Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte III). Andreas Schager (Parsifal), Günther Groissböck (Gurnemanz), Anja Kampe (Kundry). Photo : (c) Emilie Bouchot/Opéra national de Paris
Ce Parsifal était l’une des productions les plus attendues de la
présente saison de l’Opéra de Paris. Pourtant, l’attente fébrile du public a
été plus longue que prévu, par la faute d’un incident technique affectant une
porte coupe-feu rendant aléatoire la sécurité, ce qui a eu pour conséquence l’annulation
de la générale et des deux premières représentations. D’où une salle
archi-comble dimanche, et une écoute quasi-religieuse de la part d’un public,
qui, pourtant, néglige désormais la volonté de Richard Wagner réclamant aucun
applaudissement au terme du premier acte.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte I). Peter Mattei (Amfortas, au centre). Photo : (c) Emilie Bouchot/Opéra national de Paris
Ultime partition de Richard Wagner,
accomplissement de tous ses desseins, unique ouvrage conçu en fonction de son
expérience de la fosse « mystique » du Festspielhaus de Bayreuth inauguré
six ans plus tôt avec le Ring et qui
fut le cadre de sa création l’été 1882, quelques mois après son achèvement, et
pour lequel son concepteur entendait réserver les représentations, Parsifal est l’un des plus imposants
chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique. Ouvrage étrange, énigmatique que ce
« Festival scénique sacré en trois actes ». Wagner a-t’il voulu à la
fin de sa vie à travers cet hommage avoué à Jean-Sébastien Bach célébrer
l’ascèse qu’il n’avait lui-même jamais pratiquée ? Se serait-il agenouillé
devant la Croix, comme Nietzsche s’en désolera par la suite au point de se
détourner de celui qu’il avait idolâtré au profit de Bizet et de sa Carmen ?...
Que sous-tend cette chevalerie secrète née de l’esprit de Wolfram von Eschenbach érigée sur la pureté du sang souillé par son Maître et qui attend désespérément le sauveur qui la relèvera ? Quelle est la véritable nature plus ou moins manichéenne du conflit qui oppose le jardin enchanté de Klingsor et le Saint-Graal dans lequel Joseph d’Arimathie recueillit le sang du Christ ?... Dans ce testament artistique, aux contours plutôt univoques puisqu’il alterne et associe profondeur ascétique des chevaliers du Graal emmurés dans une adoration macabre des saintes Reliques dans ses actes extrêmes, et le poison de la sensualité la plus charnelle et décadente dans l’acte central, Wagner condense sa conception morale bipolaire de l’univers, retournant aux origines de l’amour et de la foi, au « cœur-même de l’art ». Sur le plan musical, Parsifal se présente comme l’accomplissement de la quête de l’œuvre d’art total, la musique se présentant comme un véritable cocon pour la voix et pour l’auditeur, tandis que l’expression artistique est acquise dans toute sa diversité.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte III). Andreas Schager (Parsifal), Anja Kampe (Kundry). Photo : (c) Emilie Bouchot/Opéra national de Paris
Que sous-tend cette chevalerie secrète née de l’esprit de Wolfram von Eschenbach érigée sur la pureté du sang souillé par son Maître et qui attend désespérément le sauveur qui la relèvera ? Quelle est la véritable nature plus ou moins manichéenne du conflit qui oppose le jardin enchanté de Klingsor et le Saint-Graal dans lequel Joseph d’Arimathie recueillit le sang du Christ ?... Dans ce testament artistique, aux contours plutôt univoques puisqu’il alterne et associe profondeur ascétique des chevaliers du Graal emmurés dans une adoration macabre des saintes Reliques dans ses actes extrêmes, et le poison de la sensualité la plus charnelle et décadente dans l’acte central, Wagner condense sa conception morale bipolaire de l’univers, retournant aux origines de l’amour et de la foi, au « cœur-même de l’art ». Sur le plan musical, Parsifal se présente comme l’accomplissement de la quête de l’œuvre d’art total, la musique se présentant comme un véritable cocon pour la voix et pour l’auditeur, tandis que l’expression artistique est acquise dans toute sa diversité.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte I). Andreas Schager (Parsifal, assis)). Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris
Ce que propose le metteur en scène
du britannique Richard Jones surprend par sa conception qui a tous les
symptômes d’une trahison, tout en suivant quasi littéralement les indications du
concepteur de l’œuvre d’art total. Dans ce qui se présente comme une secte dont
le grand maître, le nain sénile Titurel à l’article de la mort, souhaiterait
passer la main à son fils Amfortas, qui, souffrant d’une blessure inguérissable
et de ce fait incapable de lui succéder, est en quête de rachat, l’action se
déroule aux deux actes extrêmes dans une même perspective de décors néo-Le
Corbusier signés ULTZ se déployant de cour à jardin au fur et à mesure de l’action,
présentant la façade du monastère (Montsalvat-Montfavet ?), avec en son
centre au milieu d’un bassin un buste imposant du fondateur de la secte
ressemblant naturellement à Richard Wagner, donnant sur le lieu de vie de la
communauté équipé d’une bibliothèque où sont déposés d’énormes livres/bibles/règles
intitulés Wort (Mot), d’une grande table de réunion, d’une cuisine où bouillent des
emplâtres, et des lessiveuses où d’autres emplâtres couverts de sang sont
nettoyé, puis la chapelle où est célébré le culte et qui jouxte deux cellules de
moines superposées. Le deuxième acte se déploie d’abord sur un plateau vide
pourvu d’un matériel de généticien fou puis un jardin non pas enchanté mais glacial
et monstrueux de filles-maïs aux seins et aux vulves saturés de désir dispersées
sur de froids gradins. Le tour monumental des décors des actes I et III n’est
rien, comparé à la saisissante nudité du plateau servant de cadre à l’époustouflant
duo Kundry/Parsifal.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte I). Peter Mattei (Amfortas, au centre). Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris
Et, de fait,
ce deuxième acte est le moment le plus passionnant de la lecture de Philippe
Jordan, ce qui atteste de la connivence entre le directeur de l’orchestre de l’Opéra
de Paris et le metteur en scène. En particulier lors des grands appels
désespérés de Kundry, qui au moment où elle évoque la rencontre du regard du
Christ, « Kenntest du den Fluch, der
mich durch Schlaf und Wachen durch Tod und Leben… » (Si tu savais la malédiction qui nuit et jour morte et vive [me hante]…)
et tente de retenir Parsifal, après son cri le plus hallucinant, Jordan ménage
un poignant silence, puis relance pianissimo
l’orchestre, dont il convient de saluer la performance d’ensemble, avec ses
bois qui rivalisent de virtuosité et d’éclat, ainsi que trompettes et
trombones, et, côté cordes, les contrebasses qui assurent l’assise harmonique
de la partition avec une rigueur et une chaleur exceptionnelles, à l’instar des
violoncelles.
Pourtant, l’Enchantement du Vendredi-Saint, de grande beauté sonore, n’évoque pas une nature soudainement habitée par le renouveau du printemps. Ne s’adonnant guère à l’introspection et d’une spiritualité distanciée, le chef suisse s’avère en revanche humain et dramatique, comme l’attestent les tempi des premier (1h37 au lieu de 1h40 annoncé et de 1h55 en moyenne) et troisième (1h10, en conformité avec ce que notifie le programme) actes, tandis que l’acte central, le plus théâtral, est enlevé en cinquante-quatre minutes. L’orchestre de l’Opéra de Paris d’une clarté de timbre éblouissante, confirme son incomparable fluidité, sa musicalité, son fondu sonore, qui permettent de savourer la suavité des bois, le brillant des cordes aiguës, la chaleur des violoncelles, la profondeur des contrebasses, le chatoiement des cuivres.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte I et acte III en plus délabré). Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris
Pourtant, l’Enchantement du Vendredi-Saint, de grande beauté sonore, n’évoque pas une nature soudainement habitée par le renouveau du printemps. Ne s’adonnant guère à l’introspection et d’une spiritualité distanciée, le chef suisse s’avère en revanche humain et dramatique, comme l’attestent les tempi des premier (1h37 au lieu de 1h40 annoncé et de 1h55 en moyenne) et troisième (1h10, en conformité avec ce que notifie le programme) actes, tandis que l’acte central, le plus théâtral, est enlevé en cinquante-quatre minutes. L’orchestre de l’Opéra de Paris d’une clarté de timbre éblouissante, confirme son incomparable fluidité, sa musicalité, son fondu sonore, qui permettent de savourer la suavité des bois, le brillant des cordes aiguës, la chaleur des violoncelles, la profondeur des contrebasses, le chatoiement des cuivres.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte III). Peter Mattei (Amfortas présentant le Graal). Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris
La
distribution est d’une convainquante homogénéité. Peu de défaillances en effet, à l’exception
des voix de femmes du Chœur de l’Opéra de Paris. Constamment sujettes à des approximations
et à des décalages, il faut dire à leur décharge qu’elles sont constamment
placées hors scène dans le lointain et en hauteur, comme le veut la partition.
En revanche, les hommes sont remarquables de précision et d’harmonie. Pour ses
débuts à l’Opéra de Paris, la soprano allemande Anja Kampe, qui atteste ici d’un
véritable talent de tragédienne, campe une Kundry exceptionnelle d’intensité, de
carnation, de musicalité, du pianissimo
le plus impalpable (Parsifal, weile)
au cri de rage le plus déchirant (und…
lachte). Cette cantatrice, qui chante avec aisance Isolde, Elisabeth, et
Eva, est aussi pourvue de graves d’une ductilité d’une authentique
mezzo-soprano.
A peine moins convainquant sur le plan scénique, apparaissant dans le premier acte vêtu d'un bermuda, Andreas Schager, qui chante le rôle partout dans le monde, est un Parsifal à la voix solide et éclatante qui donne toute sa vigueur dans le deuxième acte, et qui, face à la Kundry de Kampe, propose un duo digne de celui de Tristan et Isolde. Dans le rôle de « l’Evangéliste » Gurnemanz, le baryton au timbre noir Günther Groissböck assure ce rôle-marathon avec constance vocale et noblesse de ton et de tenue, tandis que son articulation est d’une précision digne du récitant d’une Passion de Jean-Sébastien Bach. Peter Mattei est un Amfortas torturé et las, hallucinant de douleur et de culpabilité. Sa voix souple et son timbre émouvant permettent au baryton suédois d’entrer dans la peau du personnage avec un naturel confondant.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte II). Evgeny Nikitin (Klingsor). Photo : (c) Emilie Bouchot/Opéra national de Paris
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte II), au centre, de bas en haut, Andreas Schager (Parsifal), Evgeny Nikitin (Klingsor), Anja Kampe (Kundry). Photo : (c) Emilie Bouchot/Opéra national de Paris
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte II), au centre, de bas en haut, Andreas Schager (Parsifal), Evgeny Nikitin (Klingsor), Anja Kampe (Kundry). Photo : (c) Emilie Bouchot/Opéra national de Paris
A peine moins convainquant sur le plan scénique, apparaissant dans le premier acte vêtu d'un bermuda, Andreas Schager, qui chante le rôle partout dans le monde, est un Parsifal à la voix solide et éclatante qui donne toute sa vigueur dans le deuxième acte, et qui, face à la Kundry de Kampe, propose un duo digne de celui de Tristan et Isolde. Dans le rôle de « l’Evangéliste » Gurnemanz, le baryton au timbre noir Günther Groissböck assure ce rôle-marathon avec constance vocale et noblesse de ton et de tenue, tandis que son articulation est d’une précision digne du récitant d’une Passion de Jean-Sébastien Bach. Peter Mattei est un Amfortas torturé et las, hallucinant de douleur et de culpabilité. Sa voix souple et son timbre émouvant permettent au baryton suédois d’entrer dans la peau du personnage avec un naturel confondant.
Richard Wagner (1813-1883), Parsifal (acte III). Günther Groissböck (Gurnemanz) au milieu des chevaliers du Graal. Photo : (c) Emilie Brouchon/Opéra national de Paris
Dans le
deuxième acte, la voix colorée et chaude du baryton russe Evgeny Nikitin est
aux antipodes du Klingsor souvent noir et dépité, donnant ainsi au personnage
du moine déchu et automutilé une dimension singulière des plus perverses. Incarné
sur le plateau par un figurant nain au visage wagnérien, le Titurel de Reinhard
Hagen a la voix d’outre-tombe qui convient à ce vieillard désespéré. Côté
écuyers et chevaliers, retenons la belle prestation de Megan Marino chez les
femmes et des ténors Michael Smallwood et Franz Gürtelschmied chez les hommes,
tandis que le groupe des filles-fleurs est d’une parfaite cohérence.
Bruno Serrou
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