mercredi 23 décembre 2020

Portrait de Debora Waldman, directrice musicale de l’Orchestre National Avignon-Provence

Debora Waldman. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

Première directrice musicale d’un orchestre national français, Debora Waldman est une femme heureuse, bien dans sa tête et dans sa peau, si bien qu’il émane de sa personne à la fois autorité et empathie

                                       Debora Waldman. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

A 43 ans, Debora Waldman est une chef d’orchestre épanouie et maître de son art. En effet, c’est le plus naturellement du monde qu’elle exerce ce qu’elle considère comme sa vocation, la direction d’orchestre. « La seule chose que m’ait valu le fait d’être femme est que ma carrière a évolué deux fois moins vite que celle de mes collègues masculins. Mais depuis 2019, les femmes chefs d’orchestre sortent enfin du bois, alors qu’elles sont là depuis déjà pas mal de temps… Rappelons-nous Nadia Boulanger. » Il faut dire que sa mère, guitariste comme son père, avait fondé son propre orchestre en Argentine. C’est d’ailleurs elle qui mit le pied à l’étrier à sa fille, qui se destinait alors à la profession d’avocat. Elle intégra sa fille, qui pratiquait la flûte et le piano, comme bibliothécaire-régisseur-flûtiste, avant de lui donner sa chance en la faisant diriger à 17 ans un bis à la fin d’un concert public. Aujourd’hui, Debora Waldman est à la tête d’un orchestre national en région, l’Orchestre National de Région Avignon-Provence. « Il y a dix ans qu’une femme occupe un tel poste en Allemagne, remarque-t-elle. En France, il a fallu attendre 2019 ! »

       Debora Waldman et l'Orchestre National Avignon-Provence. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

Née en 1977 à Sao Paolo où son grand-père paternel s’était exilé depuis la Pologne en 1939, ayant grandi dans un kibboutz en Israël avec sa mère qu’elle suit adolescente en Argentine, où elle étudie à l’Université catholique de Buenos Aires, Debora Waldman découvre Paris en 2001 lors d’une escale entre deux avions qui la ramenaient d’Israël vers l’Argentine. Elle décide immédiatement de s’y installer, s’inscrit à l’Ecole normale de musique puis se présente au concours d’entrée au CNSM de Paris, où elle est l’élève de Michael Levinas (analyse), Janos Fürtz et François-Xavier Roth (direction). De 2006 à 2009, elle est l’assistante de Kurt Masur à l’Orchestre National de France. « Je me suis présentée au concours avec la ferme intention de le remporter. Ce que j’ai fait ! J’ai été fort bien accueillie par tout le monde, le directeur musical, le délégué artistique, les musiciens. J’étais aux côtés du maestro à toutes les répétitions. Alors que j’étais censée faire travailler l’orchestre en son absence, il était toujours là. J’ai donc appris de lui. Néanmoins, il m’a demandé deux fois de prendre en charge une répétition, la première au Théâtre des Champs-Elysées, la seconde à Athènes, afin qu’il puisse tester l’acoustique. Ce qui m’a rassurée est que les deux fois il n’a pas repris les passages que j’avais travaillés, les estimant acquis. » A l’instar de sa mère, elle fonde en 2013 son propre ensemble, l’Orchestre Idomeneo, qui joue indifféremment sur instruments anciens et modernes et avec lequel elle bâtit des programmes symphoniques et lyriques particulièrement élaborés. Elle participe également au projet Demos de la Philharmonie de Paris depuis 2010, se plaît à découvrir des œuvres de compositeurs du passé, plus particulièrement des compositrices, assurant notamment la création mondiale de la symphonie Grande Guerre de Charlotte Sohy (1887-1955) avec l’Orchestre Victor Hugo Franche Comté en 2019. Dans le domaine lyrique, elle a dirigé Rita de Donizetti au Brésil, Madame Butterfly, Aïda, la Flûte enchantée et Don Giovanni en France. Elle devrait retrouver ce dernier ouvrage cette saison à l’Opéra d’Avignon…

   Debora Waldman et l'Orchestre National Avignon-Provence. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

Debora Waldman a été choisie par la formation avignonnaise parmi cent soixante dix candidats pour prendre la succession de Samuel Jean. « Elle a présenté le meilleur projet, à la fois sur les plans artistique, pédagogique et territorial », se félicite Philippe Grison, directeur général de l’Orchestre National de Région Avignon-Provence. « Ce qui est difficile dans la direction d’orchestre, constate Debora Waldman, est de convaincre les musiciens à abonder dans notre sens en acquérant leur adhésion. Il faut avant tout s’entendre avec les musiciens, en créant une osmose autant artistique qu’humaine afin d’aller dans la même voie et de toucher ainsi la perfection. » Debora Waldman entend élargir le répertoire de l’orchestre, notamment aux compositrices. « Je souhaite inviter le public à une écoute active, avec un fil conducteur pour tout un concert voire une saison entière, des cycles de promenades musicales introduites par des conférences. J’entends aussi créer des résonances entre les nouveaux publics et le monde symphonique, développer la diffusion sur le territoire régional et les coproductions, ainsi que la création contemporaine. » 

Orchestre National Avignon-Provence. Photo : (c) Orchestre National Avignon-Provence

A la tête de cet orchestre de quarante musiciens depuis le 1er septembre 2019, sa première saison a été plombée par la pandémie de la Covid-19 qui a conduit la première des trois saisons de son contrat avignonnais réduite à peau de chagrin. Après avoir dirigé quatre concerts hors saison durant l’été, son premier concert d’abonnement a dû être diffusé en streaming sur le site Internet de l’orchestre (1) et sur son Facebook. « Sans public mais devant des caméras, on enregistre des podcasts, filmant tout un concert depuis ce qui le précède dans les coulisses. Mais notre raison d’être est devant le public vivant. Rien de comparable en effet. L’enregistrement est un témoignage, un instantané, l’expérience du concert public est unique, irremplaçable tant l'émotion est intense. Et pas seulement dans les salles de concerts, mais aussi dans les écoles, les hôpitaux, les ehpad, tout cela nous est interdit. Pour combien de temps ? En attendant, il nous faut multiplier les projets afin de créer une homogénéité, une qualité de son que j’entends avidement forger avec l’orchestre. »

Bruno Serrou

1) www.orchestre-avignon.com

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