Arnold Schönberg (1874-1951). Photo : DR
Trois ans avant sa mort, fin 1948, Arnold Schönberg écrit dans un texte
testament, On y revient toujours :
« Le désir de revenir à mon ancien style n’a jamais cessé de se manifester
en moi ; force me fut de lui céder de temps à autres. Voilà pourquoi j’écris
parfois de la musique tonale. Je n’attache moi-même aucune importance à mes
changements de style. Je ne sais pas lesquelles de mes compositions sont les
meilleures ; je les aime toutes, parce que je les ai aimées quand
je les ai écrites. » Le musicologue allemand H. H. Stuckenschmidt ouvre ainsi
son livre monographique Schönberg
(Ed. du Rocher, 1951) : « Le génie le plus authentique et le plus
volontaire de l’histoire de la musique contemporaine appartient à la petite
bourgeoisie autrichienne. »
Haut perchée, la voix d'Arnold Schoenberg
avait le timbre clair et légèrement enrouée
Schönberg est un être viscéralement superstitieux. Bien que né à Vienne un dimanche 13 septembre (1874), le nombre 13 le hantait au point de retirer une lettre au titre de l'une de ses oeuvres les plus emblématiques, l'opéra Moses und Aron, retirant un a au prénom Aaron. Il se méfiait aussi des vendredi 13, cela avec raison puisqu'il est mort à Los Angeles le vendredi 13 juillet 1951... à l'âge de 76 (7+6 = 13) ans.
« Les sifflets me révoltent toujours »
Schönberg aime le cinéma, où il se rend souvent. Il admire la
beauté naïve des films américains qu’il allait pourtant mépriser lorsqu’il se sera
installé aux Etats-Unis. En Californie, il devint un proche de Wilhelm
Dieterle. Charlie Chaplin le décrit comme fou de tennis, vêtu de blanc et
portant casquette, il était assis aux places à bon marché dans les tournois de tennis
auxquels il assistait assidûment. Il est fier des succès de son fils Ronny qui
commence à participer à des tournois à l’âge de douze ans.
Dans son Traité d’harmonie,
Schoenberg écrit : « Les lois de l’homme de génie sont les lois de
l’humanité future. »
Le pianiste et musicologue Charles Rosen écrit dans sa préface à
son ouvrage Schönberg (Edition de
Minuit, 1979) que Schönberg se considérait comme une force historique
inévitable... Il est devenu un classique sans jamais recevoir du public
l’accueil unanime accordé à des gens bien moins importants que lui.
En 1945, Schönberg se voit refusée par la fondation Guggenheim la
bourse qui lui aurait permis d’achever Moses
und Aron et Die Jakobsleiter (L’Echelle
de Jacob) ainsi que nombre de travaux théoriques. Le compositeur venait de prendre
sa retraite de l’Université de Californie à Los Angeles, où il n’avait
enseigné que huit ans, si bien que sa pension se limitait à 38 US$ par mois alors qu’il
avait à sa charge sa femme et trois jeunes enfants de 13, 8 et 4 ans. Il fut donc obligé
de donner des leçons particulières de composition, ce qui ne lui laissa le
temps de n’achever que son ouvrage théorique Structural fonctions of harmony. Durant ses dernières années, Schönberg
continuait à susciter l’hostilité, voire une haine quasi sans exemple dans
l’histoire de la musique. Il devait reconnaître alors l’importance qu’avait eue sur lui et sur sa musique l’hostilité tout au long de sa carrière. En 1947, le National Institute of Arts
and Lettres des Etats-Unis lui accorda une aide de 1 000 US$ généralement concédée aux jeunes
compositeurs.
Schönberg savait être brutal et sarcastique, et il estimait ne pas
avoir reçu les honneurs qui lui étaient dus. A l’occasion de la réception de sa
bourse au National Institute, il avait envoyé un enregistrement qui devait être
diffusé à l’assemblée : « J’avais en ce qui me concerne l’impression
d’être tombé dans un océan d’eau bouillante ; ne sachant pas nager ni m’en
sortir par aucun moyen, j’essayais du mieux que je pouvais avec mes bras et mes
jambes. (...) Je n’ai jamais abandonné. Mais comment aurais-je pu abandonner au
milieu d’un océan ? »
Schönberg n’a jamais vraiment cherché la polémique, du moins de
façon consciente et délibérée. Il avait un sens développé de l’auto-dérision.
La Société d’exécutions musicales privées qu'il avait fondée en 1918 et
dissoute en 1921 en raison de l’inflation galopante de la monnaie autrichienne,
attira nombre de ses élèves qui y participaient à des concerts généralement
donnés le dimanche matin. Les programmes n’étaient pas divulgués à l’avance, sans
publicité ni compte rendu dans la presse. Pour Schönberg, cette société était
un instrument d’éducation non pas de diffusion, les œuvres pouvaient être répétées autant
que nécessaire afin d'être correctement exécutées, retirant ainsi la musique de
toute influence commerciale.
Ces mêmes années 1918-1921, et au-delà jusque 1923), ses années de silence, Schönberg travaille sur la mise au point de son système de composition à douze sons dont
l’objectif visait spécifiquement à redonner vie au classicisme du passé, tout en
en rendant possible un nouveau. Les œuvres charnières sont les opus 23 à 25,
qui mettent un terme à un mutisme de près de cinq ans.
Les quatre périodes de Schönberg sont Expressionnisme, Atonalisme,
Dodécaphonisme, Néoclassicisme
Né dans une famille juive mais ayant reçu une formation
catholique, converti à 18 ans au protestantisme, Schönberg cherchait la
difficulté, vivant dans la Vienne à dominante catholique, capitale de l’empire
austro-hongrois. Il allait revenir à la confession israélite durant son court exil à Paris en 1933 après avoir quitté Berlin suite à l’avènement du nazisme en Allemagne.
Il a toujours eu des problèmes d’argent.
SA MUSIQUE
1937 : « [Ma Nuit
transfigurée] a été très souvent jouée, surtout dans sa version pour
orchestre. Mais certainement nul plus que moi n’a entendu proférer avec regret
: “Ah, si seulement il avait continué de composer dans le même style !” Ma
réponse peut surprendre : je rétorquais : “Mais je n’ai jamais cessé de
composer dans le même style et de la même manière depuis mes tout débuts. La
seule différence est que je m’en tire mieux maintenant qu’auparavant ; mon œuvre
reflète plus de concentration et plus de maturité.” »
1949 : « Des soixante-quinze ans qui viennent de
s’écouler dans ma vie, j’ai consacré près de quatre vingt dix pour cent à la
musique. J’ai commencé l’étude du violon à huit ans ; je me mis presque
aussitôt à composer et je me trouvais en conséquence assez tôt avec un bon
entraînement de compositeur. »
1949 : Arnold Schönberg rappelle qu’il avait appris le français enfant avec son oncle poète Fritz Schönberg. Dans son enfance il ne montre pas de passion particulière pour la musique. Celle-ci ne s'affirmera que lorsqu’il scellera une amitié avec
trois de ses jeunes contemporains, Oscar Adler, qui lui apprit l’existence de
la théorie musicale et dirigea ses premiers pas et stimula son goût pour la
poésie et la philosophie. Le deuxième fut David Bach, linguiste, philosophe,
mathématicien et musicien à qui il devra cette force morale qui lui a permis de
refuser la vulgarité et la popularité de bas étage. Le troisième fut Alexander Zemlinsky.
Avant de rencontrer ce dernier, Schönberg avait été un irréductible brahmsien.
Mais Zemlinsky sacrifiait également un culte à Johannes Brahms et à Richard Wagner, de telle sorte
qu’après cette rencontre, il en vint à servir deux divinités et à composer
dans un style qui tenait à la fois des deux avec un arrière-goût de Franz Liszt, Anton Bruckner et Hugo Wolf. « C’est aussi à Brahms que je dois mon attrait pour
les nombres impairs de mesures. » Il avoue aussi qu’à l’époque, il était
déjà devenu admirateur de Richard Strauss, mais pas encore de Gustav Mahler.
1949 : « J’ai incontestablement atteint l’apogée de mon
premier style avec la Symphonie de
chambre op. 9, parvenant à établir une interaction étroite associant la
mélodie à l’harmonie, l’une et l’autre assurant la fusion des relations tonales
éloignées en une parfaite unité. »
1949 : La deuxième période est inaugurée par les Deux mélodies pour chant et piano op.14,
les Quinze mélodies d’après le Livre des
jardins suspendus op.15 et les Trois
pièces pour piano op.11. La légèreté de jugement de ses contemporains lui
valut d’être traité d’anarchiste et de révolutionnaire, alors qu’au contraire,
écrit-il, « ma musique était le fruit incontestable d’une évolution et
n’avait rien de plus révolutionnaire que bien d’autres progrès dont est
jalonnée l’histoire de la musique ».
CREER AVEC L’AIDE
DE DIEU (1949)
Schönberg est convaincu que l’on peut découvrir dans les œuvres
des grands maîtres quantité de passages qui relèvent du miracle, tant leur
profondeur est insondable et le caractère prophétique de leur message semble dépasser les possibilités de l’humain. « Je crois qu’une fois que l’on
s’est acquitté de sa tâche avec le meilleur de soi-même et que l’on a tout
amené à un degré aussi voisin de la perfection que l’on peut humainement le
faire, alors le Tout-Puissant intervient avec Sa générosité, qui vient ajouter
à votre œuvre des éléments de beauté, que jamais votre seul talent n’eût été
capable de concevoir. »
SCHÖNBERG ET
ZEMLINSKY
« Un artiste n’a pas besoin de beaucoup penser, si seulement
il le fait correctement et sans détours »
Vouloir faire de Schönberg un autodidacte est erroné. Sa mère est issue
d’une famille de chantres pragois. Il étudie enfant le violon. Lorsqu’il écrit de sa main, il utilise toujours le style gothique jusqu’à son émigration en 1933 dans
laquelle il insère quelques signes graphiques latins. Il apprend facilement le français
à l’école, et maîtrisera parfaitement la langue anglaise une fois émigré aux Etats-Unis. Il joue du quatuor à
cordes avec l’ami et futur philosophe Oskar Adler, qui adapta pour les besoins
de l’ensemble un alto aux dimensions d’un violoncelle sur lequel Schönberg
jouait avec les doigtés du violon... doigtés qu’il continua à utiliser même lorsqu'il put s’acheter un véritable violoncelle avec ses maigres économies dans une
brocante, après qu’Adler se fut enquis des bons doigtés qu’Adler lui montra.
On le voit sur une photo en compagnie de Fritz Kreisler au violon, vêtus
tous deux de costumes tyroliens.
Schönberg ne savait pas rester sans rien faire, et avait hérité de
sa mère du sentiment du devoir. Son activité n’était pas forcément liée à la
musique, ce pouvait être le bricolage. En janvier 1891, son père venant de
mourir, il doit quitter le collège et sa mère lui trouve une place de stagiaire
à la banque privée Werner & Cie. Le banquier convoque la mère en lui disant
qu’il ne savait que faire de son fils qui barbouillait tous les papiers avec des
notes de musique, tout en lui conseillant de lui laisser faire de la musique, ce qu’elle
finit par concéder. Fou de joie, Schönberg allait organiser un concert chez lui
de musique de chambre par semaine. Il resta néanmoins à la banque jusqu’en
1895. Ne voulant vivre aux crochets de sa mère, il prend le poste de chef de
chœur dans plusieurs chorales ouvrières, où il fait la connaissance de
Zemlinsky avec qui il fonde l’orchestre Polyhymnia qui interprète leurs
compositions que Zemlinsky dirige, Schönberg tenant l’unique violoncelle,
« qui était entre les mains d’un jeune homme maltraitant son
instrument avec autant d’ardeur que de fausses notes » (Zemlinsky). Il
orchestre aussi des opérettes, à Vienne et, surtout, plus tard, à Berlin,
participant avec Zemlinsky à l’orchestration de Der Opernball de Heuberger dont il instrumente le troisième acte.
Sous l’influence de Zemlinsky, il se rend à l’Opéra de Vienne où il écoute plus
de vingt-cinq fois chaque opéra de Richard Wagner qui y est produit.
Jusqu’à sa rencontre avec Zemlinsky, Schönberg n’a aucune
formation, ni en théorie ni en composition, il cherchait dans le dictionnaire
de ses parents la signification des termes musicaux tels qu’allegro de sonate.
Cela changea lorsque Zemlinsky l’introduisit à toutes les questions théoriques.
Mais d’autres sources d’inspiration influent sur lui, telles la poésie de Richard
Dehmel à qui il avouera en 1912 : « Votre poésie a eu une influence
sur mon évolution musicale. C’est à travers elle que j’ai pour la première fois
ressenti le besoin de chercher un ton lyrique nouveau. »
Tendances naturaliste au début avec la littérature de Richard
Dehmel. Libéral sur le plan des mœurs, le poète autrichien publia en 1896 Weib und Welt (Femme et Monde), qui eut une grande influence sur Schönberg à
partir de 1897, année de la mort de Johannes Brahms. En 1898, Schönberg se
tourne vers la musique à programme inspirée de la littérature, alliant sans
problème les univers de Wagner et de Brahms. Premiers lieder publiés en 1904 chez Dreiligenverlag (op. 1 à 3)
Autre influence sur la première évolution de Schönberg. En 1899,
son amitié se resserre avec Zemlinsky en tombant amoureux de sa sœur
Mathilde à Payerbach (Semmering) pendant les vacances d’été. Les lieder composés
sur les vers de Dehmel sont baignés d’ardeur érotique pour cette jeune femme
intelligente, musicalement très cultivée et excellente pianiste. C’est à
Payerbach qu’il écrit en trois semaines La
Nuit transfigurée.
Lorsqu’il quitte Vienne pour Berlin mi-décembre 1901, engagé par
Ernst von Wolzogen, auteur du livret de Feuersnot
de Richard Strauss, dans son cabaret Überbrettl, sa jeune femme Mathilde est
sur le point d’accoucher. Schönberg était engagé comme chef d’orchestre du 16
décembre 1901 au 1er juillet 1902 au Bunte Theater pour 300 marks
par mois. En 1904, un an après la signature de son contrat avec Marschalk, Schönberg
publie ses premières partitions chez Dreiligenverlag de Berlin : 12
premiers lieder op.1, 2 et 3
et La Nuit transfigurée op.4. Il est à partir du 1er mars 1903
professeur au Conservatoire Stern grâce à une intervention de Richard Strauss
alors directeur musical de l’Opéra unter den Linden. Été 1903, Schönberg
comprend qu’il vaut mieux pour lui de rentrer à Vienne. Strauss lui obtient une bourse de
la Fondation Liszt, qu’il recevra une seconde fois en 1904.
A Vienne, où il s’installe dans le même immeuble que Zemlinsky dès
1903, Schönberg rédige des réductions pour piano à quatre mains. En 1904, il participe
avec Zemlinsky à la fondation de l’Association des musiciens créateurs qui
organise des concerts de leurs œuvres et celles de leurs contemporains. C’est
en 1909 qu’il signe son premier contrat d’édition avec Universal Edition. En
1904, il dispense ses premiers cours privés de composition, recrutant ses
élèves par petites annonces de presse. C’est alors qu’il rencontre Anton Webern
puis Alban Berg (été 1904). Malgré son indigence, il dispose d’un domestique,
ce qui semble normal à Vienne pour un compositeur à l’époque.
IMAGINAIRE
EXPLOSIF
La personnalité d’Arnold Schönberg selon H. H. Stückenschmidt fut une
synthèse particulièrement complexe d’imagination explosive et de puissante
intelligence, combinaison qui fait songer au travail d’un ordinateur. On sait
qu’il composa nombre d’œuvres très rapidement et de façon spontanée. « Je
n’ai jamais lu de ma vie une Histoire de la musique », écrivait Schönberg dans son Traité d’Harmonie. Il ne cessera pas de se méfier des musicologues.
Arnold Schönberg cherche dans les années 1907-1910 de nouvelles
façons de traduire ses visions intérieures, ne pouvant plus canaliser sa
puissante volonté d’expression en une seule pratique artistique. Comme
Zemlinsky pour la musique, c’est Richard Gerstl qui allait lui présenter la
technique de la peinture. Comme son mari, Mathilde devint aussi son élève et,
au-delà, son modèle. Gerstl loua un atelier dans le même immeuble que le couple
Schönberg. Le compositeur se détourna alors avec la peinture des réalités de la
vie et se retira dans un isolement total. Le départ de Gustav Mahler de Vienne
en 1907 n’y fut sans doute aussi pas pour rien. C’est à cette époque que
Schönberg compose son deuxième Quatuor à
cordes op.10, qu’il achève en juillet 1908, alors que se brise son couple,
Mathilde fuyant le foyer familial avec Gerstl, avant de revenir sous la
médiation d’amis du couple, notamment de Webern. Les deux mouvements chantés
constituent le dernier pas dans un univers où la musique refuse tonalité et
consonance traditionnelle. C’est peu après (27 septembre) qu’il compose le treizième
des quinze George Lieder op.15, première
composition atonale de l'histoire. Le 4 novembre, Gerstl se suicide à l’âge de vingt-cinq
ans.
Mahler s’enquit de Schönberg jusque sur son lit de mort : « Si
je m’en vais, il n’aura plus personne. » Alma se souvint si bien de cette
phrase que lorsqu’elle initia la Fondation Mahler, elle fit octroyer à Schönberg une
aide plusieurs années de suite. En 1909, c’est Erwartung (Attente),
premier opéra de Schönberg, sur un livret d’une étudiante en médecine admise
dans le cercle Schönberg, Zemlinsky, Berg, Marie Pappenheim. Schönberg lui demanda
d’écrire un opéra, qui devint un monodrame, seul genre que se sentait capable
d’écrire la jeune femme. Elle le rédigea en trois semaines, temps également
nécessaire à Schönberg pour composer sa partition. Erwartung ne sera créée qu’après quinze ans… d’attente. Autre drame
de Schönberg sur la difficulté d’aimer, La
Main heureuse, dont Schönberg signe lui-même le livret qui met en scène le
génie créateur.
Schönberg retourne à Berlin le 1er octobre 1911. Il y demeure jusqu’au
mois de mai 1913; donnant notamment des conférences au Conservatoire Stern sur l’esthétique
et la composition. Son renom s’étend alors à travers l’Europe
Schönberg aime la Bavière, où il cherche l"échange intellectuel
avec le peintre Vassily Kandinsky, qui vivait à Murnau, ainsi que des membres
de la Blaue Reiter
Il invente une machine à écrire la musique qu’il fait breveter en
1909, il s’intéresse à un procédé de polycopie de partitions et de dessins
autographes.
Un critique pétersbourgeois décrit Schönberg au pupitre de chef en
1912 dirigeant son Pelléas et Mélisande
: « Un petit homme apparut, le regard pénétrant et inquiet, les gestes
nerveux, et dominé par une passion démoniaque même dans les instants où il
était le plus calme. Il est aussi rapide que le vif-argent, c’est un homme de
petite taille qui vous fait penser à un petit Bouddha chinois. On songe aux
personnages des contes d’Hoffmann ou des sombres nouvelles d’Edgar Poe.»
SANTE
Schönberg était de santé délicate, de tendances asthmatiques
favorisées par l’usage du tabac et une consommation régulière d’alcool. Il ne
pensa jamais à se soustraire à ses obligations militaires, patriote,
germano-autrichien, il prenait fait et cause pour sa patrie. En août 1946, il
tombe gravement malade. On lui fait des injections pour calmer ses fortes
douleurs dans la poitrine, et l’une d’elles provoque un évanouissement. Le
médecin lui fait une seconde injection, dans le cœur même. Il reprend
connaissance. Puis il contracte une pneumonie. C’est alors qu’il commence son Trio à cordes op.45 qu’il termine le 23 septembre. Le 2 août 1950, il relate sa
maladie. Son asthme s’est transformé quelque peu. « Je n’ai pas de crise
grave, mais le manque de souffle est plus ou moins chronique… Depuis quelques mois,
je n’ose plus dormir dans mon lit, mais dans un fauteuil. Divers traitements
m’ont été appliqués. J’ai suivi un traitement pour le diabète, la pneumonie,
les reins, la hernie et l’hydropisie. Je souffre d’asthénie et de vertiges, et
mes yeux, autrefois très bons, s’adaptent difficilement à la lecture. »
RELATIONS
AVEC COMPOSITEURS AUTRES QUE CEUX DE SON ECOLE
Relations avec Richard Strauss, admirations pour Gustav Mahler,
relations avec Ferruccio Busoni avec une correspondance à partir de 1903 et à qui il
succède en 1924 à la tête d’une classe de composition à l’Académie de Musique
de Prusse à l’appel du Pr. Leo Kestenberg et de son compatriote et partenaire de
tennis Franz Schreker, alors directeur de l’institution prussienne et qui
devait le rester jusqu’en 1933. Rend visite à Gian Francesco Malipiero, Alfredo
Casella, avec qui il allait polémiquer en 1934, de Giacomo Puccini, qu’il
rencontre à la première florentine de Pierrot
lunaire, il parle de lui comme d'un grand homme. George Gershwin, qu’il fréquente
assidûment à partir de 1936 et qui allait peindre son portrait, est aux
Etats-Unis son partenaire de tennis. Il lui voue un amour quasi paternel. Il
joue beaucoup Béla Bartók dans le cadre de sa Société, et Paul Hindemith pour
le talent de qui il éprouve de la sympathie. Il polémique avec Igor Stravinski
(Trois Satires op.28, 1925), qui
avait déclaré ne vouloir composer que pour le présent alors que d’autres
s’épuisaient à écrire celle de l’avenir, critiquait Ernst Krenek, qui s’en
prenait à la musique légère. Il reçoit beaucoup Edgar Varèse lorsque celui-ci
vit à Los Angeles, jusqu’en 1940. Toujours à Los Angeles, il fréquente Otto Klemperer,
avec qui il se fâche brièvement. Franz et
Alma Werfel, Albert Einstein, Thomas
Mann. Darius Milhaud, qu’il avait connu avec Francis Poulenc à Vienne, et qui
avait donné la première française de Pierrot
lunaire, Bertolt Brecht, Charles Chaplin, qui disait admirer sa musique.
RELIGION
Schönberg est un être
profondément religieux. L’idée dominante de son existence fut l’union de
l’homme avec Dieu. De L’Echelle de Jacob,
esquissée en 1915 et abandonnée en 1917 à la suite de son appel sous les drapeaux, au dernier Psaume inachevé, c’est le thème sur
lequel il est toujours revenu. Lettre à Kandinsky, 20 juillet 1922 : « Ce
que je veux dire dans mon poème L’Echelle
de Jacob (en fait un oratorio) pourrait vous le dire le plus clairement :
je veux parler de la religion. Durant toutes ces années, elle a été mon unique
soutien - que cela soit dit ici pour la première fois. » Quelques mois
avant sa mort, le 20 avril 1951, il s’adressait en ces termes au Dr. Georg
Wolfson de Jérusalem : « Il m’apparaît que le temps de la foi stérile en
la science est enfin passé maintenant - il l’est pour moi depuis plus de
quarante ans. »
Élevé par une mère juive et
pieuse et par un père libre penseur. En 1891, dans une lettre à sa cousine Malvina Goldschmied, il se déclare
incroyant tout en défendant la Bible. Parmi ses amis de jeunesse, le chanteur
Walter Pieau, qui chante ses lieder ainsi que ceux de Zemlinsky, et qui est
protestant. Il semble que sous son influence Schönberg se soit profondément
intéressé à la religion chrétienne et aux dogmes du protestantisme. Il
abandonne la foi de ses ancêtres le 21 mars 1898 (état civil de Vienne), et il
est baptisé quatre jours plus tard.
L’Echelle de
Jacob : livret esquissé
en janvier 1915 terminé le 26 mai 1917, musique amorcée le 19 juin 1917.
« Cet évangile, ce jugement de Dieu. Cette synthèse d’une immense
expérience, d’une foi incroyable. Le dernier grand discours de Gabriel est la
solution pour tout. Le sommet de l’intuition humaine jusqu’à présent » (lettre
à Anton Webern, octobre 1917). Restée inachevée en 1922, l’œuvre occupe une clef de voûte dans l’évolution complexe de Schönberg qui va de l’atonalité libre à la série dodécaphonique avec des retours à la tonalité.
Le 24 juillet 1933, après trente-cinq ans de christianisme, au
cours d’une cérémonie qui se déroule dans la plus stricte intimité à la
synagogue de la rue Copernic à Paris, avec le peintre Marc Chagall pour parrain et témoin, Schönberg retourne solennellement à la foi de ses ancêtres, conséquence immédiate des
persécutions raciales nazies qui ont abouti à l’expulsion de Schönberg de son
poste de professeur à l’Académie de Musique de Prusse et à son départ précipité pour l'exil.
Ce retour avait pour Schönberg tout autant la signification d’un acte de
solidarité et d’appartenance à un peuple que celui d’un acte de foi individuel.
Mais le nazisme n’est qu’un détonateur, car Schönberg a longuement mûri sa
décision. Ce qu’atteste le compositeur : commentant cette conversion le 16
octobre 1933, il écrit à Alban Berg : « Comme tu l’as certainement
remarqué, mon retour à la religion juive s’est fait il y a longtemps et il
apparaît dans mon œuvre, y compris dans certaines pièces publiées comme Du sollst nicht, du musst... » - second des Quatre chœurs à capella op.27 dont le texte
est de Schönberg lui-même, véritable profession de foi : l’idée du peuple juif,
peuple élu qui ne cessera de hanter Schönberg, qui considère cette élection comme
un redoutable privilège, celui de la vocation messianique d’un peuple appelé à
témoigner devant les autres peuples de l’existence du Dieu unique et à en subir
toutes les conséquences - « et dans Moses
und Aron, dont tu connais l’existence depuis 1928, mais dont la conception
première est au moins de cinq ans plus ancienne ; enfin, et tout
particulièrement, dans mon drame Le
Chemin biblique, conçu lui aussi au plus tard en 1922 ou 1923, mais terminé
seulement en 1926-1927. » Der
biblische Weg est en effet une œuvre-témoignage capitale de la pensée
messianique de Schönberg. Le 3 octobre 1928, il commence le livret de Moïse et Aron, inspiré de L’Exode et des Nombres, et l’achève le 16 octobre. Les premières esquisses musicales
datent du 7 mai 1930, le premier acte, commencé le 17 juillet 1930, est achevé
le 14 juillet 1931, le deuxième acte, commencé le 20 juillet, est terminé le 10
mars 1932. Schönberg retouche le livret du troisième acte, d’abord daté New York 21
juin 1934, puis Hollywood le 5 mai 1935. Jusqu'en 1950, il conservera l'espoir
d'aller jusqu'au bout de son opéra.
Malgré son retour au judaïsme, Jésus restera pour Schönberg, selon ses
propres termes, « sans aucun doute l’être le plus pur, le plus innocent,
le plus désintéressé, le plus idéaliste qui ait jamais vécu sur cette terre :
sa volonté, toute ses aspirations étaient uniquement fixées sur le seul but de
sauver les hommes en les conduisant à la vraie foi en l’Unique, Eternel et
Tout-Puissant. »
Avant sa mort, à partir du 29 septembre 1950, Schönberg travaille
sur un recueil de « Psaumes, prières et autres conversations avec et sur
Dieu, traitant des problèmes religieux de nos contemporains. » Le 3
juillet 1951, il pose sa plume dix jours avant sa mort, laissant le seizième de
la série inachevée, alors qu’il n’avait mis en musique que le premier d’entre
eux, le Psaume 151, ce qui démontre
sa volonté de poursuivre les Psaumes là où le roi David les avait laissés.
SIONISME
Schönberg s’attribue un rôle messianique : « Je veux susciter
un mouvement qui fasse à nouveau des juifs un peuple, et qui les unisse en un
Etat sur un territoire déterminé et précis. Pour cela, il faudra se servir de
tous les moyens connus dans l’histoire [...] en prenant en considération les
devoirs imposés au peuple juif par sa condition particulière de peuple élu de
Dieu, de peuple destiné à préserver une pensée, la pensée du Dieu unique et
inconcevable. Il faut pour cela un homme qui soit prêt à se précipiter la tête
contre les murs [...] Je me suis décidé, faute de mieux, à être celui qui
commencera. En tout cas, les gens savent que j’ai passé ma vie à me précipiter
contre les murs, et ils peuvent voir que ce faisant je n’ai pas succombé. »
(Lettre circulaire de Schönberg envoyée durant l’été 1933 aux musiciens juifs
de par le monde.)
1937, Projet de symphonie pour orchestre en quatre mouvements
dotés de titres apologiques du peuple juif. Du 1er au 8 septembre
1938, il compose Kol Nidre, commande
de la synagogue de New York, prière de réconciliation récitée le jour du Grand
Pardon (Yom Kippour). Neuf ans plus tard, sous l’impact effroyable des
massacres nazis et du récit de l’un des rares rescapés du ghetto de Varsovie, Schönberg écrira l’œuvre-cri Un Survivant de
Varsovie, qui se termine sur le chant du Schema Israël. Enfin, en 1948, c’est la concrétisation de
l’événement tant attendu par Schönberg, la création de l’Etat d’Israël. Toutes
ses dernières œuvres sont déterminées par cet événement dont il ne saurait
dissocier les dimensions spirituelles de la dimension nationale. En avril 1949,
il met en musique Dreimal tausend Jahre
op.50a qui célèbre la résurrection de
Jérusalem et les chants depuis longtemps oubliés annonçant le retour de Dieu. Mi-juin,
il commence sans l’achever Israel exists
again, dont il signe cette fois les paroles. Il dédie à l’Etat d’Israël le De Profundis (Psaume 130) op.50b pour chœur
a capella publié par les Editions musicales d’Israël à Tel Aviv. Au printemps
1951, il est nommé président d’honneur de l’Académie de Musique d’Israël à
Jérusalem. Seul son âge avancé et surtout sa santé l’empêchent de se rendre en Israël.
ARMEE
Arnold Schönberg fut appelé deux fois sous les drapeaux. Admis le
15 décembre 1915, il se voit accordé un congé en août 1916, puis il est rappelé
le 19 septembre 1917, mais définitivement exempté le 7 décembre 1917.
L’effondrement de toutes les valeurs durant la guerre lui montre l’impuissance
de la pensée, de l’invention et de l’énergie. Pendant ces années, comme il l'écrivait en 1922 au peintre russe Vassily Kandinsky (1866-1944), la religion fut son seul soutien. La guerre le conduit à
la dépression.
PEDAGOGIE
En 1917, l’activité pédagogique conduit Schönberg à développer une
analyse pratique faisant découvrir, pas à pas, la substance sonore d’une œuvre
au cours de répétitions. Il organisa une série de dix répétitions publiques de
sa Symphonie de chambre devant un
parterre de gens qui avaient pu acheter la partition en souscription à prix
réduit. Il dispense un séminaire de composition dans les écoles Schwarzwald durant
la saison 1918-1919 à cinquante-cinq personnes dont vingt-sept femmes et deux mineurs (Max Deutsch et Viktor Ullmann en sont). A la Société d’exécutions
musicales privées fondée le samedi 23 novembre 1918, Schönberg nomme ses élèves Anton Webern, Alban Berg et Eduard Steuermann aux postes de conférenciers. Schönberg y
développe méthodiquement l’expérience des dix répétitions de sa Symphonie de chambre. La finalité est de
former à l’écoute et à la compréhension de la musique nouvelle. Toute la
musique moderne, « tout ce qui a un nom ou une physionomie ou un caractère »,
de Gustav Mahler et Richard Strauss aux compositeurs les plus jeunes, est susceptible d’être
joué. Les auditions avaient lieu une fois par semaine sous la forme de réunions
privées devant les seules personnes en possession d’une carte de membre. Toute
manifestation d’approbation ou de désapprobation était interdite. A la fin de
la première saison, en juin 1919, quarante-cinq œuvres ont été données en vingt-six
soirées. Dix à trente répétitions précédaient chaque concert. En avril 1921,
deux cent vingt six œuvres avaient été jouées. Au cours de la saison 1921-1922,
la société quitte Vienne pour Prague, principalement à cause de l’inflation qui
frappait alors l’Allemagne et l’Autriche.
« Les cours de Schönberg étaient collectifs, se souvenait son élève Max
Deutsch (1892-1982). Ils avaient lieu au moins deux fois par semaine. Schönberg était assis
au piano, nous formions un demi-cercle autour de lui et nous lui montrions nos
compositions qu’il corrigeait et commentait. On accédait à son appartement par
un escalier ; l’entrée était gardée par Wulli, le grand berger allemand (qui
d’ailleurs ne mordait que les idiots, pas les gens intelligents). »
Le 1er octobre 1925, Arnold Schönberg succède à Ferruccio Busoni au poste
de professeur de composition à l’Académie des Arts de Berlin. Les classes de
composition de Berlin occupaient le plus haut rang dans la hiérarchie de
l’enseignement de la musique en Allemagne. Le 10 janvier 1926, il trouvait
parmi ses élèves Walter Goehr, Roberto Gerhard, qui arrivait de Barcelone,
Adolphe Weiss des Etats-Unis, etc., il fit de Josef Rufer son assistant.
En 1933, Schönberg enseigne à New York et à Boston ; en 1935
à l’Université de Californie du Sud. Le 1er juillet 1935, il signe
pour deux ans un contrat avec UCLA, dont il dirige le département musique. Il
sera renouvelé jusqu’en 1939 puis jusqu’en 1942. A 70 ans, en 1944, il se voit
irrémédiablement contraint à prendre sa retraite. Mais compte tenu de la faiblesse de
ses revenus, il dut se battre pendant les six ans qui lui restaient à vivre en
donnant des leçons particulières et en honorant des petites commandes
occasionnelles. Il enseigne jusqu’en 1949 au Collège des Dominicains à San
Rafael.
PEINTRE
Schönberg cherche dans les années 1907-1910 de nouvelles façons de
traduire ses visions intérieures, ne pouvant plus canaliser sa puissante
volonté d’expression en une seule pratique artistique. Comme Zemlinsky pour la
musique, c’est Richard Gerstl qui allait lui présenter les techniques de la
peinture. Comme son mari, Mathilde devint aussi son élève et au-delà son
modèle. Gerstl loua un atelier dans le même immeuble. Vassily Kandinsky
entretiendra avec Schönberg une longue et fertile correspondance et attirera le
compositeur à la Blaue Reiter. Avec la
peinture, Schönberg se détourna des réalités de la vie et se retira dans un
isolement total. En 1919, il se tourne vers l’aquarelle, alors qu’il ne compose
plus rien. Il retrouve le crayon en juillet 1920, écrivant ses premières pages
dodécaphoniques, fragments des op. 23 et 25.
C’est le peintre russe Marc Chagall qui sera le témoin et parrain de son retour au
judaïsme
DODECAPHONISME
Été 1921, Schönberg fait à son élève Rufer la remarque suivante : « J’ai
fait la découverte qui assurera la suprématie de la musique allemande pour les
cent ans à venir. » Il s’agit bien sûr de la méthode de composition avec
douze sons, communément appelée technique dodécaphonique, qu’il élaborait depuis
1917
LE QUOTIDIEN
A Berlin (1925-1933) Schönberg mène une vie mondaine et fréquente
le milieu artistique. « 1923-1924, j’ai recommencé à boire et j’ai fumé
jusqu’à soixante cigarettes par jour, écrit-il en 1950. Pour pallier les
conséquences d’un tel excès, j’agissais d’une façon stupide. Outre les
liqueurs, je buvais chaque jour trois litres de café fort et je prenais de la
codéine et du pantopone. Cela m’aidait un peu, même si au fond j’allais plus
mal. Mais au cours de ma lune de miel à Venise, j’ai eu la volonté d’abandonner
tous les excès énumérés précédemment ; grâce à quoi j’ai obtenu un répit qui a
duré à peu près deux ans. » En 1926, à Berlin, son asthme le fait
souffrir, même si c’est moins qu’auparavant. Elu au sénat de l’Académie, il obtient
la nationalité prussienne.
L’ECRIVAIN
Schönberg a écrit plusieurs traités musicaux,
le premier étant le Traité d’Harmonie
en 1911, de nombreux articles sur le langage, la morale, la politique, le
pouvoir, les majorités, le fascisme, la tonalité, le développement en musique,
sur Bach et les douze sons, des articles polémiques contre le chef d’orchestre Carl
Muck, le tout sera réuni en 1950 dans le livre Le
Style et l’Idée. Il est également l’auteur de plusieurs textes sur le
judaïsme et la question juive. Il réunit en un ouvrage Fondements de la composition musicale, ses cours donnés depuis
1937. L'ouvrage sera publié en 1948. En 1940, l’article Art and the Moving pictures est publié dans la revue California Arts and Architecture. En
1942, il rassemble un petit manuel de textes pédagogiques, Modèles pour débutants en composition, exemples traitant des
problèmes de la mélodie, de l’harmonie et de la forme. Le 17 avril 1943, il
commence à rédiger Master Copy Book.
BRICOLAGE
Bricoleur, le compositeur met au point un rastrál, plume
permettant de tracer cinq lignes à la fois pour ses portées qu’il envoie à son
éditeur américain Schirmer le 25 avril 1943.
POLITIQUE
Après une réunion houleuse présidée par le compositeur Max von Schillings qui
déclara qu’il fallait briser l’influence juive, Schönberg démissionne le
20 mars 1933 de l’Académie de Prusse, demandant simplement l’exécution de son
contrat qui expirait le 30 septembre 1935, le remboursement de ses frais de retour
à Vienne et l’autorisation de transférer l’argent à l’étranger. Il quitte
Berlin sur l’insistance de son beau-frère violoniste Rudolf Kolisch (1896-1978). Le 17 mai, il se rend à
Paris. C’est là qu’il reçoit la lettre datée du 23 mai lui annonçant qu’il ne
fait plus partie de l’Académie des Arts de Berlin. A Paris, la famille Schönberg descend
à l’hôtel Régina, 192, rue de Rivoli. Elle y reste jusque fin juillet. Le 24,
Schönberg met à exécution une résolution prise depuis de longues années : son retour
au judaïsme. Dès le 4 mai 1923, il pressentait les événements de 1933, lorsqu’il
écrivait à Kandinsky : « Mais à quoi l’antisémitisme aboutira-t-il, si ce
n’est à la violence ? Est-ce si difficile de le prévoir ? » Les 12 et 13
juillet, il esquisse le plan d’un parti unique juif. Plus tard, en Amérique, ce
plan allait constituer une partie du grand manuscrit concernant un Jewish Four Points Program. Plus tard encore,
il écrit Forward to a Jewish Unitary
Party, qui porte le date du 1er décembre 1933. La question juive
suscita d’autres écrits, dont la lettre circulaire mentionnée plus haut.
ETATS-UNIS
Le 24 octobre 1933, Schönberg et sa famille quittent Paris pour
Cherbourg où, le 25, ils embarquent à bord
du paquebot Ile-de-France. Le 31, ils débarquent à New York. Schönberg
avait préalablement signé un contrat d’un an avec le Conservatoire Malkin de
Boston et de New York. Il y enseignera jusqu’au 31 mai 1934. Le 15 septembre, ils
quittent Chautauqua (Etat de New York) pour Hollywood (Californie) où ils aménagent le 1er
octobre 1935. Il y donne des cours pour dix élèves, à un ou deux élèves privés
et, pendant l’été, six semaines durant, il dispense deux leçons par jour à l’Université
de Californie du Sud. Il avait refusé les cours que lui proposait la Juilliard School,
craignant l’hiver new-yorkais.
GRAPHIE
C’est au cours de l’été 1933 qu’il abandonne la graphie gothique
au profit de la latine et, le 16 septembre, à Arcachon, il signe Arnold Schoenberg une carte postale à ses amis Striedry, utilisant ainsi pour
la première fois le oe
internationalement employé au lieu de la voyelle ö.
THOMAS MANN
En 1945, Thomas Mann s’inspire de Schönberg pour créer son
personnage d’Adrian Leverkühn dans son roman Docteur
Faust. Le livre paraît à l’automne 1947 en allemand. Ce n’est qu’en 1948
que Schönberg apprend par la rumeur que ce roman a un rapport avec lui. C’est
Alma Schindler-Werfel, ex-Mahler, qui sème la discorde entre les deux hommes en demandant à Schönberg
de prendre position contre Docteur Faust.
Mann adopte une attitude défensive qui excite la fureur de Schönberg. Le
conflit éclate en février 1948 lorsque le compositeur envoie une lettre à l'écrivain à
laquelle ce dernier répond le 17 février 1948. Le 25 novembre, Schönberg envoie une autre
lettre, cette fois conciliante, puis il est pris par son travail de
composition. En octobre, la polémique reprend de plus belle à la suite d’une
requête du Saturday Review of Litterature,
qui demandait à Schönberg ce qu’il pensait du Docteur Faust. Le musicien répond que le romancier lui avait
extorqué sa propriété intellectuelle, tout en avouant ne pas avoir lu le livre mais se fiant à ce qu’il était censé contenir que par ouï-dire. Le 9 avril 1949, les
deux hommes déjeunent ensemble. Le 2 janvier 1950, Schönberg répond à une
lettre de Mann qui réconcilie définitivement les deux hommes.
Bruno Serrou
Octobre 1995
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