jeudi 18 janvier 2024

Lahav Shani embrase l’Orchestre de Paris jusqu’à la fusion dans une hallucinante Sixième Symphonie de Gustav Mahler

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 17 janvier 2023 

Lahav Shani. Photo : (c) Orchestre de Paris

Lahav Shani est décidément un très grand chef. Quatre mois après le concert Tchaïkovski/Brahms avec « son » Israel Philharmonic (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/ouverture-de-saison-virtuose-de.html), il était cette semaine de retour à la Philharmonie de Paris, cette fois à la tête de l’Orchestre de Paris qu’il avait dirigé voilà treize mois dans Beethoven et Tchaïkovski (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/12/lorchestre-de-paris-recu-avec-bonheur.html), dans deux œuvres de musique autrichienne, répertoire dans lequel le vainqueur du Concours de chef d’orchestre Gustav Mahler de Bamberg 2013 excelle incontestablement. 

Lahav Shani. Photo : (c) Orchestre de Paris

L’entente entre l’actuel directeur musical des Orchestres Philharmoniques de Rotterdam et d’Israël, et l’Orchestre de Paris est d’évidence sans nuages, voire idyllique, tant la phalange parisienne et le chef israélien se sont investi dans un même élan dans les œuvres programmées, la phalange parisienne en son entier se sont investis avec bonheur jusque dans les moindres aspérités des deux partitions, s’illustrant par leurs sonorités d’une fabuleuse richesse de timbres, de couleurs, de syncrétisme. Il faut dire que, une fois n’est pas coutume à l’Orchestre de Paris, les cordes étaient non pas disposées à l’américaine (premiers et seconds violons, violoncelles, altos, contrebasses derrière ces derniers selon la configuration habituelle de l’Orchestre de Paris) mais à l’allemande (violons i & II se faisant face séparés par violoncelles et altos, contrebasses derrière les violons I, tandis que les trompettes étaient à pistons, donc plus claires et plus étincelantes que celles à palettes désormais utilisée dans le répertoire autre que français.

Martin Fröst, Lahav Shani, Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Autre particularité de ce concert, c’est non pas Joseph Haydn mais son cadet Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) qui a été mis en regard de Gustav Mahler (1860-1911), en outre en complément d’une symphonie qui la plupart du temps remplit une soirée entière. Il s’est agi de l’une des œuvres ultimes du compositeur salzbourgeois, le splendide Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur KV. 622, ultime des quarante-trois concertos de Mozart, sa création ayant eu lieu à Prague le 16 octobre 1791 avec en soliste son dédicataire, Anton Stadler. En soliste, le brillant clarinettiste chef d’orchestre suédois Martin Fröst aux sonorités rutilantes et feutrées mais aussi brillantes dans l’aigu, jouant avec une aisance et une spontanéité propres à transporter l’auditeur dans un véritable cocon d’harmonies ensorcelantes. En bis, Martin Fröst a eu l’opportune idée de préluder à la seconde œuvre du concert en improviser sur la Sixième Symphonie de Gustav Mahler, puis d’être rejoint par l’Orchestre de Paris et Lahav Shani dans l’une des Danses Klezmer de son frère altiste compositeur, Göran Fröst.

Lahav Shani, Byol Kang (violon solo invitée), Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

En seconde partie de concert, une partition qui, généralement, fait à elle seule l’objet d’un concert entier. C’est dire combien cette semaine l’Orchestre de Paris se sera fait généreux envers son public. Plus d’un siècle sépare le concerto de Mozart (1791) et la Sixième Symphonie en la mineur de Mahler (1905). L’une des œuvres les plus déchirantes et hallucinées du compositeur autrichien, celle qui, à l’instar des Kindertotenlieder, est la plus tristement prémonitoire de la biographie de son auteur, avec ses combats à couper le souffle, ses grands moments d’introspection douloureuse, ses plages d’espoir brutalement brisé par des drames menaçants, une angoisse qui atteint des sommets de déchirure avec les trois immenses coups du destin qui fracassent l’élan frénétique du funeste finale - Lahav Shani a choisi l’option finalement retenue par le compositeur de n’utiliser que la grosse caisse pour l’ultime coup du destin plutôt que le troisième coup de marteau/hache. D’où le son sous-titre apocryphe « Tragique » donné à cette bouleversante partition. Cette Sixième Symphonie en la mineur est aussi la symphonie mahlérienne la plus porteuse d’avenir, qui aura particulièrement marqué Alban Berg (l’interlude en ré mineur du troisième acte de Wozzeck, notamment, lui doit beaucoup). Le plus remarquable parce que le plus délicat à réussir, le premier mouvement, Allegro energico, ma non troppo est apparu d’une unité constante là où souvent il apparaît décousu, le chef maîtrisant pleinement le matériau thématique qui se multiplie à foison de façon plus ou moins éparse, la symphonie se sera ainsi avérée de bout en bout vertigineuse de tragique et de brio. Shani a choisi de placer le mouvement lent en troisième position, Mahler ayant lui-même longtemps hésité à introduire cet Andante moderato en deuxième ou troisième partie, ce qui indique que Shani, en mettant le champêtre Andante moderato en troisième place, était conscient que sa conception singulièrement poignante de l’œuvre eût pu asphyxier l’auditoire s’il avait enchaîné la lutte obstinée et horrifiante de l’accablant Scherzo magnifiquement alterné cependant par le double trio d’une touchante innocence, à l’immense Finale Allegro moderato - Allegro energico course haletante vers l’abîme de près d’une demie heure violemment interrompue par trois fois comme si le héros Mahler se heurtait à un mur en béton muni d’une froide lame d’acier tranchante, Lahav Shani a pu s’engager sans réserve dans sa vision apocalyptique servi par un Orchestre de Paris d’une impressionnante virtuosité, s’engageant avec magnificence dans le drame implacable qui gouverne l’œuvre entière. Une interprétation dantesque, d’un tragique exacerbé à tirer des larmes, avec des musiciens parisiens jouant au cordeau, attestant d’une ferveur confondante et d’un panache à toute épreuve, avec une mention spéciale pour le cor solo, Benoît de Barsony, et pour le trompette solo, Frédéric Mellardi.

Bruno Serrou


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