jeudi 25 janvier 2024

Daniil Trifonov, l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä ont offert à la Philharmonie un concert aux élans héroïques

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 24 janvier 2024 

Daniil Trifonov et Klaus Mäkelä en répétition. Photo : (c) Denis Allard

Quel plaisir de retrouver Daniil Trifonov à la Philharmonie de Paris, cette fois concertant avec l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä dans le Concerto n° 1 de Frédéric Chopin, exalté par ses sonorités cristallines, son chant d’une suprême délicatesse 

Daniil Trifonov en répétition avec l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Denis Allard

Trois mois après ses extraordinaires Rachmaninov donnés en deux concerts avec l’Orchestre de Philadelphie dirigé par Yannick Nézet-Séguin (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/11/dirige-par-yannick-nezet-seguin-le.html), la Philharmonie de Paris retrouvait avec plaisir Daniil Trifonov, cette fois dans Chopin. L’extraordinaire pianiste russe, de ses longs doigts courant sur le clavier sans même sembler y poser les doigts tant il effleure les touches d’un geste aérien  tout en en tirant des sonorités pleines, charnues, ardentes comme la braise, a donné au Concerto n° 1 en mi mineur, op. 11 une densité, un onirisme singulier et exaltant une ardente intensité expressive, souple, généreux, brillant de facilité, d’élégance naturelle. La Romance : Larghetto centrale chargée de poésie rêveuse a été pur enchantement. L’entente de Daniil Trifonov avec Klaus Mäkelä s’est avérée totale, le chef finlandais adoucissant le flux sonore de l’Orchestre de Paris à chacune des interventions du pianiste russe, tout en instillant à la phalange parisienne un tour brahmsien sitôt qu’il s’exprime seul, impression ressentie dès la longue introduction du concerto, qui a sonné de façon héroïque tel le préambule du Concerto n° 1 en ré mineur, op. 15, composé un quart de siècle après ce premier (en fait second) concerto de Chopin, l’orchestre se faisant un peu trop sonore et fourni côté cordes. En bis, restant dans le climat chopinien, mais plus paisible, Daniil Trifonov a donné de sublimes et profondes Variation n° 9 sur un thème de Frédéric Chopin du compositeur catalan Federico Mompou (1893-1987).  

Klaus Mäkelä en conversation avec la compositrice Anna Thorvaldsdottir (née en 1977)? Photo : (c) Denis Allard

En prologue à ce sublime moment de piano, l’Orchestre de Paris, sans hautbois ni trompettes ni timbales, et Klaus Mäkelä ont donné en création française Archora (2022), pièce sombre et fluide en trois parties (Worlds within worlds, Divergence, Primordia) remarquablement écrite et « entendue » de la compositrice islandaise Anna Thorvaldsdottir (née en 1977), partition au tour plus ou moins spectrale aux sonorités profondes et grondantes, avec une prédominance des instruments graves, voire abyssales lorsque l’orgue intervient en appui de la flûte en sol, de la clarinette basse, du contrebasson, des deux trombones dont un basse, deux tubas dont un ténor, et des contrebasses, qui jouent quantité de pizz.bartók. Le tempo extatique et étiré tend à rendre cette œuvre de près de vingt minutes un peu trop longue, la compositrice ne parvenant pas toujours à renouveler son propos et ses timbres. 

Klaus Mäkelä. Photo : (c) Denis Allard

La seconde partie du concert était entièrement dévolue à une brillante exécution de l’un des plus longs et des plus connus de Richard Strauss, Ein Heldenleben (Une Vie de Héros) op. 40 (1897-1898), second volet du diptyque Held und Weld  (Héros et Monde) du compositeur bavarois avec Don Quichotte op. 35. Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris, pour qui ce poème symphonique est l’une des partitions les plus jouées, depuis 1969, avec pas moins de dix-sept  programmations, ont porté cette somptueuse partition sur les cimes, l’Orchestre de Paris confirmant ainsi ses affinités avec cette œuvre acquises depuis ses années avec Georg Solti (1972-1975) et Semyon Bychkov (1989-1998). La vision flamboyante du jeune chef finlandais a été magnifiée par un orchestre précis et onctueux, tandis que Mäkelä laissait respirer la luxuriante polyphonie des bois et cuivres, particulièrement dans les épisodes les plus étoffés et puissants, les Adversaires du héros et le Champ de bataille du héros, les nombreux solos de bois (notamment Alexandre Gattet, Pascal Moraguès et Gildas Prado) et de cor (Benoit de Barsony), ainsi que les pupitres de harpes, cuivres et percussion se faisant ductiles et sûrs. Seule réserve, sans doute suscitée par un choix délibéré d’interprétation, le violon solo trop terrien de premier violon invité, l’Italien Andrea Obiso, actuel leader de l’Orchestre de l’Académie Nationale Sainte Cécile de Rome jouant un Guarneri del Gesù de 1741 avec un archet d’Etienne Pajeot (1791-1849), dans la Compagne du héros, charnel et solide mais pas assez bondissant, volubile, aérien, l’archet s’avérant trop lourd sur les cordes, loin des caractéristiques morales, intellectuelles et physiques de l’épouse du compositeur, certes ferme dans ses positions, volontaire et ordonnatrice, mais aussi féline, dynamique, primesautière, trépidante, sensuelle.

Bruno Serrou 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire