Paris. Festival d’Automne à Paris. Philharmonie de Paris. Salle Pierre Boulez. Jeudi 12 octobre 2023
Hallucinant Lessons in
Love and Violence de George Benjamin,
opéra créé à Londres en 2018. Un authentique chef-d’œuvre du théâtre lyrique du
XXIe siècle, d’une force implacable sur l’amour, le pouvoir, leur
violence, les renoncements qu’ils suscitent. Version semi-scénique permettant
de goûter avec délectation l’écriture orchestrale fascinante du compositeur britannique,
à la tête d’un brillantissime Orchestre de Paris, en coproduction avec la
Philharmonie de Paris et le Festival d’Automne à Paris, avec une distribution
éblouissante menée par un stupéfiant Stéphane Degout.
Troisième opéra de George Benjamin (né en 1960), Lessons in Love and Violence représentait en 2018 un véritable défi à relever pour son auteur après l’immense succès du précédent, Written on Skin (2012), qui suivait l’incroyable intensité du conte de fée Into the Little Hill, commande du Festival d’Automne à Paris créée en l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille en 2006. Compositeur méticuleux et singulièrement exigeant envers lui-même, George Benjamin a besoin d’un minimum de vingt-six mois de travail pour la composition d’un ouvrage lyrique. Mais le résultat est là à chaque fois, toujours fascinant. Comme celle des premier et troisième opéras, l’action du livret, toujours écrit avec le concours de Martin Crimp, se situe au moyen-âge. Malgré les extraordinaires qualités de ces trois partitions majeures de notre siècle, aucune n’a été présentée dans un théâtre lyrique parisien de sa propre initiative. Aix-en-Provence, Lyon, mais pas Paris… S’il n’y avait fort heureusement le Festival d’Automne à Paris qui comble régulièrement cette carence inexplicable, sauvant ainsi l’honneur des organisateurs de spectacles lyriques en présentant le premier dans l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille en septembre 2006 dans une mise en scène de Daniel Jeanneteau, et cette semaine à la Philharmonie de Paris Lessons in Love and Violence dans une version semi-scénique réalisée par Dan Ayling.
Créé le 10 mai 2018 au Covent Garden de Londres, son commanditaire, dans une mise en scène de Katie Mitchell, déjà signataire de celle de Written on Skin, et sous la direction du compositeur, avec en tête de distribution Barbara Hannigan et Stéphane Degout, Lessons in Love and Violence plane sur les plus hautes sphères de l’histoire de l’art lyrique en son ensemble. Construit en sept scènes en forme d’arche réparties en deux actes (quatre puis trois scènes), le livret s’inspire du drame Eduard II de Christopher Marlowe (1564-1593) publié en 1594, drame implacable et intimiste qui se fonde sur la chronique historique du roi Eduard II (1284-1327) et Duc d’Aquitaine déposé en janvier 1327, huit mois avant sa mort, en faveur de son fils Eduard III suite à un coup de force fomenté par sa femme Isabelle et l’amant de cette dernière, Mortimer. Son épouse et ses enfants avaient été secoués par la relation qu’il entretenait avec le chevalier gascon Pierre Gaveston, le roi succombant ainsi au « poison » que serait l’amour, qui dérègle les sens et la raison. Cette histoire médiévale a tous les ingrédients pour séduire l’homme du XXIe siècle, avec ces questions qui se posent encore que sont le bannissement, la manipulation, la trahison et le meurtre, l’opéra, puisant dans le passé, se faisant ainsi miroir du monde contemporain. L’opéra conte en effet la relation du roi avec Gaveston. Le monarque, qui n’est jamais nommé, est accusé par Mortimer, son conseiller militaire et l’amant de sa femme Isabelle, de vider le trésor du royaume dans le but de satisfaire les besoins de son amour. Evitant d’insister sur le caractère homosexuel de la relation royale, les auteurs ont choisi de se focaliser sur la machination politique de Mortimer et d’Isabelle pour assassiner Gaveston et faire chuter le roi de son trône en faveur de son fils, futur Eduard III.
Dans cette œuvre particulièrement sombre,
la partition de George Benjamin est un trésor de créativité, autant vocale qu’instrumentale.
Pas un moment de faiblesse ni de baisse de tension. Aucun temps morts, tant et
si bien que l’attention est soutenue du début à la fin de l’exécution de l’œuvre,
cent minutes durant. L’écriture vocale est riche, dense, variée, d’une puissante
expressivité, à l’instar de l’orchestre (deux flûtes/piccolos, deux hautbois,
deux clarinettes - première aussi petite clarinette, seconde aussi cor de
basset -, petite clarinette, clarinette basse, trois bassons - troisième aussi
contrebasson -, quatre cors, deux trompettes, deux trombones, trombone basse,
trombone contrebasse, timbales, percussion, célesta, cymbalum, deux harpes,
cordes - 12, 10, 8, 6, 4), d’une densité et d’une subtilité dans les alliages
sonores éblouissante, donnant à cet oppressant huis-clos de larges respirations avec d’extraordinaires
moments purement orchestraux d’une sensualité, d’une souplesse, d’une sophistication
exceptionnelle, le tout émerveillant par la diversité des coloris, alliages de
timbres, textures, densité de la polyphonie vocale et inspiration en perpétuelle
régénérescence. Coté percussion, Benjamin a fait appel ici au cymbalum et au
zarb iranien, ce dernier rythmant deux scènes aux contours orientalisants. Ce
qu’il faut noter, c’est l’aisance avec laquelle George Benjamin a dirigé l’Orchestre
de Paris, qui s’est avéré étincelant, d’une virtuosité impériale, aux éclats
sonores inouïs. Trois des chanteurs étaient de la création, dont le fantastique
baryton français Stéphane Degout, voix puissante et colorée qui traduit à la
perfection les ambigüités du personnage grâce à une palette expressive d’une
variété prodigieuse qui lui permet de camper un Roi bouleversant, déchiré par l’amour,
ses devoirs et les trahisons de ses proches. Face à lui, le Mortimer agressif du
ténor britannique Toby Spence dont le timbre fier et droit exprime pleinement
une violente confrontation avec le Roi. Autre protagoniste présent à la
création, le baryton hongrois Gyula Orendt, qui, dans le rôle de Gaveston
engendre d’admirables duos avec le Roi, tant le timbre très proche de celui de
Degout souligne la proximité des deux personnages. Le ténor James Way en jeune
roi, et le baryton-basse Andri Björn Robertson, déjà dans le casting de la création,
complètent cet impressionnant plateau de voix d’hommes. Dans cet environnement
principalement masculin, la soprano Georgia Jarman, qui se substitue à Barbara
Hannigan présente à la création mais qui a tenu le rôle en plusieurs occasions,
dont l’Opéra de Lyon en mai 2019, est une Isabelle étincelante, la ligne de
chant étant d’une pureté éclatante. Deux autres protagonistes femmes l’environnent,
plus anecdotiques (chacune étant néanmoins titulaire de trois emplois) mais fort
bien tenus, la soprano-colorature britannique Hanna Sawle et la mezzo-soprano
franco-anglaise Emilie Renard.
Bruno Serrou
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