mercredi 10 janvier 2024

Arnold Schönberg en majesté pour l’ouverture de l’année du cent-cinquantenaire du compositeur qui révolutionna la musique du XXe siècle par l’Orchestre de Paris et son Chœur Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 9 janvier 2024

Arnold Schönberg (1874-1951), Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Photo : (c) Philharmonie de Paris

La Philharmonie de Paris a inauguré mardi son année 2024 avec un spectacle ouvrant les festivités du cent-cinquantenaire d’Arnold Schönberg (né à Vienne le 13 septembre 1874), figure tutélaire de la Seconde Ecole de Vienne qui révolutionna la musique en trois temps, l’hyperromantisme, l’expressionnisme atonal et la série dodécaphonique, il est l’incarnation du père au sein de la fameuse Trinité Viennoise, avec les deux plus fameux de ses nombreux disciples, Alban Berg  et Anton Webern.

Arnold Schönberg (1874-1951), Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Photo : (c) Bruno Serrou

L’Orchestre de Paris a vu pour l’occasion les choses en grand, proposant un spectacle intitulé « Transfiguré » et sous-titré « 12 vies de Schönberg » mis en scène par Bertrand Bonello s’exprimant au cœur d’un dispositif scénique d’Emanuele Sinisi rappelant plus ou moins celui utilisé pour Jeanne au bûcher d’Arthur Honegger en mars 2015 (voir https://brunoserrou.blogspot.com/2015/03/lintense-jeanne-darc-au-bucher-de.html), et dirigé avec une juste vénération par Ariane Matiakh, donné trois soirées de suite, ce qui est exceptionnel. Et considérant le succès public de ce premier concert, il convient de se féliciter de ce qui pouvait apparaître de prime abord comme une prise de risque inconsidérée, le renom de Schönberg étant loin d’être populaire. Ce qui, contrairement à ce que les médias grand public et les édiles politiques, atteste du rayonnement de la musique dite à tort « classique » y compris la plus téméraire et d’une écoute réputée exigeante. Certes, les grincheux pourront regretter ce qui peut être stupidement considéré comme du « saucissonnage » d’œuvres, mais le montage des extraits était intelligemment réalisé au sein des trois périodes créatrices de Schönberg, dans une évolution suivant la chronologie de la vie du maître viennois, de 1899 à 1943 (de La Nuit transfigurée op. 4 à… La Nuit transfigurée op. 4), tandis que des comédiens contaient la vie, la pensée, la quête artistique non seulement comme compositeur mais aussi comme peintre, et transcendantale, religieuse, philosophique, politique, les combats et la rigueur intellectuelle de cet homme réputé pour sa droiture et sa rigueur morale, mais qui savait rire et se distraire, se passionnant de tennis et de jeux de société, allant jusqu’à en dessiner un de cinquante-deux cartes… Une soirée en concordance frappante avec le dossier que j’avais publié sur mon site le 4 mai 2018 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2018/05/notes-sur-arnold-schonberg-1874-1951.html).

Arnold Schönberg (1874-1951), Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Considérant le titre du spectacle et l’ordre chronologique suivi par le propos de Bertrand Bonello, cette soirée commençait naturellement par la Nuit transfigurée op. 4, dont l’extrait était non pas puisé dans l’original pour sextuor à cordes de 1899 mais dans la troisième version pour orchestre à cordes réalisée en 1943, la présence de l’effectif complet des cordes de l’Orchestre de Paris appelant naturellement ce choix. Le découpage, dans sa chronologie, présentait toutes les facettes de cette extraordinaire personnalité dont la création est l’une des plus admirables de l’histoire de la musique, un véritable bain de jouvence de créativité et de force expressive, acteur de son temps, véritable visionnaire non seulement comme musicien mais aussi comme penseur, comme dans ses engagements religieux et politiques. Mise en scène par Bertrand Bonello dans une scénographie d’Emanuele Sinisi transformant totalement le plateau de la Salle Pierre Boulez, compositeur qui fit tant pour la propagation de la création de son aîné, en dépit de sa célèbre phrase « Schönberg est mort » que les pourfendeurs de cette musique considérée comme « dégénérée », autant par les nazis que par les conservateurs de tous bords ont pris au pied de la lettre sans lire l’article, des vidéos en noir et blanc étaient projetées sur un rideau souple et fin, pour aboutir dans les dernières minutes à de magnifiques images d’un buste de Schönberg finissant par s’écouler en grains de sable.

Arnold Schönberg (1874-1951), Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Photo : (c) Bruno Serrou

Si l’on peut regretter quelques manques dans la sélection des œuvres, comme le Quatuor à cordes op. 10 avec soprano, le Trio à cordes auquel le compositeur tenait tant car composé au sortir d’un profond coma, le Concerto pour violon ou Un survivant de Varsovie, déchirant cri de révolte venu du ghetto de Varsovie, il faut convenir que le choix des partitions, difficile tant la totalité de la musique de Schönberg est grandiose, y compris le trop injustement décrié Quintette pour instruments à vent op. 26, a été des plus subtilement choisi et agencé, même si le cadre défini de la soirée ne pouvait que conduire les aficionados du leader de la Seconde Ecole de Vienne à une juste mais superflue frustration. 

Arnold Schönberg (1874-1951), Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Sarah Aristidou (soprano). Photo : (c) Philharmonie de Paris

Après que le public venu en nombre se soit installé au son de la voix d’Arnold Schönberg projetée dans toute la salle s’exprimant lors d’une interview radiophonique dans un anglais limpide mais au fort accent autrichien, c’est donc la version 1943 pour orchestre à cordes de La Nuit transfigurée par les archets de l’Orchestre de Paris menés par Eiichi Chijiiwa au poste de violon solo et dirigés par Ariane Matiakh qui a préludé à cette soirée originale qui allait être ponctuée de textes dits et joués par deux comédiens, l’actrice Julia Faure et le danseur réalisateur Adrien Dantou, soulignés par des passages choisis comme repaires projetés sur les côtés du plateau. S’ensuivaient neuf minutes d’extrait par l’Orchestre de Paris au complet de l’immense et somptueux poème symphonique dont l’idée avait été soufflée à Schönberg par Richard Strauss, Pelléas et Mélisande op. 5 de 1902-1903, les Trois Pièces pour piano op. 11 qui ont suscité une foisonnante correspondance entre Schönberg et Ferruccio Busoni (réunie et traduite en français en 1995 dans Schoenberg - Busoni/Schönberg - Kandinsky, Correspondances, Textes aux Editions Contrechamps) par David Kadouch, l’hymne à la paix du monde de 1907 Friede auf Erde op. 13 pour chœur mixte à huit voix et orchestre donné intégralement par le Chœur et l’Orchestre de Paris, Farben (Couleurs) et sa « mélodie de timbres », et Das obligate Rezirativ (Le Récitatif obligé) extraits des Cinq Pièces pour orchestre op. 16 de 1909 révisées en 1922, cinq minutes du monodrame « psychanalytique » Erwartung (Attente) op. 17 de 1909 créé voilà cent ans le 6 juin prochain, l’intégrale des Six petites pièces pour piano op. 19 de 1911, puis le fameux Pierrot lunaire op. 21 de 1912 pour voix de femme et cinq instrumentistes dont seuls les sept poèmes de la deuxième des trois parties étaient offerts par la soprano franco-chypriote Sarah Aristidou à la voix charnelle et moelleuse mais plus Gesang (chanté) que Sprechgesang (parlé-chanté), le Prélude de la Suite pour piano op. 25 de 1921 par David Kadouch associé à Sarah Aristidou dans les Trois Lieder op. 48 composés à Paris en 1933 mais créés à Los Angeles en 1950, le pianiste enchaînant ensuite avec l’Orchestre de Paris et Ariane Matiakh une fois réinstallés dans la fosse les deux derniers mouvements (Adagio et Finale : Giocoso (moderato)) du bouleversant Concerto pour piano et orchestre op. 42 de 1942 pour l’ami Eduard Steuermann, avant que le Chœur rejoigne l’aplomb de l’Orchestre de Paris pour six des douze minutes de l’hallucinant Kol Nidre op. 39 que l’on eût aimé entendre entièrement tant cette partition est représentative de la spiritualité et de l’universalité hébraïque d’Arnold Schönberg.

Arnold Schönberg (1874-1951), Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Photo : (c) Bruno Serrou

A l’engagement et à la finition de l’interprétation de l’Orchestre de Paris dirigé avec élan par Ariane Matiakh, il convient d’associer le brio et la puissante expressivité de David Kadouch, présent dans six (Concerto pour piano, Pièces op. 11, op. 19 et op. 25, Pierrot lunaire op. 21) des douze œuvres du programme auxquelles il a donné de façon magistrale la dimension classique idoine à l’œuvre de Schönberg, ainsi que le Chœur de l’Orchestre de Paris excellemment préparé par Richard Wilberforce.  

Bruno Serrou

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