lundi 16 décembre 2013

Olivier Py et Jérémie Rohrer offrent des Dialogues des Carmélites de Poulenc d’une bouleversante intensité

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, dimanche 15 décembre 2013

Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Mise en scène Olivier Py, scénographie Pierre-André Weitz. Photo : (c) Vincent Pontet-WikiSpectacle, DR

Pour clore l’année du cinquantenaire de la disparition de Francis Poulenc, mort le 30 janvier 1963, le Théâtre des Champs-Elysées, à l’instar de plusieurs théâtres lyriques français, a porté son dévolu sur le chef-d’œuvre du compositeur, Dialogues des Carmélites. Il en a confié la production au plus mystique des metteurs en scène français, Olivier Py, qui signe ici disons-le tout de suite, l’un de ses spectacles les plus accomplis.

Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Patricia Petibon (Blanche de La Force). Photo : (c) Vincent Pontet-WikiSpectacle, DR

C’est à Milan, en mars 1953, trois ans après la mort de Georges Bernanos, que le directeur des Editions Ricordi suggère à Poulenc la pièce de ce dernier, Dialogues des Carmélites. « Trois jours plus tard, se souvenait Poulenc, j’achète le livre à Rome : quel choc ! Tout de suite, j’ai eu, comme disait notre Colette, ’’les pieds pris’’. En juin, dans le train entre Paris et Brive, je ’’découpais’’ le texte, au crayon. » Poulenc ne touchera ni n’ajoutera le moindre mot, se contentant de couper des répliques, alléger des scènes, supprimer des tableaux. « On ne profane pas un texte pareil », convenait-il. Se présentant davantage sous forme de scénario, mis en pièce de théâtre en 1952 par Jacques Hébertot, le texte de Bernanos s’inspire du roman historique allemand La dernière à l’échafaud de Gertrud von Le Fort. Commencée en août 1953, la partition est achevée en juin 1956. L’ouvrage est créé en italien à la Scala de Milan, le 26 janvier 1957, puis dans sa version originale, à l’Opéra de Paris, le 21 juin suivant. A ceux que le choix d’un tel sujet surprenait, Poulenc répondait : « C’est mal me connaître que de s’étonner de ma collaboration avec Bernanos. Sa conception spirituelle est exactement la mienne et sa violence répond parfaitement à un côté total de ma nature, qu’il s’agisse du divertissement ou de l’ascèse. » En effet, cette œuvre, qui plonge dans la vie conventuelle et se fonde sur un livret particulièrement austère, s’avère au bout du compte un véritable opéra. La musique de Poulenc magnifie le contenu spirituel du texte de Bernanos et lui donne une réelle carnation, unissant le pathétique à la retenue, la grâce au dénuement.

Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Mise en scène Olivier Py, scénographie Pierre-André Weitz. Photo : (c) Vincent Pontet-WikiSpectacle, DR

C’est précisément ce qu’a magnifié Olivier Py. A enchaîner les nouvelles productions à l’Opéra de Paris, et les reprises, à La Monnaie de Bruxelles, on a pu croire le metteur en scène comédien dramaturge en panne d’inspiration, plus capable de se renouveler. Or, il n’en est rien, tant la réussite est magistrale, rehaussée par une scénographe Pierre-André Weitz qui est pure merveille. Dans un décor superbe de simplicité et signifiant digne d’un carmel, au dégradé de gris, à l’instar des costumes, la direction d’acteur au cordeau donne sa dimension et sa personnalité à chacun des personnages. L’agonie de la première Prieure telle un Christ en croix recouverte d’un linceul sur un lit entouré d’une table de nuit et d’une lampe fixés sur un mur, le tout de couleur blanche, les apparitions de la crèche aux moments cruciaux, celle de la Cène reconstituées par des femmes, le sacrifice de l’Agneau, le finale sur le plateau nu donnant sur un ciel nocturne étoilé vers lequel les carmélites vêtues de longues chemises blanches s’éloignent les unes après les autres au son de la guillotine, sont quelques-uns des moments les plus bouleversants d’une mise en scène qui n’en est pas avare. Jérémie Rohrer, qui connaît parfaitement la fosse du Théâtre des Champs-Elysées (Don Giovanni en avril-mai dernier (30/04)), est en totale adéquation avec le plateau, traduisant les non-dits des protagonistes, leurs sentiments profonds, galvanisant une Philharmonia Orchestra aux sonorités sombres et miroitantes, ne couvrant jamais les voix, même dans les moments les plus dramatiques. 

     Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites. Mise en scène Olivier Py, scénographie Pierre-André Weitz. Photo : DR

L’extraordinaire réussite de ces Dialogues est aussi due à une distribution magistrale, emmenée par Patricia Petibon, qui, en Sœur Blanche de l’Agonie du Christ, porte les moindres intentions du metteur en scène qui la connaît bien pour l’avoir dirigée dans Lulu de Berg à Genève, au point de les faire siennes pour les transcender, en comédienne accomplie pourvue d’une voix charnelle au timbre lumineux. Tour à tour exaltée et modeste, docile et rebelle, cassante et fragile, la novice entrée au carmel pour échapper au monde extérieur qui l’effraie est poignante de vérité. Autour d’elle, la noble Madame Lidoine de Véronique Gens, intègre et généreuse, à la vocalité étincelante, l’ardente Mère Marie éperdue de martyre de Sophie Koch, la Sœur Constance tendre et rêveuse de Sabine Devieilhe, qui a superbement remplacé Sandrine Piau, souffrante, en incarnant un être d’une pureté et d’une profondeur ineffable. 

Olivier Py présentant à Patricia Petibon, Matthieu Lécroart et Sandine Piau l'ouvrage que mon père consacra avec le photographe Pierre Vals au Carmel paru chez Pierre Horay en 1955, deux ans avant la création de l'opéra de Poulenc. Photo : Patrick Messina

L’agonie de Madame de Croissy est l’un des sommets de l’opéra. L’exhortation blasphématoire de la Prieure épouvantée par la perspective de la mort, d’une violence insoutenable, déforme la voix et altère la ligne de chant d’une Rosalind Plowright hallucinante de douleur et d’effroi. Réduits à la portion congrue, les hommes n’en déméritent pas pour autant, avec un Philippe Rouillon émouvant Marquis de La Force, et, surtout, un Topi Lehtipuu dont la voix de ténor mozartien rayonne dans la figure du Chevalier de La Force. Les autres rôles sont tout aussi méritants, ainsi que le Chœur du Théâtre des Champs-Elysées dirigé par Alexandre Piquion.


Bruno Serrou

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