus classique et la technique moins complexe, mais l’Empereur

N. F. : Je vous l’ai dit, j'ai toujours été un peu précoce. Mon professeur Lucia Branco m’a dit : « Tu vas choisir maintenant entre le Quatrième et le Cinquième, parce que c’est là que Beethoven atteint son vrai génie. » Elle ne m’a pas dit le Premier, le Deuxième ou le Troisième, il fallait le Quatrième ou le Cinquième ! J’ai acheté les deux disques, et j’ai choisi l’Empereur.

B. S. : Vous aviez les doigts assez développés pour atteindre toutes les notes ?

N. F. : J’avais douze ans, mais mes mains avaient déjà atteint leur taille adulte. Je ne couvre pas beaucoup de notes, une dizaine. Mais je m’en sors.

B. S. : A treize ans, vous avez remporté avec l’Empereur le Concours de Rio de Janeiro l’année où Marguerite Long en était président du jury. Avez-vous pu vous entretenir avec elle ?

N. F. : Bien sûr. Elle m’a donné une bourse. J’ai encore la lettre où elle me l’a proposée, mais je n’en ai pas profité. Je ne l’ai pas acceptée parce que j’ai choisi d’aller à Vienne. Paris, c’était déjà un peu du passé. Vienne était très à la mode à l’époque, à cause de Friedrich Gulda, qui venait tous les ans au Brésil, où il a donné notamment des intégrales Beethoven. Tant et si bien que tout le monde se rendait à Vienne, dans les années cinquante.

B. S. : Et Lili Kraus, autre membre du jury ?

N. F. : Elle était très enthousiasmée par mon jeu. Elle applaudissait chacune de mes prestations, alors qu’un juré n’a pas le droit de le faire dans un concours. Elle criait « bravo », elle pleurait, elle montrait toutes ses émotions.

B. S. : Avez-vous pu travailler avec Friedrich Gulda, à Vienne ?

N. F. : Non, mais avec son professeur, Bruno Seidhofer. J’ai un peu côtoyé Gulda, mais pas beaucoup.

B. S. : Sans l’avoir assidûment fréquenté, avez-vous pris Gulda pour modèle de liberté, d’inventivité permanente face à la partition tout en restant fidèle à cette dernière ?

N. F. : Oui, et comme je vous l’ai dit il a influencé tout le monde au Brésil dans la décision d’aller à Vienne. Il était pour nous le pianiste le plus important de sa génération. Il a été un véritable pont entre les pianistes du passé et ceux d’aujourd’hui.

B. S. : A Vienne, qui avez-vous côtoyé, outre votre professeur ?
N. F. : La chose la plus importante qui me soit arrivée à Vienne est ma rencontre avec Martha Argerich. C’est là que nous nous sommes connus. Nous sommes très vite devenus des amis. Elle m’a beaucoup influencé. Nous avons depuis joué partout dans le monde. Mais on n’a jamais joué dans mon pays, au Brésil, et maintenant il paraît que cela va enfin se réaliser, en septembre 2004. Nous avons en revanche joué en Argentine, dans le cadre de son festival, à Buenos Aires.

B. S. : Vous jouez beaucoup, avec Martha Argerich.

N. F. : J’ai seulement enregistré quatre disques avec elle. En fait, je ne joue la musique pour deux pianos qu’avec elle, tandis qu’elle en fait avec beaucoup de pianistes. Devant faire beaucoup de choses, je n’ai pas le temps de me produire avec d’autres pianistes, et d’autant moins que j’aime jouer avec elle. C’est donc une chose très naturelle, et un grand plaisir.

B. S. : Comment travaillez-vous avec Martha Argerich ? Qui choisit les programmes ?

N. F. : Nous parlons ensemble. Nous nous rencontrons, discutons des œuvres que nous aimerions jouer ensemble. Ainsi, nous nous sommes vus à Genève il y quelques semaines. Ayant tenu voilà très longtemps deux des quatre pianos des Noces d’Igor Stravinski, nous nous sommes dit que nous pourrions les refaire dans le cadre de son festival de Buenos Aires…

B. S. : Comment vous distribuez-vous premier et second pianos, entre Martha Argerich et vous ?

N. F. : Ce n’est pas un problème. Nous nous les répartissons au gré de nos envies et les alternons.

B. S. : Faites-vous aussi de la musique de chambre ou seulement des duos ?

N. F. : Je fais des concerts avec des violoncellistes, comme Antonio Meneses, Misha Maisky, je fais aussi du quintette avec les Prazak. J’aime beaucoup faire cela. Mais plus je vieillis, moins j’ai le temps. C’est horrible. Je donne une soixantaine de concerts par an. Ce n’est pas insurmontable, du moins en apparence. Parce que, pour moi, c’est énorme. Je viens par exemple de jouer en deux mois sept concertos différents et un récital.

B. S. : Etait-ce des concertos de votre répertoire ou des œuvres nouvelles pour vous ?

N. F. : Je viens par exemple de faire l’Empereur et la Rhapsodie sur un thème de Paganini à Genève, je ne les avais pas joués depuis sept ans. Je ne suis pas très organisé, sinon je n’aurais pas laissé arriver des choses pareilles.

B. S. : Enseignez-vous ?

N. F. : Non.

B. S. : Est-ce là aussi une question de temps, ou n’est-ce pas essentiel à vos yeux ? Songez-vous à vous y consacrer plus tard ?

N. F. : Je ne sais pas. Je ne pense pas à ce que je ferai plus tard, mais aux choses prochaines. J’aime beaucoup écouter les gens, mais enseigner est une autre affaire. C’est plus stable, plus engagé, et il faut être quelque part aussi. Or, je suis partout et nulle part. Si quelqu’un dépend de moi, je ne peux pas lui demander de me rejoindre pour travailler où je me trouve. Et je déteste les master-classes. Je ne suis pas doué pour ça, car il faut beaucoup parler. Je dois dire aussi que, d’après ce que j’en ai vu, je ne trouve pas que les master-classes aident beaucoup celui qui les reçoit, mais plutôt qu'elles l’embrouillent. En revanche, j’aime écouter en privé, jouer, parler, connaître un peu les jeunes pianistes, cela est important. Dans une master-class on n’a pas le temps, il y a le public, alors on fait un étalage de ses connaissances, et je ne sais pas faire ce genre de rhétorique.

B. S. : Comment allez-vous à la quête d’œuvres nouvelles ? Avez-vous des spécialités, des goûts affirmés ?

N. F. : J’ai toujours eu horreur du mot «  spécialité ». J’adore Chopin, que je joue beaucoup, Schumann, mais j’aime aussi Beethoven, Mozart, Prokofiev, Villa-Lobos, Debussy, Mendelssohn. J’adore Brahms… La liste est donc assez longue. Je refuse d’être catalogué.

B. S. : Aimez-vous les récitals monographiques ou au contraire essayez-vous des construire des programmes éclatés en thèmes, en couleurs, en atmosphères, etc. ?

N. F. : J’élabore mes programmes en fonction des œuvres que je veux jouer. Cela m’amuse. Je suis comme Arthur Rubinstein qui disait « c’est comme un menu ». Il faut savoir mélanger les choses. Je suis moi-même un fin gourmet, et j’adore déguster, surtout les petits plats. Je mange avec beaucoup de gens. Particulièrement avec Martha. Et c’est horrible avec elle. Parce que nous sommes tous deux très jaloux, pas sur le plan musical ou autre, mais pour la nourriture, c’est terrible. Alors dès que nous sommes ensemble, elle a très peur, parce que sitôt qu’elle mange quelque chose, je commence par regarder ce qu’elle a dans son assiette, et  je veux goûter, var j’aime toujours le plat de l’autre [rires].

B. S. : Est-ce vous ou elle qui êtes aux fourneaux, ou cela se passe-t-il au restaurant ?

N. F. : Parfois nous sommes invités. Au Japon, c’était magnifique, parce que l’on nous conviait partout à de merveilleux repas, les gens sachant combien nous sommes gourmands. Je ne fais pas la cuisine, la seule chose que sache vraiment faire est de donner des idées. Et pas mauvaises, je dois dire. Je suis un peu chef d’orchestre, en matière de cuisine, mais je ne joue pas des instruments. Je coupe la viande, j’assiste. Elle non plus ne fait pas grand chose. Elle exagère un peu, elle met beaucoup d’épices, mais elle fait très bien les salades, les œufs, que j’appelle « œufs à la Martha », qu’elle mêle d’oignons, de tomates, etc., et c’est très bon. J’ai essayé d’appliquer cette recette mais ce n’est pas la même chose [rires].

B. S. : Avez-vous choisi de vous installer à Paris à cause des restaurants ?

N. F. : Non. Parce que je trouve que l’on ne mange pas si bien que ça à Paris. En la matière, je préfère largement l’Italie !

B. S. : Touchez-vous à la musique espagnole… ?

N. F. : J’adore la musique espagnole ! Granados, Albeniz. J’en fais peu, mais j’aimerais jouer un peu plus Iberia et des choses comme celles-là.

B. S. : Pourquoi le faites-vous peu ?

N. F. : On ne peut pas tout faire. Le répertoire pour piano est si vaste.

B. S. : Et la musique d’aujourd’hui ?

N. F. : Là, ce n’est pas que je n’ai pas le temps, mais il y a tellement de choses que je voudrais faire. Les Etudes de Ligeti sont très bonnes, j’aimerais les jouer, oui…

B. S. : On ne vous demande pas de les jouer par cœur… A ce propos, est-il, à vos yeux, indispensable de jouer sans partition ?

N. F. : Jouer avec partition ne me gêne pas, et en général les gens me disent ne pas être gênés non plus. Sviatoslav Richter, qui, à la fin, jouait tout avec partition alors qu’il connaissait les œuvres par cœur, a déclaré dans une interview : « Si j’avais fait cela toute ma vie, j’aurais joué beaucoup plus de choses. » Parce que, parfois, on ne joue pas à cause de ce problème. Un chef d’orchestre dirige avec la partition, la musique de chambre se fait avec la partition, pourquoi devons-nous toujours jouer par cœur au piano ?

B. S. : Comment travaillez-vous une œuvre que vous souhaitez inscrire à votre répertoire ?

N. F. : C’est difficile à expliquer. Je lis d’abord la partition, puis je me mets directement au piano. Ce qui me fascine, c’est de lire des choses nouvelles. J’ai développé une très bonne lecture. La première étape n’est donc pas un problème pour moi. C’est après que cela devient difficile.

B. S. : Comment définissez-vous votre style ?

N. F. : Je pense que pour un interprète, le plus important est le compositeur. Je ne pense pas beaucoup à moi, à ce que je veux faire. Je pense d’abord à la façon dont cela devrait sonner du point de vue du compositeur. Alors là je commence à échanger, à définir, à débattre avec le compositeur, jusqu’à ce que nos points de vue deviennent une idée unique. Il y a le son, la couleur, le phrasé, les rythmes, la forme, les détails, le stimmung (l’ambiance, l’atmosphère), les visages. Chaque œuvre est comme une personne. Il faut donc aussi lui donner une physionomie. C’est un peu tout cela que j’essaie de mettre en valeur. Le piano doit s’effacer au profit de la musique. Si la musique est symphonique, il faut la jouer symphoniquement, si elle chante, il faut la chanter, etc. Avec Debussy, il faut faire du son ; sa musique est couleur, il faut faire de la couleur. Contrairement à Stravinski, je ne pense pas que le piano soit seulement de la percussion. Chopin ne le considère pas ainsi, par exemple. Le piano peut être joué de multiples façons. Brahms c’est la symphonie, Chopin c’est le canto, le rubato, Schumann c’est l’atmosphère, l’émotion, la narration... On peut tout faire, sur un piano.

B. S. : Avec Schumann, c’est avant tout la miniature, ce qui doit être difficile à jouer ; il faut tout dire en trois minutes…

N. F. : J’aime ça, parce que j’aime passer d’une chose à l’autre, sans transition. C’est naturel, chez moi. Schumann se situe à l’opposé de Beethoven, que j’aime beaucoup aussi. Avec le piano, on a la chance de pouvoir aimer beaucoup de choses distinctes, et on peut passer dans différents mondes. C’est un peu comme un acteur. Ce qui explique pourquoi je ne peux me définir par rapport à un répertoire donné. Peut-être qu’il se trouve des gens qui peuvent dire que je suis mieux dans tel ou el répertoire, mais je n’ai pas quant à moi d’idée précise. Sinon je me limiterais, alors que j’aime à penser qu’il y a toujours des possibles à explorer.

B. S. : Etes-vous encore comme lorsque vous étiez enfant quelqu’un qui n’a pas besoin de beaucoup travailler avant vos concerts ?

N. F. : J’ai tout joué avec facilité, mais avec le temps les choses deviennent beaucoup plus difficiles. J’en ai parlé avec Martha. Elle aussi a la même sensation. Peut-être voulons-nous plus de choses, sommes-nous plus exigeants. En tout cas, nous sommes plus conscients. Quand on est plus jeune, que l’on a des facilités et que l’on est « musical », on fait beaucoup instinctivement. Mais après, l’instinct ne suffit plus, il faut aussi être conscient. Il est aussi nécessaire de se renouveler, sinon ce n’est pas la peine de reprendre les œuvres. Mais c’est aussi ce qui est magnifique dans l’art en général et dans la musique en particulier.

B. S. : La maturité venue, avez-vous toujours des modèles, des références vers lesquels vous voulez tendre ?

N. F. : J’adore les pianistes du passé Hofmann, Rubinstein, Horowitz, mais aussi Artur Schnabel, Wilhelm Kempff, Wilhelm Backhaus, Walter Gieseking… Ce sont tous des artistes de la même génération, à peu près.

B. S. : Ne croyez-vous pas qu’il y a trop de pianistes, aujourd’hui ?

N. F. : Il y a trop de tout, aujourd’hui.

B. S. : Le Festival de La Roque d’Anthéron amène chaque année son lot de jeunes pianistes inconnus, qui disparaissent ensuite plus ou moins rapidement, mais qui enrichissent chaque édition du festival, qui dure ainsi toujours plus longtemps à chaque édition et suscite un nombre de concerts et de récitals en constante progression.

N. F. : Au moins, René Martin fait quelque chose de nouveau, parce que sinon la formule traditionnelle du concert aurait tendance à s’épuiser un peu, les concerts, les abonnements. Avec La Roque d’Anthéron et La Folle Journée, il fait des choses qui attirent beaucoup de monde. Avec lui, il y a un monde fou qui vient écouter la musique d’une autre façon. Quant aux jeunes pianistes, il leur offre les moyens de s’exprimer, de se faire remarquer en sortant du lot des lauréats des trop nombreux concours, formule qui s’épuise également. Chaque année, je ne sais combien de jeunes pianistes gagnent des concours Martha fait ça aussi, au Japon, à Lugano, en Argentine.

B. S. : Et vous ne le faites pas, vous aussi ?

N. F. : Nous voulons le faire ensemble, au Brésil.

B. S. : Et vous, en solo ?

N. F. : Tout seul ? [Rires.] Je ne veux pas de responsabilité [rires]. Martha a des gens qui l’aident, mais la pauvre a beaucoup à penser, et elle aime faire beaucoup de choses qui lui occupent l’esprit. Je ne suis pas comme elle, quand j’ai un peu de temps j’aime aller chez moi, à Rio. Le fait d’y être me suffit. Je vais me promener au Brésil, et j’aime aussi rester dans ma maison, où j’ai quatre chiens. Je vais tous les jours me promener sur la plage, je vais au cinéma. Je suis un cinéphile. Je lis peu, en dehors des partitions.

B. S. : Aimez-vous l’opéra ?

N. F. : Pas tellement. J’aime plutôt la musique d’orchestre et de chambre.

B. S. : Vous avez joué avec les grands chefs d’orchestre, Eugen Jochum, Rudolf Kempe, Vaclav Neumann, Pierre Boulez, Lorin Maazel, Charles Dutoit…

N. F. : Récemment Riccardo Chailly, que j’aime beaucoup. Je viens de jouer avec lui, et depuis deux ans nous avons donné beaucoup de concerts ensemble. On a fait une tournée avec le Deuxième de Rachmaninov, puis le Deuxième de Brahms avec le Concertgebouw, le Deuxième de Chopin ensuite. Maintenant il est à Leipzig, où on doit en principe enregistrer les deux Concertos de Brahms. Mon chef préféré est Rudolph Kempe, qui parlait très peu. Ce que j’appréciais particulièrement, parce que nous n’avions pas besoin de verbaliser les choses. Nous nous mettions directement dans l’œuvre et nous jouions. Je suis beaucoup produit en sa compagnie. Ensemble, nous avons effectué des tournées en Amérique, en Allemagne. C’est avec lui que j’ai fait mon premier disque, les Concertos de Schumann et de Grieg et la Totentanz de Liszt, pour CBS. Nous l’avons bouclé en quatre séances, et c’était la première fois que nous nous voyions... Il ne m’a pas demandé de jouer pour lui avant d’enregistrer, ni même demandé la façon dont j’envisageais les choses. J’adorais ça. En effet, cela m’agace un peu d’entendre chef me demander « comment faites-vous ça ? » Peut-être le fais-je, peut-être pas. Cela dépend. Je fais une générale et le concert. En revanche, avec Chailly, nous parlons beaucoup, mais j’aime cela parce qu’il est très intéressant. Il parle aussi énormément avec l’orchestre, et quand il aime, il dit qu’il aime ; il est très extraverti. Ce qui est très stimulant. Mais quand les chefs ont plus ou moins un comportement de kapellmeister, ce n’est pas très agréable. Je ne suis pas timide, mais un peu réservé. Mais quand je suis avec des intimes, je peux être très festif.

B. S. : Avez-vous des jeunes pianistes que vous appréciez particulièrement ?

N. F. : Oui. Grigori Sokolov, Mlkhail Pletnev, Piotr Andrzejewski. L’école russe est formidable pour le piano. Depuis toujours. Il paraît même que lorsque les bébés russes mettent une main sur un piano, celui-ci résonne déjà avec un son de meilleure qualité que chez bien des professionnels du monde entier [rires]. Ce que j’aime chez les Russes, c’est justement la sonorité. De fait, la technique c’est le son, le contrôle du son.

B. S. : Au Brésil, le piano est-il resté ce qu’il était dans votre jeunesse ?

N. F. : Pas tout à fait. Mais il y a tout de même des jeunes un peu partout dans le pays. Il y a par exemple un jeune homme de dix-neuf ans qui habite à Vienne et s’appelle, Luis Gustavo. Il y en a un autre très doué, Giancarlo Cucarelli, mais il est devenu moine...

B. S. : Sur le plan discographique, vous n’êtes guère prolixe.

N. F. : J’ai passé en effet vingt-cinq ans sans enregistrer de disque en solo. Ce n’est pas un choix, mais peut-être me suis-je arrêté parce que l’on me proposait des intégrales, et je ne me sentais pas à l’aise. Dans l’intervalle, j’ai fait quelques disques avec Martha. Mais finalement Decca s’est approché. Alors on va voir comment les choses vont évoluer.


B. S. : Vous n’êtes donc pas un inconditionnel des intégrales. Préférez-vous porter votre attention sur un certain nombre d’œuvres d’un compositeur qu’embrasser la totalité de son œuvre ?

N. F. : Chez Mozart, j’ai quelques sonates et quelques concertos. J’adore pourtant Mozart. Je ne joue pas beaucoup d’œuvres de lui, mais celles que je possède à mon répertoire, je les donne souvent. Haydn me touche moins. J’aime Schubert, mais je le joue peu. Je pense néanmoins que cela va venir. Je ne me sentais pas encore prêt. Liszt, les concertos, la sonate, les quatrième et cinquième rhapsodies. Brahms en revanche, j’en fais beaucoup, IntermezziRhapsodies, deux Sonates. A quatorze ans, Brahms était mon compositeur favori, si bien que j’ai tout déchiffré de lui, et en public j’ai fait les sonates, les rhapsodies, les deux concertos, quelques Intermezzi, le quintette, les trios.

B. S. : Quelle œuvre avez-vous jouée sous la direction de Pierre Boulez ?

N. F. : Le premier concerto de Béla Bartók. J’en garde un excellent souvenir. Nous l’avons donné deux fois, mais c’était il y a très longtemps, en 1969, à Los Angeles et à Cleveland. J’aimerais aussi parler de l’Espagne.

B. S. : Allons-y.

N. F. : En fait, c’est là où j’ai commencé ma carrière. Parce que mon premier impresario était le vieux Don Ernesto de Quesada, qui avait aussi été le premier impresario de Rubinstein, quand il a commencé en Espagne. Je m’y suis ainsi produit pour la première fois en 1965. J’y ai fait depuis beaucoup de tournées, et je garde d’excellents souvenirs. J’ai joué un peu partout, beaucoup à Valence, Madrid, Barcelone, Las Palmas. J’ai donné au cours de cette première tournée notamment Waldstein, que je jouais beaucoup à l’époque, Toccata et Fugue de Bach, Visions fugitives de Prokofiev, la Sonate en si mineur de Chopin, les sonates de Brahms, Mozart, Liszt, beaucoup de choses. Depuis cette première tournée, l’Espagne a beaucoup changé, et compte quantité de salles de concert et d’opéra toutes plus magnifiques les unes que les autres.

B. S. : Le DVD est-il important pour la postérité comme témoignage visuel du jeu d’un pianiste ?

N. F. : C’est très intéressant. J’aime beaucoup regarder les artistes jouer. D'aucuns disent qu’écouter suffit. D’accord, mais il est très intéressant de regarder le jeu en tant que tel. C’est une chance par exemple que Horowitz ait fait beaucoup de vidéos. Il me fascinait, mais, à l’époque où j’étais enfant, il ne se produisait pas sur scène. Tant et si bien que je me demandais comment il jouait…

Recueilli par
Bruno Serrou
Paris, samedi 14 février 2004