mardi 12 décembre 2023

L’Enlèvement au Sérail de Mozart flamboyant de Le Concert de La Loge sous l’énergique impulsion de Julien Chauvin, son directeur fondateur, au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Lundi 11 décembre 2023 

Julian Chauvin et Le Concert de La Loge. Photo : DR

L’opéra concertant présente de nombreux avantages. Surtout en matière musicale, car, si elle prive l’œuvre de sa dimension théâtrale, elle permet de concentrer l’attention sur la seule écoute de la musique, défaite de toute scorie scénique et dramaturgique qui tend de plus en plus souvent au contresens. Et comme l’inspiration de Mozart suscite à elle seule musique et théâtre, lorsque l’on propose l’un de ses ouvrages scéniques en concert, hier soir L’Enlèvement au Sérail au Théâtre des Champs-Elysées, il serait regrettable de se priver d’une telle aubaine, toute occasion étant bonne à prendre pour s’immerger dans l’univers chatoyant du compositeur autrichien.

Julien Chauvin. Photo : DR

Singspiel en trois actes sur un livret de Gottlieb Stephanie le Jeune, Die Entfürung aus dem Serail (L’Enlèvement au sérail) est le deuxième des grands ouvrages scéniques de Mozart. Créé avec succès à Vienne en 1782, cet opéra-comique écrit sur un texte allemand à la suite d’une commande de l’empereur Joseph II établit la réputation du Salzbourgeois dans la capitale autrichienne. Le compositeur, qui voulait à la fois éblouir le monarque et le public viennois afin d’assurer son avenir de musicien indépendant, réussit à concocter ici le premier grand chef-d’œuvre de l’histoire de l’opéra allemand.

Solistes, Julien Chauvin, Le Concert de La Loge, Choeur Fiat Cantus. Photo : (c) Bruno Serrou

S’agissant donc d’un Singspiel, équivalent germanique de l’opéra-comique français, l’action se déploie essentiellement pendant les dialogues parlés, et la musique ne comporte pas de récitatifs accompagnés et se subdivise en vingt et un numéros comptant airs et ensembles. Mozart fonde sa musique sur l’exotisme de l’empire ottoman récemment défait militairement par l’Autriche aux portes de Vienne. On y trouve de ce fait de la musique turque avec triangle, cymbales et grand tambour, à l'imitation des fanfares des janissaires utilisées pour stimuler la soldatesque turque. Comme beaucoup de comédies de l’époque, quantité d’éléments sont empruntés à la commedia dell’arte. Les personnages de l’opéra montrent quelques stéréotypes turcs, surtout Osmin, le sinistre gardien du sérail du Pacha Selim qui profère ses menaces des abysses de sa voix de basse. Sa présence menaçante et vindicative sert d’appui au thème principal qu’est celui de la clémence, thème qui sera repris par Mozart dans son ultime opéra, la Clémence de Titus, en 1791. L’on y trouve aussi Così fan tutte à travers le doute des hommes quant à la fidélité de leurs promises, ainsi que maints ingrédients de Die Zauberflötte (La Flûte enchantée) de neuf ans postérieure, notamment la virtuosité des voix de femmes digne de la Reine de la Nuit… Rappelons que le Pacha ne s’exprime que par la parole, et que le rôle est de ce fait tenu par un comédien. L’opéra conte les aventures suscitées par la tentative du noble espagnol Belmonte aidé de son serviteur Pedrillo d’enlever sa fiancée Constance - qui porte le prénom de Constance Weber que Mozart allait bientôt épouser -, capturée en haute mer par des pirates et vendue au Pacha Selim qui la retient prisonnière dans son sérail sous la surveillance de son intendant Osmin en compagnie de sa servante Blondine, fiancée de Pedrillo. Alors que les deux couples d’amants se croient perdus, la tentative d’évasion étant découverte par le sanguin Osmin, la clémence de Selim les libère de façon fortuite.

Solistes, Julien Chauvin, Le Concert de La Loge, Choeur Fiat Cantus. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour éviter les longueurs qui n’auraient pas manqué de se faire jour dans une exécution concertante en raison de la longueur des dialogues parlés, le texte originel a été remplacé par un récit en français réalisé pour l’occasion par le critique musical Yvan A. Alexandre qui a été mis dans la bouche de Selim-pacha, seul personnage costumé d’une longue toge orientale, à l’instar de son factotum Osmin, le reste de la distribution étant en vêtements civils noirs de concerts. La jeune équipe de chanteurs s’exprimant en allemand réunie pour l’occasion était équilibrée et engageante. Les femmes étaient engageantes, leurs promis charmants et piquants, tous séduisants sur le plan vocal. La soprano canadienne Florie Valiquette, timbre épicé et ligne de chant flexible, a connu de légères difficultés avec les célestes vocalises qui caractérisent le rôle de Constance, dont elle possède prestance et élégance. La soprano roumaine Florina Ilie a l’abattage de Blondine, sa voix est charnue et colorée, tout comme son promis Pedrillo tenu par le solide ténor malgache Sahy Ratia, qui surmonte aisément les aigus que Mozart a réservé au rôle. Tout comme le ténor sud-africain Levy Sekgapane, solide Belmonte doté d’une avenante musicalité. L’Osmin de la basse géorgienne Sulkan Jaiani convainc par sa voix enjôleuse dont l’envergure surprend, son timbre de basse chantante agrémentant un ambitus descendant dans l’extrême grave avec facilité. L’Administrateur général de la Comédie Française, le metteur en scène Eric Ruf, impose son talent de comédien en campant un Selim-narrateur sobre et prenant d’évidence plaisir à dire les rares traits d’humour que lui ménage le texte qu’il est chargé de défendre. Quant aux brèves interventions chorales, elles ont été vaillamment assurées par le Chœur Fiat Cantus, formation à vocation pédagogique établie à Montrouge créée en 1997 par Pascale Jeandroz.

Solistes, Julien Chauvin, Le Concert de La Loge, Choeur Fiat Cantus. Photo : (c) Bruno Serrou

Mais cette soirée vaut surtout pour ce qu’a donné à entendre le rutilant orchestre d’instruments anciens au jeu « historiquement informé » créé en 2015, Le Concert de La Loge (qui a été contraint par une décision de justice incompréhensible, suite à une plainte du comité olympique français, de renoncer au terme « La Loge Olympique », la formation rendant par son nom hommage à l’ensemble éponyme du XVIIIe siècle dont il a adopté la spontanéité et les usages) dirigé du violon avec simplicité et allant par son directeur-fondateur, Julien Chauvin, seul musicien en chemise blanche, dirigeant debout depuis son poste de premier violon, un orchestre constitué de dix violons, trois altos, trois violoncelles, une contrebasse, bois et cors par deux et percussion. Un orchestre d’une précision, d’une chaleur, d’un dynamisme, d’une truculence bienveillante, qui a instillé à l’exécution de l’opéra de Mozart une énergie, une vigueur juvénile emplie de flamme, de poésie, d’humanité, de sortilèges.

Bruno Serrou

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