Paris. Philharmùonie de Paris, Festival d'Automne à Paris. Cité de la Musique. Salle des concerts. Vendredi 24 octobre 2025
Pour célébrer le centenaire Luciano
Berio le jour-même de sa naissance, la Philharmonie de Paris/Cité de la Musique
et le Festival d’Automne à Paris vendredi 24 octobre ont fait appel à l’Ensemble
intercontemporain dirigé de main de maître par Vimbayi Kaziboni, dans les
séduisants mais pas vraiment représentatifs Folk Songs, joués superbement par les sept instrumentistes de l’EIC mais plus
récités que chantés par la soprano Sarah Aristidou fort courue ces temps-ci par
« la contemporaine » qui concluait un concert dominé par les compositrices
utilisant à fond l’outil informatique, Eva Reiter, flûtiste à bec et gambiste de
formation auteur de Irrlicht, avec
usage par les musiciens du langage parlé, de tuyaux, tubes, suivi de deux
créations, la première française de Sara Glojnarić, Pure Bliss au matériau multiple et puissant, et deux créations mondiales, la
première de Cauldron of Mania, pièce coup de poing de Ni Zheng, la seconde S.M.B (South Memphis,
Bitch) de Zara Ali. Quatre pièces où
l’influence des « muzak » mode est prononcée, pour rappeler
assurément combien Berio était reconnu par les pop’ stars. Concert long,
doublant le temps indiqué dans le programme de salle, à cause de changements de
plateau interminables meublés par Clara Iannotta, programmatrice de la musique
du Festival d’Automne interviewant en anglais les trois compositrices présentes
Proposer un concert-hommage à
Luciano Berio le soir-même de son centième anniversaire était en soi une brillante
initiative. Le confier à l’Ensemble Intercontemporain aussi, la formation ayant
entretenu avec le maître italien d’excellentes relations dès sa fondation en
1976 par Pierre Boulez, qui l’avait précédemment appelé à ses côtés au moment
de la création de l’IRCAM (1974-1980) où il a supervisé l’élaboration de la
fameuse 4X inventée par son ami Giuseppe di Giugno, et sous la proposition
conjointe de la Philharmonie de Paris/Cité de la Musique et le Festival d’Automne
à Paris, dont il a été régulièrement l’hôte (1). Mais, parmi la centaine d’œuvres
laissées par Berio, n’y avait-il pas plus représentatif que le cycle de onze Folk Songs composé en 1964 pour sa femme
de l’époque, la cantatrice Cathy Berberian ? Certes, Berio avait un faible
pour la chanson populaire, mais il était possible en ce cas de choisir parmi d’autres
pièces, comme Coro. Sous la direction
experte de Vimbayi Kaziboni, les sept musiciens de l’Ensemble Intercontemporain
ont donné de cette « anthologie de documents populaires » (Berio) en
provenance d’Amérique du Nord, d’Arménie (d’où Cathy Berberian était
originaire), d’Auvergne, d’Azerbaïdjan et d’Italie une interprétation précise
et expressive de leurs sonorités solaires, chantant davantage que la soprano franco-chypriote
Sarah Aristidou, à qui il souvent fait appel ces derniers temps pour se
produire dans les concerts de musique des XXe et XXIe
siècles, mais qui aura plus récité que chanté ces pages qui appellent et
contiennent pourtant quantité de mélodies.
Pour rappeler combien Berio s’intéressait
aux jeunes générations, se plaisant à enseigner partout dans le monde, attirant
les compositeurs de tous genres, de la musique la plus inventive à la pop’ music
en passant par l’électroacoustique et l’électronique. Le Festival d’Automne,
dont la section musique a toujours été dirigée par une femme, Joséphine
Markovits jusqu’à son décès en avril 2024, la compositrice Clara Iannotta
depuis lors. Quatre partitions de ces jeunes femmes ont précédé les Folk Songs de Berio qui clôturaient la
soirée. A commencer par Irrlicht (Feu follet) de la compositrice, flûtiste
à bec, gambiste belge née à vienne en 1976 Eva Reiter interprète autant musique
ancienne et contemporaine, notamment en tant que membre des ensembles Klangforum
Wien et Ictus dont elle est conseillère artistique, et professeur de
composition à la Musik und Kunst Privatuniversität de Vienne et le travail d’ensemble
au Mozarteum de Salzbourg, et, depuis cette année, associée au cursus de l’IRCAM.
Sa pièce Irrlicht d’une dizaine de
minutes pour neuf instrumentistes (flûte, trompette, trombone, accordéon,
percussion, violon, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique a été créée
à Graz (Autriche) dans le cadre du festival Musikprotokoll le 6 octobre 2012
par Klangforum dirigé par Clement Power. L’élément moteur de la partition est une
étude sur la différenciation des sons, modifiés soit à leur apparition
(attaques, transitions, consonances), soit au moment de leur extinction (coupures,
extinctions plus ou moins rapides), ainsi que d’un phrasé inspiré par les
sonorités et les mélodies de la voix humaine, le tout obtenu par des alliages
de sonorités et plus ou moins insolites obtenues par divers techniques de jeu
et de captations du son, tandis que de façon de plus en plus claire les
instrumentistes jouent de leurs voix parlée exprimant des phonèmes avant de
remplacer leurs instruments par tubes et tuyaux, de triturer les sons de leurs
instruments, les modes de jeux, les bruits de clefs, de bouche et leurs capacités
percussives, mais l’usage et la démonstration trop instants finissent pas
lasser l’auditeur
La compositrice serbe Sara Glojnarić (née à Zagreb en 1991) vivant à Leipzig s’inspire plus ouvertement de la pop’ music, menant une réflexion sur les particularismes esthétiques de cette dernière, ses implications sociopolitiques. Récipiendaire de plusieurs prix, dont l’Ernst von Siemens Förderpreiss 2023, professeur de composition dans plusieurs universités européennes, elle était représentée vendredi par Pure Bliss (Pur Bonheur) pour ensemble de seize instruments (flûte, hautbois, clarinette, basson, saxophone alto, cor, trompette, trombone, deux percussionnistes, piano, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique composé en 2022 et donné par l’Ensemble Intercontemporain en première audition française. Créée au Konzerthaus de Vienne dans le cadre du Festival Wien Modern le 17 novembre 2022 par l’ensemble Klangforum Wien dirigé par Tim Anderson, cette page de moins d’un quart d’heure au matériau protéïforme, brut et surpuissant, est polymorphe, puisant inspiration et style dans des courants esthétiques épars qui engendrent intensité et éclat trop violents. Car, à l’instar des musiques mercantiles, celle que crée Sara Glojnarić ne donne pas dans la dentelle, au point de se faire aussi assourdissante et linéaire que le genre dont elle s’inspire (l'ambitus de la dynamique se réduit à un écart variant de ff à ffff), tandis que le finale de la pièce est laissé à la discrétion du chef, Vimbayi Kaziboni ayant conclu vendredi sur Feelings (1976) de Nina Simone (1933-2003).
Née à Pékin et vivant à San Diego en Californie,
la compositrice chinoise Ni Zheng (née en 1997) a donné en création mondiale Cauldron of Mania (Chaudron de la manie) pour ensemble amplifié de dix instruments
(flûte, clarinette, clarinette contrebasse, trombone, deux percussionnistes,
alto, deux violoncelles, contrebasse) et électronique, l’œuvre la plus
significative des quatre créations de la soirée. Commande de l’Ensemble
Intercontemporain à cette spécialiste de la musique électroacoustique, cette œuvre
sombre d’une douzaine de minutes est à la fois sensuelle, douloureuse, et plus
encore lugubre faisant entendre coups, gémissements, cri qui se déploie durant
toute l’exécution de la pièce, « pleurant la mort et l’impossibilité de
pleurer », les instruments exprimant des gémissements doux et persistants
de mutilé, de supplicié, des images qui hantent la compositrice, tandis que la
musique, tendue, déchirée, d’une tension continue trahit l’angoisse, la rage,
le chagrin, la honte chevillées au corps et assombrissant l’âme, les textures sonores
disloquées, la pulsation insistante de l’incantation et de la répétition engendrent
à l’écoute une douloureuse et violente impression d’effondrement, de vertige,
de dissolution, l’auditeur étant transporté dans l’indicible désolation.
Seconde création mondiale, commande
de l’Ensemble Intercontemporain, S. M. B
(South Memphis, Bitch) (Memphis Sud, Salope)
pour ensemble de dix instruments (deux flûtes, deux bassons, deux cors,
percussion, clavier MIDI, alto, violoncelle) et électronique de Zara Ali (née
en 1995), qui dépeint la sinistre menace qui pèse actuellement sur sa ville natale,
Memphis Tennessee, qui vit la naissance du blues, du gospel, du rock ‘n’roll, du
rockabilly, de la soul, de la country et ou Elvis Presley vécut et mourut, désormais
menacée par les velléités d’Elon Musk qui, par le biais de l’érection d’une
usine de calcul intensif, sont sur le point d’asphyxier les habitants de sud de
la ville en les faisant respirer des milliers de tonnes d’oxyde d’azote, de
formaldéhyde et de particules fines. Elève de Georg Friedrich Haas à la Musikhochschule
de Detmold, installée en Allemagne, lauréate des PrIx Felix
Mendelssohn-Bartholdy (2022) et Gaudeamus (2023), compositrice en résidence de
l’Internationale Ensemble Modern Akademie (2022-2023) et du Theater Beilefeld
(2024-2026), Zara Ali, usant du système de collages cher à Berio, allie dans
cette œuvre à l’instar de toute sa création, une continuité entre arts
populaires et savants, mimant ici l’esthétique et l’esprit du Memphis horror rap en hommage au groupe
de hip hop de Memphis Three 6 Mafia à
l’origine du genre. Des voix se mêlent au discours, échos des confrontations
entre les petites communautés et une entité abstraite en train d’émerger à
Memphis.
Bruno Serrou
1) A titre personnel, le premier
contact direct que j’ai eu avec lui, c’était au Châtelet, alors que j’en étais
dramaturge le 10 octobre 1984 durant une soirée du Festival d’Automne à Paris dans
ce théâtre, où étaient donnés sous forme de diptyque ses Passaggio et A-Ronne sur
des livrets d’Edoardo Sanguineti, avec l’Ensemble Musique Vivante dirigé par
son directeur-fondateur Diego Masson, mis en scène par Claude Régy avec en
soliste la soprano June Card






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