vendredi 5 novembre 2021

Commande de l’Opéra Comique, « Les Eclairs » de Philippe Hersant cumule les archétypes de l’opéra états-unien

Paris. Opéra Comique. Mercredi 4 novembre 2021

Jean-Christophe Lanièce (Gregor), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Ethel Axelrod). Photo : (c) S. Brion

Pour son troisième opéra après Le château des Carpathes créé à l’Opéra de Montpellier en 1992, et Le Moine noir, commande de l’Opéra de Leipzig en 2006, tous deux nés sous l’impulsion d’Henri Mayer directeur de ces deux institutions, Philippe Hersant (né en 1948) s’est vu confier par Olivier Mantei, alors qu’il était encore directeur de la salle Favart, la mise en musique d’un livret du romancier Jean Echenoz, Prix Goncourt 1999, tiré de sa nouvelle Des Eclairs paru en 2010 inspiré de la vie de Nikola Tesla (1856-1943), ingénieur électricien états-unien d’origine serbe inventeur du courant alternatif qui a inspiré à Martien Eberhard et Marc Tarpenning Elon Musk le nom de leur entreprise d’automobiles électriques Tesla qu’ils ont fondée en 2003.

Jean-Christophe Lanièce (Gregor). Photo : (c) S. Brion 

Romancée par Jean Echenoz, la vie de Tesla devenu Gregor commence dans l’opéra après son arrivée aux Etats-Unis en 1882, et conte ses mésaventures face à son rival Thomas Edison, qui fait tout son possible pour l’acculer à l’échec dans son appétence à sauver le monde. En brossant ce voyage dans le temps, Jean Echenoz peint cette Amérique de la fin du XIXe siècle jusqu’au début des années 1940 où tout était possible à condition de prendre des risques, et s’interroge sur la nécessité du progrès pour le bien de l’humanité mais aussi ses dangers face à l’argent. L’utopie de Gregor/Tesla, qui aura cherché à la toute fin de sa vie à communiquer avec les Martiens, se confronte violemment au pragmatisme d’Edison, qui accule son rival à opter pour l’isolement dans un ermitage du Colorado et lui rendra de nouveau la vie impossible après son retour à New York. L’indifférence de son héros à l’égard des femmes au profit de la nature et plus particulièrement des oiseaux, conduit le compositeur à user et à abuser de chants et de cris de volatiles, autant au synthétiseur qu’aux instruments à vent de l’orchestre, mais sans le génie d’un Olivier Messiaen.

Jean-Christophe Lanièce (Gregor), membres de l’ensemble Aedes. Photo : (c) S. Brion

A l’écoute de cette partition, l’on reste dubitatif tant il s’y trouve de références à l’histoire de l’opéra nord-américain, de Scott Joplin à Philip Glass, de Samuel Barber à Carlisle Floyd, de George Gershwin à John Wiliams. L’on y trouve aussi Antonin Dvořák et sa mélodie indienne de la Symphonie « du Nouveau Monde », le jazz d’Errol Garner et Chet Baker, des renvois aux sonorités des Balkans à l’aide d’un clavier électronique, le tout orchestré avec talent, il faut en convenir, chaque protagoniste étant incarné par un instrument spécifique, Les Eclairs sont remarquables tant il s’y trouve peu d’apports personnels, ces derniers étant écrasés par citations, collages, imitations qui frisent parfois le pot-pourri, ce qui situe Hersant très loin de ce qu’offre à entendre par exemple un Philippe Boesmans, qui pour sa part sait se faire original jusque dans la façon dont il puise dans le passé. Comme pour mieux étayer la thèse de la peur face au progrès, centre de ce « drame joyeux » selon le sous-titre de l’œuvre, et qui semble terroriser Philippe Hersant à tel point qu'il conçoit une musique inexorablement ancrée dans le passé, sans une once de créativité, car même l’usage d’une série dodécaphonique renvoie à l’histoire de la musique...

Jean-Christophe Lanièce (Gregor), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Ethel Axelrod). Photo : (c) S. Brion

Autant que j’ai pu en juger depuis la place de côté que m’avait attribuée le service de presse (je découvre une partie de la scénographie en intégrant les photos dans le cours de ce compte-rendu), la mise en scène de Clément Hervieu-Léger sert au plus près l’action et ses nombreux changements de décors signés Aurélie Maestre, judicieusement éclairés par des lumières glaciales et métalliques de Bertrand Couderc, effectués à vue par de nombreux mouvements de praticables déplacés par des techniciens aguerris vêtus de noir, et évoque de façon simple mais claire l’Amérique du début du XXe siècle, avec les gratte-ciels de New York ou les montagnes du Colorado, et jusqu’au tableau reconstituant la première exécution de l’Histoire par la chaise électrique « mise au point » par Edison qui rappelle combien cet appareil de torture est une abomination dans une scène qui est le nœud de l’œuvre rappelant combien les avancées scientifiques et technologiques ont de corolaires négatifs dans l’horreur et l’inhumanité.

François Rougier (Norman Axelrod), Jean-Christophe Lanièce (Gregor), André Heyboer (Edison), Elsa Benoit (Betty). Photo : (c) S. Brion

Gregor/Tesla est brillamment interprété par le baryton Jean-Christophe Lanièce, qui campe de sa voix soyeuse tous les aspects de la personnalité du personnage, idéaliste naïf et inconstant mais tout en élégance. Son admiratrice inconditionnelle Ethel Axelrod est incarnée avec exaltation par la mezzo-soprano Marie-Andrée Bouchant-Lesieur à la voix pleine et chaude, le ténor François Rougier est un Norman Axelford au caractère raffiné, la journaliste du New York Herald Betty est campée avec délicatesse par la soprano au timbre délicieux Elsa Benoît, le baryton Jérôme Boutillier impose sa voix de bronze et sa diction parfaite dans le rôle de Parker/George Westinghouse, le baryton-basse André Heyboer donne toute la noirceur du méchant de service, Thomas Edison, seul protagoniste de l’opéra à avoir gardé son vrai nom. L’excellent Chœur Aedes de Mathieu Romano commente et participe activement à l’action, autant individuellement que collectivement.

Jean-Christophe Lanièce (Gregor). Photo : S. Brion

L’orchestration de la partition d’Hersant offre aux pupitres solistes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France l’occasion de briller, particulièrement les cuivres (malgré quelques approximations dans les attaques des cors), jusqu’au tuba, mais aussi les cordes, surtout l’alto, et la percussion. Ariane Matiakh dirige le tout avec conviction et enthousiasme, donnant avec allant l’impulsion dramatique à l’ensemble de l’orchestre, des chanteurs solistes et du chœur, se délectant clairement de l’écriture du compositeur.

Bruno Serrou

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