lundi 27 octobre 2025

Berio 100. L’Ensemble Intercontemporain a célébré le jour des 100 ans de Luciano Berio avec les « Folk Songs » et quatre œuvres d’autant de jeunes compositrices

Paris. Philharmùonie de Paris, Festival d'Automne à Paris. Cité de la Musique. Salle des concerts. Vendredi 24 octobre 2025 

Ensemble Intercontemporain, Vembayi Kaziboni (direction)
Photo : (c) : Anne-Elise Grosbois

Pour célébrer le centenaire Luciano Berio le jour-même de sa naissance, la Philharmonie de Paris/Cité de la Musique et le Festival d’Automne à Paris vendredi 24 octobre ont fait appel à l’Ensemble intercontemporain dirigé de main de maître par Vimbayi Kaziboni, dans les séduisants mais pas vraiment représentatifs Folk Songs, joués superbement par les sept instrumentistes de l’EIC mais plus récités que chantés par la soprano Sarah Aristidou fort courue ces temps-ci par « la contemporaine » qui concluait un concert dominé par les compositrices utilisant à fond l’outil informatique, Eva Reiter, flûtiste à bec et gambiste de formation auteur de Irrlicht, avec usage par les musiciens du langage parlé, de tuyaux, tubes, suivi de deux créations, la première française de Sara Glojnarić, Pure Bliss au matériau multiple et puissant, et deux créations mondiales, la première de Cauldron of Mania, pièce coup de poing de Ni Zheng, la seconde S.M.B (South Memphis, Bitch) de Zara Ali. Quatre pièces où l’influence des « muzak » mode est prononcée, pour rappeler assurément combien Berio était reconnu par les pop’ stars. Concert long, doublant le temps indiqué dans le programme de salle, à cause de changements de plateau interminables meublés par Clara Iannotta, programmatrice de la musique du Festival d’Automne interviewant en anglais les trois compositrices présentes 

Sarah Aristidou (soprano), Ensemble Intercontemporain, Vembayi Kaziboni (direction)
Photo : (c) : Anne-Elise Grosbois

Proposer un concert-hommage à Luciano Berio le soir-même de son centième anniversaire était en soi une brillante initiative. Le confier à l’Ensemble Intercontemporain aussi, la formation ayant entretenu avec le maître italien d’excellentes relations dès sa fondation en 1976 par Pierre Boulez, qui l’avait précédemment appelé à ses côtés au moment de la création de l’IRCAM (1974-1980) où il a supervisé l’élaboration de la fameuse 4X inventée par son ami Giuseppe di Giugno, et sous la proposition conjointe de la Philharmonie de Paris/Cité de la Musique et le Festival d’Automne à Paris, dont il a été régulièrement l’hôte (1). Mais, parmi la centaine d’œuvres laissées par Berio, n’y avait-il pas plus représentatif que le cycle de onze Folk Songs composé en 1964 pour sa femme de l’époque, la cantatrice Cathy Berberian ? Certes, Berio avait un faible pour la chanson populaire, mais il était possible en ce cas de choisir parmi d’autres pièces, comme Coro. Sous la direction experte de Vimbayi Kaziboni, les sept musiciens de l’Ensemble Intercontemporain ont donné de cette « anthologie de documents populaires » (Berio) en provenance d’Amérique du Nord, d’Arménie (d’où Cathy Berberian était originaire), d’Auvergne, d’Azerbaïdjan et d’Italie une interprétation précise et expressive de leurs sonorités solaires, chantant davantage que la soprano franco-chypriote Sarah Aristidou, à qui il souvent fait appel ces derniers temps pour se produire dans les concerts de musique des XXe et XXIe siècles, mais qui aura plus récité que chanté ces pages qui appellent et contiennent pourtant quantité de mélodies.

Ensemble Intercontemporain, Vembayi Kaziboni (direction)
Photo : (c) : Anne-Elise Grosbois

Pour rappeler combien Berio s’intéressait aux jeunes générations, se plaisant à enseigner partout dans le monde, attirant les compositeurs de tous genres, de la musique la plus inventive à la pop’ music en passant par l’électroacoustique et l’électronique. Le Festival d’Automne, dont la section musique a toujours été dirigée par une femme, Joséphine Markovits jusqu’à son décès en avril 2024, la compositrice Clara Iannotta depuis lors. Quatre partitions de ces jeunes femmes ont précédé les Folk Songs de Berio qui clôturaient la soirée. A commencer par Irrlicht (Feu follet) de la compositrice, flûtiste à bec, gambiste belge née à vienne en 1976 Eva Reiter interprète autant musique ancienne et contemporaine, notamment en tant que membre des ensembles Klangforum Wien et Ictus dont elle est conseillère artistique, et professeur de composition à la Musik und Kunst Privatuniversität de Vienne et le travail d’ensemble au Mozarteum de Salzbourg, et, depuis cette année, associée au cursus de l’IRCAM. Sa pièce Irrlicht d’une dizaine de minutes pour neuf instrumentistes (flûte, trompette, trombone, accordéon, percussion, violon, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique a été créée à Graz (Autriche) dans le cadre du festival Musikprotokoll le 6 octobre 2012 par Klangforum dirigé par Clement Power. L’élément moteur de la partition est une étude sur la différenciation des sons, modifiés soit à leur apparition (attaques, transitions, consonances), soit au moment de leur extinction (coupures, extinctions plus ou moins rapides), ainsi que d’un phrasé inspiré par les sonorités et les mélodies de la voix humaine, le tout obtenu par des alliages de sonorités et plus ou moins insolites obtenues par divers techniques de jeu et de captations du son, tandis que de façon de plus en plus claire les instrumentistes jouent de leurs voix parlée exprimant des phonèmes avant de remplacer leurs instruments par tubes et tuyaux, de triturer les sons de leurs instruments, les modes de jeux, les bruits de clefs, de bouche et leurs capacités percussives, mais l’usage et la démonstration trop instants finissent pas lasser l’auditeur


 
Ensemble Intercontemporain, Vembayi Kaziboni (direction)
Photo : (c) : Anne-Elise Grosbois

La compositrice serbe Sara Glojnarić (née à Zagreb en 1991) vivant à Leipzig s’inspire plus ouvertement de la pop’ music, menant une réflexion sur les particularismes esthétiques de cette dernière, ses implications sociopolitiques. Récipiendaire de plusieurs prix, dont l’Ernst von Siemens Förderpreiss 2023, professeur de composition dans plusieurs universités européennes, elle était représentée vendredi par Pure Bliss (Pur Bonheur) pour ensemble de seize instruments (flûte, hautbois, clarinette, basson, saxophone alto, cor, trompette, trombone, deux percussionnistes, piano, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse) et électronique composé en 2022 et donné par l’Ensemble Intercontemporain en première audition française. Créée au Konzerthaus de Vienne dans le cadre du Festival Wien Modern le 17 novembre 2022 par l’ensemble Klangforum Wien dirigé par Tim Anderson, cette page de moins d’un quart d’heure au matériau protéïforme, brut et surpuissant, est polymorphe, puisant inspiration et style dans des courants esthétiques épars qui engendrent intensité et éclat trop violents. Car, à l’instar des musiques mercantiles, celle que crée Sara Glojnarić ne donne pas dans la dentelle, au point de se faire aussi assourdissante et linéaire que le genre dont elle s’inspire (l'ambitus de la dynamique se réduit à un écart variant de ff à ffff), tandis que le finale de la pièce est laissé à la discrétion du chef, Vimbayi Kaziboni ayant conclu vendredi sur Feelings (1976) de Nina Simone (1933-2003).

Ensemble Intercontemporain, Vembayi Kaziboni (direction)
Photo : (c) : Anne-Elise Grosbois

Née à Pékin et vivant à San Diego en Californie, la compositrice chinoise Ni Zheng (née en 1997) a donné en création mondiale Cauldron of Mania (Chaudron de la manie) pour ensemble amplifié de dix instruments (flûte, clarinette, clarinette contrebasse, trombone, deux percussionnistes, alto, deux violoncelles, contrebasse) et électronique, l’œuvre la plus significative des quatre créations de la soirée. Commande de l’Ensemble Intercontemporain à cette spécialiste de la musique électroacoustique, cette œuvre sombre d’une douzaine de minutes est à la fois sensuelle, douloureuse, et plus encore lugubre faisant entendre coups, gémissements, cri qui se déploie durant toute l’exécution de la pièce, « pleurant la mort et l’impossibilité de pleurer », les instruments exprimant des gémissements doux et persistants de mutilé, de supplicié, des images qui hantent la compositrice, tandis que la musique, tendue, déchirée, d’une tension continue trahit l’angoisse, la rage, le chagrin, la honte chevillées au corps et assombrissant l’âme, les textures sonores disloquées, la pulsation insistante de l’incantation et de la répétition engendrent à l’écoute une douloureuse et violente impression d’effondrement, de vertige, de dissolution, l’auditeur étant transporté dans l’indicible désolation.

Ensemble Intercontemporain, Vembayi Kaziboni (direction)
Photo : (c) : Anne-Elise Grosbois

Seconde création mondiale, commande de l’Ensemble Intercontemporain, S. M. B (South Memphis, Bitch) (Memphis Sud, Salope) pour ensemble de dix instruments (deux flûtes, deux bassons, deux cors, percussion, clavier MIDI, alto, violoncelle) et électronique de Zara Ali (née en 1995), qui dépeint la sinistre menace qui pèse actuellement sur sa ville natale, Memphis Tennessee, qui vit la naissance du blues, du gospel, du rock ‘n’roll, du rockabilly, de la soul, de la country et ou Elvis Presley vécut et mourut, désormais menacée par les velléités d’Elon Musk qui, par le biais de l’érection d’une usine de calcul intensif, sont sur le point d’asphyxier les habitants de sud de la ville en les faisant respirer des milliers de tonnes d’oxyde d’azote, de formaldéhyde et de particules fines. Elève de Georg Friedrich Haas à la Musikhochschule de Detmold, installée en Allemagne, lauréate des PrIx Felix Mendelssohn-Bartholdy (2022) et Gaudeamus (2023), compositrice en résidence de l’Internationale Ensemble Modern Akademie (2022-2023) et du Theater Beilefeld (2024-2026), Zara Ali, usant du système de collages cher à Berio, allie dans cette œuvre à l’instar de toute sa création, une continuité entre arts populaires et savants, mimant ici l’esthétique et l’esprit du Memphis horror rap en hommage au groupe de hip hop de Memphis Three 6 Mafia à l’origine du genre. Des voix se mêlent au discours, échos des confrontations entre les petites communautés et une entité abstraite en train d’émerger à Memphis.

Bruno Serrou

1) A titre personnel, le premier contact direct que j’ai eu avec lui, c’était au Châtelet, alors que j’en étais dramaturge le 10 octobre 1984 durant une soirée du Festival d’Automne à Paris dans ce théâtre, où étaient donnés sous forme de diptyque ses Passaggio et A-Ronne sur des livrets d’Edoardo Sanguineti, avec l’Ensemble Musique Vivante dirigé par son directeur-fondateur Diego Masson, mis en scène par Claude Régy avec en soliste la soprano June Card

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