jeudi 12 octobre 2023

Emmanuelle Haïm et Le Concert d’Astrée excellent dans une nouvelle production de Don Giovanni de Mozart en ouverture de la saison du centenaire de l’Opéra de Lille

Lille (Hauts-de-France). Opéra de Lille. Mardi 10 octobre 2023 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Scène des masques. Photo : (c) Simon Gosselin

Première production nouvelle de la saison du centenaire de l’Opéra de Lille, la vingtième de sa directrice, Caroline Sonrier, à sa tête, le Don Giovanni de Mozart fascine par la direction énergique, dramatique, contrastée, rythmée d’Emmanuelle Haim et par le brio de son Le Concert d’Astrée. Pas une seconde de perte de tension. 

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Sergio Villegas Galvain (Masetto), Timothy Murray (Don Giovanni), Marie Lys (Zerlina), Choeur de l'Opéra de Lille. Photo : (c) Simon, Gosselin

Le siècle d’existence de l’Opéra de Lille ne s’est pas fait sans heurts, et il a connu moult vicissitudes. Et c’est tout à l’honneur de l’excellence de la politique artistique et financière de Caroline Sonrier que les deux dernière décennies ont conduit l’opéra de la capitale des Flandres françaises au sommet de la hiérarchie des théâtres lyrique de l’hexagone, à moins d’une heure de distance de l’Opéra de Paris au sud et du Théâtre de la Monnaie de Bruxelles au nord. Femme d’idées de de gestion rigoureuse, Caroline Sonrier avait toutes les qualités et compétences pour devenir la première femme à la tête de l’Opéra de Paris, mais les pouvoirs publics l’ont ignorée, Lille, ville à gauche de l’échiquier politique, étant peut-être une cause d’inéligibilité… Tirant le maximum des moyens mis à sa disposition, elle a réussi la gageure de faire de l’institution lyrique du nord l’une des plus novatrices et prospères de France (1), donnant quantité de créations lyriques contemporaines avec une équipe artistique réduite, sans orchestre ni ballet, mais en mettant en résidence divers ensemble de très grande qualité selon leurs spécialités, de la musique ancienne, avec Le Concert d’Astrée d’Emmanuelle Haïm et l’ensemble Ictus pour la création contemporaine, l’ensemble Le Banquet et l’Orchestre National de Lille…  

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Chiara Skerath (Donna Elvira), Vladyslav Buialskyi, Timothy Murray. Photo : (c) Simon Gosselin

Cette fois, contrairement à l’Opéra de Paris avec la production d’Antonello Manacorda et Claus Guth présentée voilà un mois (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/don-giovanni-de-mozart-fataliste-lopera.html), Emmanuelle Haïm et Guy Cassiers ont respecté la partition de Mozart en son entier, préservant le sextuor final et sa grande fugue-moralité. Néanmoins, la conception du chef-d’œuvre lyrique de Mozart est plus noire encore que celle présentée à Paris en provenance de Salzbourg. La vision de Guy Cassiers, des plus surprenantes, situe l’action de façon inattendue dans un abattoir autour de carcasses d’animaux écorchés, avec des projections en gros plan de monceaux de chair sanguinolentes plus ou moins abstraites et mouvantes réalisées par les vidéastes Frederik Jassogne et Bram Delafonteyne, jusqu’au finale où, une fois gavé de chair autant humaine qu’animale, le corps en lambeaux de Burlador pénètre plus ou moins dans un vagin gorgé d’hémoglobine comme pour retourner d’où le vil séducteur était venu…

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. James Platt (Le Commandeur), Timothy Murray (Don Giovanni). Photo : (c) Simon Gosselin

 La direction d’acteur est en-deçà de la vision extrêmement théâtrale et dynamique d’Emmanuelle Haïm. Tant et si bien que personne ne semble scéniquement vraiment entrer dans son rôle. En revanche, vocalement, tous sont bien en place. Voix manquant de puissance et de graves, le baryton états-unien Timothy Murray campe un Giovanni élégant et charmeur, contredisant la vision brutale et barbare  que cherche à dépendre le metteur en scène. Voix colorée et charnue, la basse ukrainienne Vladyslav Buialskyi est un Leporello sagace, alternant avec brio le caractère polychrome du valet, tout à tour lâche, railleur, insolent, hâbleur. Le ténor états-unien Eric Farring, d’abord victime contrainte et timorée, s’impose dans les deux airs de Don Ottavio, qu’il chante avec allant et distinction, se faisant plus protecteur que plaintif. Le baryton franco-mexicain Sergio Villegas Galvain a la voix puissante et sombre, mais il apparaît scéniquement un rien perdu dans le jeu. Chantant toujours face au public, la basse britannique James Platt et un saisissant et sévère Commandeur. En tête du trio féminin, la soprano hongroise Emöke Barath qui, malgré une présence un rien trop contrainte, est une Donna Anna à la voix solide et épicée riche d’un large nuancier, apte à exprimer de la tendresse éperdue jusqu’à la fureur pétrifiante. La soprano suisse Chiara Skerath est une Donna Elvira tour à tour vindicative et généreuse, perdue entre sa fureur d’être trompée et ses espoirs de rédemption de Giovanni. Le timbre est si riche qu’elle excelle dans la diversité de ses sentiments pour celui qu’elle pense être son époux. La soprano vaudoise Marie Lys campe de sa voix fruitée et ample une Zerline judicieusement querelleuse, autoritaire et mesquine. Le Chœur de l’Opéra de Lille brille par son homogénéité et par son engagement sans réserves dans la multiplicité des personnages que le metteur en scène leur fait jouer, de boucher à rabatteurs jusqu’à leur participation dans l’ultime banquet du burlador d’une cruauté impitoyable.

Bruno Serrou

1) L’Opéra de Lille aurait publié un livre pour l’occasion, mais impossible d’en dire un mot, l’ouvrage n’ayant pas été remis à l'ensemble de la presse

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire