vendredi 6 mars 2015

L'intense Jeanne d’Arc au bûcher de Marion Cotillard, fille de Dieu portant l’épée de l’Amour

Paris, Philharmonie, mercredi 4 mars 2015

Marion Cotillard dans le rôle de Jeanne d'Arc. Phot : (c) Luca Cutolo/Visual Press Agency

C’est un dispositif inédit qui attendait le public de la Philharmonie cette semaine à l’occasion d’une prestation de l’Orchestre de Paris à l’invitation des Productions Sarfati associées à la Philharmonie de Paris. Il s’agissait en fait d’un véritable spectacle, avec une scénographie conçue par Sigolène de Chassy pour le décor et par Colombe Lauriot Prévost pour les costumes, le premier présenté dans l’enceinte de la Philharmonie, deux représentations de l’oratorio dramatique en un prologue et onze scènes Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger et Paul Claudel. Ce dernier, et la présence sur le plateau de deux sociétaires de la Comédie-Française entourant une star du cinéma ont attiré à la Philharmonie un public peu habitué à fréquenter les salles de concert et qui, en partie, découvrait non seulement la Philharmonie, jugée « loin de tout », mais aussi la musique…

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. Christian Gognon (Narrateur), le Choeur d'Enfants de l'Orchestre de Paris, l'Orchestre de Paris, Marion Cotillard (Jeanne d'Arc), Eric Génovèse (Frère Dominique) et le Choeur de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Orchestre de Paris

Commande d’Ida Rubinstein (1885-1960), danseuse, diseuse, tragédienne, mécène et icône de la Belle Epoque pour qui il avait déjà écrit plusieurs œuvres, dont deux mélodrames sur des poèmes de Paul Valéry, hybrides de ballet, d’oratorio et de cantate scénique (Amphion et Sémiramis), Jeanne d’Arc au bûcher est le premier fruit de la collaboration d’Arthur Honegger avec Paul Claudel, alors ambassadeur de France à Bruxelles, qui donnera peu après, dans le domaine de l’oratorio, la remarquable Danse des morts en 1938. Choisissant d’aborder le drame de la Pucelle d’Orléans brûlée vive à l’épreuve de la sainteté, Claudel achève son texte au début du mois de décembre 1934, et Honegger sa partition fin août 1935. L’œuvre est donnée avec de petits effectifs instrumentaux le 29 octobre suivant chez sa commanditaire, avant que l’orchestration soit achevée le 24 décembre, tandis que la première publique est donnée le 12 mai 1938 à Bâle sous la direction de Paul Sacher, avec Ida Rubinstein dans le rôle de Jeanne - la création scénique est présentée à Lyon le 4 juillet 1941. Le sujet, le sacrifice d’une jeune femme portant la France à résister contre l’envahisseur anglais et leurs affidés caricaturés à travers des personnages transformés en animaux dérisoires dont elle sera la victime sacrifiée sur l’autel de la politique, allait participer au succès de cet oratorio dramatique dans les années de guerre et de l’Occupation.

Paul Claudel (1868-1955) et Arthur Honegger (1892-1955) vers 1950. Photo : DR

Découpé en onze scènes précédées d’un prologue ajouté en 1944 qui fait le pont entre la résistance contre l’Anglais et celle contre l’Allemand à cinq siècles de distance, le livret, mêlant spiritualité, gravité, humour et dérision, se présente sous forme de flash-back. Jeanne, mourante sur le bûcher « telle un cierge », voit défiler sa vie devant ses yeux. Avant l’épreuve ultime du feu, elle s’interroge sur le sens et l’utilité de son existence. Saint Dominique (ici Frère Dominique) se présente à elle comme envoyé du ciel et lui fait le récit de sa vie.  Dominique parcourt avec elle le livre de son passé qui se déploie à revers de sa chronologique, le procès de Rouen, l’arrestation à Compiègne résultant de tractations entre puissants, le couronnement de Charles VII à Reims, l’enfance de Jeanne. Puis, retrouvant le sens de sa vie dans sa foi en Dieu et en l’Amour, Jeanne revit son martyre et se laisse porter par les flammes vers la délivrance dans la mort et la sainteté. L’orchestration d’Honegger suscite des couleurs particulièrement évocatrices, grâce notamment à ses trois saxophones, deux ondes Martenot, deux pianos et l’absence de cors.

Dispositif scénique pour Jeanne d'Arc au bûcher d'Arthur Honegger à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans cette production optant pour le théâtre lyrique venue du Japon, où elle a vu le jour dans le cadre du Seiji Ozawa Matsumoto Festival, présentée ensuite à Monaco et à Toulouse le mois dernier avant de se rendre à New York en juin prochain, la mise en scène de Côme de Bellescize qui a pour cadre le parvis d’une cathédrale conçu par Sigolène de Chassy, fait le lien entre moyen-âge et XXe siècle, concentre la majorité des rôles secondaires en un seul personnage plutôt bien tenu par Christian Gonon (mais à quoi bon avoir affublé ce sociétaire de la Comédie-Française dans son emploi de narrateur d’un costume ridicule de Monsieur Loyal ?) et interroge sur son insistance sur le comique de situation, avec entre autres faits d’arme « l’invention du jeu de cartes » de la scène VI transformée en jeu vidéo, ou le pique-nique de la huitième scène, « Le Roi qui va-t-à Reims », ou encore ces enfants déguisés en lapin. Le tout encadré il est vrai de belles images, comme le chœur d’aubes vêtu blotti dans l’ombre sur deux estrades encadrant le bûcher au pied duquel s’expriment Jeanne et Dominique, interprété de façon convaincante par le Comédien-Français Eric Génovèse. 

Marion Cotillard dans le rôle de Jeanne d'Arc. Photo : DR

Tandis que, côté chant, c’est Anne-Catherine Gillet qui, Vierge ardente à la voix caressante, emporte la palme de l’excellence du haut du praticable d’où elle s’exprime, la soirée s’avère inoubliable grâce à l’exceptionnelle performance d’acteur de Marion Cotillard, fille de Dieu brandissant l’épée de l’Amour pour incarner une Jeanne juvénile singulièrement touchante et douce toute, s’exprimant en outre dans une langue impeccable, ce qui n’a pas été le cas de la majorité de ses comparses, qui ont noyé le verbe claudélien dans un halo de borborygmes, et bougeant avec infiniment d’élégance et de naturel, vivant intensément les interrogations et les peurs de la jeune vierge sacrifiée au nom d’une normalité politique qui la dépasse. 

Arthur Honegger (1892-1955), Jeanne d'Arc au bûcher. Orchestre de Paris, Marion Cotillard (Jeanne d'Arc), Chœur d'Enfants et Chœur de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Participant activement à l’action tel un chœur grec, le Chœur de l’Orchestre de Paris et son Chœur d’Enfants réalisent une performance de tout premier plan, alors que l’Orchestre de Paris est égal à lui-même, homogène et virtuose, ce qui est indispensable pour répondre à la direction abrupte et fébrile du Japonais Kazuki Yamada, Premier chef invité de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo qui m’avait pourtant conquis l’été dernier à La Roque d’Anthéron (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/07/le-festival-de-la-roque-dantheron-et.html). Mais le dispositif scénique a quelque peu perturbé l’équilibre sonore de la salle, les tutti tendant au chaos sonore, les instruments à percussion se faisant trop envahissants, ondes Martenot et pianos guère audibles.

Bruno Serrou

A noter que paraît chez Alpha à la fois sous forme de CD et de DVD une captation en concert de Jeanne d'Arc au bûcher d'Arthur Honegger avec Marion Cotillard dans le rôle-titre réalisée à Barcelone en 2012 sous la direction de Marc Soustrot par les caméras de Medici TV pour la version DVD (1 CD Alpha 709 et 1 DVD Alpha 708)


   

1 commentaire:

  1. Bonsoir, Je vous remercie de ce bel article très bien documenté.
    Arthur, 11 ans a eu le grand bonheur ce mercredi 4 mars de chanter au sein du Choeur d'enfants de l'Orchestre de Paris, et tout particulièrement deux solos dont celui de Trimazo.
    Il serait heureux d'avoir des souvenirs de ce moment, peut-être avez-vous d'autres photos où il apparaitrait?
    Je vous remercie de votre attention et encore bravo pour votre blog!
    Céline Déniel

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