lundi 16 octobre 2023

Fascinants Espaces acoustiques de Gérard Grisey exaltés par la direction au cordeau de Pierre Bleuse à la tête de l’Ensemble Intercontemporain et d’étudiants du Conservatoire de Paris à la Philharmonie

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 13 octobre 2023 

Gérard Grisey (1946-1998), Les Espaces acoustiques. Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemporain, étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Photo : (c) Phillharmonie de Paris 

Œuvre mythique trop rarement programmée en son entier, Les Espaces acoustiques de Gérard Grisey (1946-1998) ont connu vendredi soir à la Philharmonie de Paris une interprétation extraordinaire sous la direction précise, enthousiaste et généreuse de Pierre Bleuse à la tête de deux orchestres, l’Ensemble Intercontemporain dont il est le nouveau directeur musical, et des étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, formations qui, voilà dix ans, en avaient donné ensemble une première intégrale sous la direction de Pascal Rophé.

Gérard Grisey (1946-1998), Les Espaces acoustiques. Pierre Bleuse. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Œuvre somptueuse d’une inventivité prodigieuse composée entre 1974 et 1985, commençant par un grand solo d’alto admirablement tenu cette fois par Odile Auboin, et se terminant par le retour de l’alto qui prélude à l’intervention de quatre cors qui en détournent le thème cyclique au terme d’un voyage acoustique en six espaces, du plus petit au plus grand. Comme en convient le compositeur, considéré comme l’initiateur du mouvement spectral, Les Espaces acoustiques sont un immense laboratoire d’applications des techniques spectrales utilisées dans divers contextes, du solo au grand orchestre de quatre-vingts musiciens.  

Gérard Grisey (1946-1998), Les Espaces acoustiques. Odile Auboin (alto). Photo : '(c) Philharmonie de Paris

Cette extraordinaire partition de plus de deux heures placée sous le signe de la pulsation d’essence organique - le rythme cardiaque ayant servi de référence pour Prologue et Périodes - a été finalisée en une décennie. Gérard Grisey l’a abordée en 1974 avec Périodes pour sept musiciens qui présente une succession d’épisodes dont le dernier a incité le compositeur à expérimenter une nouvelle technique qui ne demandait qu’à être développée et résultant de l’analyse à l’aide de spectrogramme d’un mi de trombone et ses principaux composants, de la fondamentale à toutes ses harmoniques, par la totalité des instruments de la pièce : flûte (aussi piccolo et flûte alto), clarinette (aussi clarinette en mi bémol et clarinette en la), trombone, violon, alto, violoncelle, contrebasse. Périodes constitue également les prémices du contrôle de différents degrés de tension harmonique et à l’application, sur le plan rythmique, d’oppositions entre « périodique » et « apériodique », et présente la forme générale du cycle quasi respiratoire édifiée autour du pôle qu’est le spectre de mi à partir duquel s’articulent, en s’éloignant plus ou moins progressivement, toutes les dérives sonores proposées par le compositeur, l’éloignement étant perçu comme facteur de tension, et le retour comme facteur de détente. Partiels pour dix-huit musiciens - deux flûtes (la première aussi piccolo, la seconde aussi flûte alto), hautbois (aussi cor anglais), deux clarinettes (aussi clarinette en la et petite clarinette en mi bémol), clarinette basse (aussi clarinette contrebasse), deux cors, trompette ténor, deux percussionnistes, orgue électrique, deux violons, deux altos, violoncelle, contrebasse - est pour sa part placé sous le signe de la respiration et de la pulsation longue à laquelle Grisey renonce dans Modulations pour trente-trois musiciens au profit du mouvement perpétuel dominé par les cuivres, alors que les deux premiers le sont pas les cordes et le troisième par les bois. Epilogue est la conclusion de Transitoires pour quatre-vingt musiciens et ne peut de ce fait être joué sans cette dernière, clôturant ainsi le cycle avec le retour de l’alto solo qui fait le lien entre ce qui précède et ce qui suit sous la conduite de quatre cors entourés de quatre-vingt musiciens qui plongent l’auditeur dans une univers sonore époustouflant.

Gérard Grisey (1946-1998), Les Espaces acoustiques. Pierre Bleuse, Ensemble Intercontemorain. Photo : (c) Phimharmonie de Paris

« Cela ouvrait la voie à une nouvelle pensée harmonique et à ce que j’ai appelé plus tard la ’’synthèse instrumentale’’, rappellera Gérard Grisey à mon confrère Guy Lelong pour la pochette du premier enregistrement mondial de l’œuvre réalisé par l’Ensemble Court-Circuit dirigé par Pierre-André Valade et l’Orchestre du Musée de Francfort sous la direction de Sylvain Cambreling. Il me fallait donc écrire une suite et ce fut Partiels pour dix-huit musiciens (1975), qui inclut les instruments de Périodes. Puis je décidais finalement de constituer un cycle entier qui commencerait par une pièce pour un seul instrument, et finirait par le grand orchestre. L’alto jouant un rôle prépondérant dans Périodes, la pièce soliste se devait d’être écrite pour cet instrument et ce fut Prologue pour alto seul (1976). » Grisey composa les trois autres parties du cycle en fonction de commandes, Modulations pour trente-trois musiciens (1976-1977), Transitoires pour grand orchestre (1980-1981) et Epilogue également pour grand orchestre (1985).

Gérard Grisey (1946-1998), Les Espaces acoustiques. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Tous plus captivants les uns que les autres, les six volets du cycle sont un émerveillement sonore constant, proposant à partir du solo d’alto jusqu’au très grand orchestre un fabuleux voyage acoustique, tandis que chaque étape révèle le génie d’orchestrateur de son concepteur, le raffinement stupéfiant de son écriture, son originalité sans compromis, sa capacité à créer un univers sonore tenant du prodige et une capacité hors du commun à organiser les idées musicales de façon constamment renouvelée qui témoigne d’un talent exceptionnel, comme l’atteste Transitoires où l’auditeur a l’impression d’entendre des sons informatiques alors qu’il s’agit en fait d’effets d’ordre purement acoustique.

Gérard Grisey (1946-1998), Les Espaces acoustiques. Jean-Christophe Virvoitte, Pierre Rémondière, Jean-Noël Weller, Arthur Régis dit Duchaussoy, cors

Sous la direction fascinante de concentration, de précision, de maîtrise, de clarté de son nouveau directeur musical Pierre Bleuse, qui confirme ici tout le bien reporté à l’issue de son concert inaugural en septembre dernier qui vit la création mondiale de Polyptych: Mnemosyne… de James Dillon (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/pierre-bleuse-ouvre-triomphalement-une.html) (1), L’Ensemble Intercontemporain et les étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris ont donné une interprétation éblouissante de cette œuvre d’une richesse inouïe continuellement renouvelée au point que lorsque l’on arrive au bout de l’audition l’on se demande si tout a été joué, et que l’on constate en regardant sa montre, que le temps a filé à la vitesse de la lumière, l’on se demande ce qui a fait que son auteur a décidé de poser la double barre de mesure finale… Deux soirées de l’Ensemble Intercontemporain dirigé par son nouveau directeur musical à marquer d’une pierre blanche qui augurent d’une fructueuse période en devenir, tant les curseurs sont déjà très haut placés.  

Bruno Serrou

Voir également l'interview de Pierre Bleuse : http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/entretien-avec-pierre-bleuse-directeur.html

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