vendredi 6 octobre 2023

CD : Edgar Moreau transcende les concertos d’Henri Dutilleux et Mieczyslaw Weinberg de son violoncelle aux sonorités solaires

Violoncelliste flamboyant, Edgar Moreau, qui s’est vu attribué en 2014 le prix du jeune soliste du Concours de violoncelle Rostropovitch à Paris, publie un nouveau disque chez Erato, cette fois avec le WDR Sinfonieorchester de Cologne dirigé avec brio par le chef letton Andris Poga. Le Français a choisi deux œuvres majeures aux caractères forts éloignés du répertoire concertant de la seconde moitié du XXe siècle, toutes deux nées sous l’impulsion de l’immense violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch, le Concerto en ut mineur de Mieczyslaw Weinberg d’essence néoromantique et celui d’Henri Dutilleux, Tout un monde lointain inspiré de poèmes érotiques de Charles Baudelaire.

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996). Photo : DR

Ces dernières années, l’intérêt grandissant pour l’œuvre du compositeur d’origine judéo-polonaise Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) qui, bien qu’il fût un proche de son aîné russo-soviétique Dimitri Chostakovitch (1906-1975), est passé quasi inaperçu dans le landerneau musical de son temps, ce qui l’a condamné à une vie de précarité, persécuté par le régime stalinien, qui l’avait notamment emprisonné pour « activités sionistes ». Organisé en quatre mouvements, son Concerto pour violoncelle et orchestre en ut mineur op. 43 s’ouvre sur un thème mélancolique et spirituel dans un Adagio initial de nature rhapsodique aux élans postromantique qui permet à Edgar Moreau d’imposer sans attendre la beauté de ses sonorités enveloppées par les somptueuses couleurs que lui offre un Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne à la pâte sonore dans la carnation de celle de son instrument. Le Moderato qui suit prolonge le climat nostalgique du premier mouvement, préludant à une section centrale plus dansante au rythme de habanera mâtinée de musique Klezmer, le rôle de l’orchestre étant ici celui d’un tapis aux coloris bigarrés rehaussant la plastique et l’expressivité de l’instrument soliste. Le premier Allegro est un Scherzando fondé sur une danse ludique et festive dans laquelle Edgar Moreau exulte d’adresse, le second Allegro est un Rondo final au caractère versatile, alternant danse animée et chaleureuse, tendresse et élégance qui conduit à un de retour au climat du mouvement initial, mettant ainsi en évidence le caractère cyclique de l’œuvre.

Henri Dutilleux (1916-2013). Photo : DR

Ecrit une quinzaine d’années plus tard, le concerto pour violoncelle et orchestre Tout un monde lointain d’Henri Dutilleux (1916-2013) est l’un des sommets de l’ensemble de la littérature concertante pour violoncelle. Dans cette œuvre créée par Mstislav Rostropovitch, son commanditaire, à Aix-en-Provence le 25 juillet 1970 avec l’Orchestre de paris dirigé par Serge Baudo, les violoncellistes ne s’y trompent pas, rivalisant en nombre dans cette musique d’une expressivité exceptionnelle où les échecs sont extrêmement rares tant il s’y trouve de sources d’inspiration, autant techniques que spirituelles, intellectuelles et expressives. Le langage du compositeur français est infiniment plus inventif, créatif et original que celui de son cadet de trois ans, Mieczyslaw Weinberg, et convient davantage aux qualités intrinsèques de son interprète. Dans le premier des cinq mouvements intitulé Enigme, marqué par le son du commanditaire de l’œuvre, le compositeur exploite le registre aigu du violoncelle, le jeu de Moreau s’avérant en outre libre et souple, ainsi que dans le deuxième, Regard, plus paisible mais toujours centré sur le registre aigu du violoncelle, Moreau se faisant volontiers rêveur et en exaltant les immenses beautés et le lyrisme intense. Le mouvement central, plus court, Houles : Large et ample, est en vérité plus animé, grâce à une rythmique soutenue, tout en demeurant très chantant, ce que réussit à la perfection un soliste d’une virtuosité solaire à laquelle l’orchestre répond avec allant et précision. Plus serein et introspectif, Miroirs : Lent et extatique trahit un sentiment de solitude et d’abandon finalement réconforté par un calme qui finit par s’épanouir pleinement dans le finale, Hymne : Allegro qui se présente telle une aurore d’un temps flamboyant, joyeux, exaltant qui conduit le soliste à transcender sa virtuosité, ce qu’Edgar Moreau réussit magistralement avec des sonorités d’une plénitude incandescente magnifiée par son violoncelle de David Tecchler de 1711 doté d’une assise de basse aussi soutenue que profonde et large. Le son est splendide, le phrasé enchanteur, l’intensité du discours est exaltée par la portée inhérente à son imaginaire sonore, faisant chanter son instrument qu’il fond avec un tact infini à l’Orchestre de la Radio de Cologne avec sa palette fruitée gorgée de soleil. 

Bruno Serrou

1 CD Erato / Warner Classics 5054197489334. Durée : 1h 01mn 40s. Enregistrement : 2022. DDD

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